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(10) Le texte ajoute, « qui en sont tout changés. » Cassandre favorisait le gouvernement aristocratique établi à Athènes par son père; Polysperchon protégeait le parti démocratique. (Voyez la note 17 du Discours sur Théophraste.)

(II) Au lieu de, « Ensuite, etc. »le grec porte: « Et, ce qui est à peine «< croyable, en racontant tout cela, il fait les lamentations les plus na<< turelles et les plus persuasives. »

(12) « M'étonnent. >>

(13) Voyez le chapitre de la Flatterie. (La Bruyère, chap. II, note I.)

CHAPITRE IX.

De l'effronterie causée par l'avarice (1).

Pour faire connaître ce vice, il faut dire que c'est un mépris de l'honneur dans la vue d'un vil intérêt. Un homme que l'avarice rend effronté ose emprunter une somme d'argent à celui à qui il en doit déjà, et qu'il lui retient avec injustice (2). Le jour même qu'il aura sacrifié aux dieux, au lieu de manger religieusement chez soi une partie des viandes consacrées (3), il les fait saler pour lui servir dans plusieurs repas, et va souper chez l'un de ses amis; et là, à table, à la vue de tout le monde, il appelle son valet, qu'il veut encore nourrir aux dépens de son hôte; et lui coupant un morceau de viande qu'il met sur un quartier de pain, Tenez, mon ami, lui dit-il, faites bonne chère (4). Il va lui-même au marché acheter des viandes cuites (5); et avant que de convenir du prix, pour avoir une meilleure composition du marchand, il le fait ressouvenir qu'il lui a autrefois rendu service. Il fait ensuite peser ces viandes, et il en entasse le plus qu'il peut : s'il en est empêché par celui qui les lui vend, il jette du moins quelques os dans la balance: si elle peut tout contenir, il est satisfait; sinon, il ramasse sur la table des morceaux de rebut, comme pour se dédommager, sourit, et s'en va. Une autre fois, sur l'argent qu'il aura reçu de quelques étrangers pour leur louer des places au théâtre, il trouve le secret d'avoir sa part franche du spectacle, et d'y envoyer (6) le lendemain ses enfants et leur précepteur (7). Tout lui fait envie ; il veut proLA BRUYÈRE.

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fiter des bons marchés, et demande hardiment au premier venu une chose qu'il ne vient que d'acheter. Se trouve-t-il dans une maison étrangère, il emprunte jusques à l'orge et à la paille (8); encore faut-il que celui qui les lui prête fasse les frais de les faire porter jusque chez lui. Cet effronté, en un mot, entre sans payer dans un bain public, et là, en présence du baigneur, qui crie inutilement contre lui, prenant le premier vase qu'il rencontre, il le plonge dans une cuve d'airain qui est remplie d'eau, se la répand sur tout le corps (9). Me voilà lavé, ajoute-t-il, autant que j'en ai besoin, et sans en avoir obligation à personne; remet sa robe, et disparaît.

NOTES.

(1) Le mot grec ne signifie proprement que l'impudence, et Aristote ne lui donne pas d'autre sens; mais Platon le définit comme Théophraste. (Voyez les notes de Casaubon.)

(2) On pourrait traduire plus exactement, « à celui auquel il en a déjà << fait perdre, »ou, d'après la traduction de M. Levesque, « à celui qu'il « a déjà trompé. »

(3) C'était la coutume des Grecs. Voyez le chapitre du Contre-temps. (La Bruyère.) On verra dans le chapitre XII, note 4, que non-seulement << on mangeait chez soi une partie des viandes consacrées,» mots que la Bruyère a insérés dans le texte, mais qu'il était même d'usage d'inviter ce jour-là ses amis, ou de leur envoyer une portion de la victime. (4) Dans le temps du luxe excessif de Rome, la conduite que Théophraste traite ici d'impudence aurait été très-modeste; car alors, dans les grands diners, on faisait emporter beaucoup de choses par son esclave, soit sur les instances du maître, soit aussi sans en être prié. Mais les savants qui ont cru voir cette coutume dans notre auteur me paraissent avoir confondu les temps et les lieux. Du temps d'Aristophane, c'est-à-dire environ un siècle avant Théophraste, c'étaient même les convives qui apportaient la plus grande partie des mets avec eux; et celui qui donnait le repas ne fournissait que le local, les ornements et les hors-d'œuvre, et faisait venir des courtisanes. (Voyez Aristoph., Acharn., v. 1085 et suiv., et le Scol.)

(5) Comme le menu peuple, qui achetait son souper chez le charcutier. La Bruyère.) Le grec ne dit pas des viandes cuites, et la satire ne porte que sur la conduite ridicule que tient cet homme envers son boucher.

(6) Le grec dit, « d'y conduire. »

(7) Leur pédagogue. C'était, comme dit M. Barthélemy, chapitre XXVI, un esclave de confiance chargé de suivre l'enfant en tous lieux, et surtout chez ses différents maîtres.

Les spectacles n'avaient lieu à Athènes qu'aux trois fêtes de Bacchus, et surtout aux grandes Dionysiaques, où des curieux de toute la Grèce affluaient à Athènes; et l'on sait qu'anciennement les étrangers logeaient ordinairement chez des particuliers avec lesquels ils avaient quelque liaison d'affaires ou d'amitié.

(8) Plus littéralement : « Il va dans une maison étrangère pour emprunter de l'orge ou de la paille, et force encore ceux qui lui prêtent <ces objets à les porter chez lui. »

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(9) Les plus pauvres se lavaient ainsi pour payer moins. (La Bruyète.)

CHAPITRE X.

De l'épargne sordide.

Cette espèce d'avarice est dans les hommes une passion de vouloir ménager les plus petites choses sans aucune fin honnête (1). C'est dans cet esprit que quelques-uns, recevant tous les mois le loyer de leur maison, ne négligent pas d'aller eux-mêmes demander la moitié d'une obole qui manquait au dernier payement qu'on leur a fait (2); que d'autres, faisant l'effort de donner à manger chez eux (3), ne sont occupés, pendant le repas, qu'à compter le nombre de fois que chacun des conviés demande à boire. Ce sont eux encore dont la portion des prémices (4) des viandes que l'on envoie sur l'autel de Diane est toujours la plus petite. Ils apprécient les choses au-dessous de ce qu'elles valent; et, de quelque bon marché qu'un autre, en leur rendant compte, veuille se prévaloir, ils lui soutiennent toujours qu'il a acheté trop cher. Implacables à l'égard d'un valet qui aura laissé tomber un pot de terre, ou cassé par malheur quelque vase d'argile, ils lui déduisent cette perte sur sa nourriture; mais si leurs femmes ont perdu seulement un denier (5), il faut alors renverser toute une maison, déranger les lits, transporter des coffres, et chercher dans les recoins les plus cachés. Lorsqu'ils vendent, ils n'ont que cette unique chose en vue, qu'il n'y ait qu'à perdre pour celui qui achète. Il n'est permis à personne de cueillir une figue dans leur jardin, de passer au travers de leur champ, de ramasser une petite branche de palmier (6), ou quelques olives qui se

ront tombées de l'arbre. Ils vont tous les jours se promener sur leurs terres, en remarquent les bornes, voient si l'on n'y a rien changé, et si elles sont toujours les mêmes. Ils tirent intérêt de l'intérêt même, et ce n'est qu'à cette condition qu'ils donnent du temps à leurs créanciers. S'ils ont invité à dîner quelques-uns de leurs amis, et qui ne sont que des personnes du peuple (7), ils ne feignent point de leur faire servir un simple hachis; et on les a vus souvent aller eux-mêmes au marché pour ce repas, y trouver tout trop cher, et en revenir sans rien acheter. Ne prenez pas l'habitude, disent-ils à leurs femmes, de prêter votre sel, votre orge, votre farine, ni même du cumin (8), de la marjolaine (9), des gâteaux pour l'autel (10), du coton (11), de la laine (12); car ces petits détails ne laissent pas de monter, à la fin d'une année, à une grosse somme. Ces avares, en un mot, ont des trousseaux de clefs rouillées dont ils ne se servent point, des cassettes où leur argent est en dépôt, qu'ils n'ouvrent jamais, et qu'ils laissent moisir dans un coin de leur cabinet; ils portent des habits qui leur sont trop courts et trop étroits; les plus petites fioles contiennent plus d'huile qu'il n'en faut pour les oindre (13); ils ont la tête rasée jusqu'au cuir (14), se déchaussent vers le milieu du jour (15) pour épargner leurs souliers, vont trouver les foulons pour obtenir d'eux de ne pas épargner la craie dans la laine qu'ils leur ont donnée à préparer, afin, disent-ils, que leur étoffe se tache moins (16).

NOTES.

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(1) Le texte grec porte simplement : « La lésine est une épargne outrée, ou déplacée, de la dépense.

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(2) Littéralement : « Un avare est capable d'aller chez quelqu'un au << bout d'un mois pour réclamer une demi-obole. » Théophraste n'ajoute pas quelle était la cause et la nature de cette créance, dont le peu d'importance fait précisément le sel de ce trait; elle n'est que de six liards.

(3) Dans le texte il n'est point question d'un repas que donne l'avare, mais d'un festin auquel il assiste; et le mot grec s'applique particulierement à ces repas de confrérie que les membres d'une même curie, c'està-dire de la troisième partie de l'une des dix tribus, faisaient régulière

ment ensemble, soit chez un des membres de cette association, soit dans des maisons publiques destinées à cet usage. (Voyez la note de M. Coray sur le chap. I de cet ouvrage; Pollux, liv. VI, segm. 7 et 8; et Anacharsis, chap. XXVI et LVI.)

(4) Les Grecs commençaient par ces offrandes leurs repas publics. (La Bruyère.) Les anciens regardaient en général comme une impiété de manger ou de boire sans avoir offert des prémices ou des libations à Cérès ou à Bacchus. Mais il doit y avoir quelque raison particulière pour laquelle ici les prémices sont adressées à Diane; et c'était peut-être l'usage des repas de curies, puisqu'on sacrifiait aussi à cette déesse en inscrivant les enfants dans ce corps, et cela au moment où on leur coupait les cheveux. (Voyez Hésychius, in voce Kureotis.) M. Barthélemy me parait avoir fait une application trop générale de ce passage dans son chap. xxv du Voyage du jeune Anacharsis.

(5) Je crois qu'il faut préférer la leçon suivie par Politien, qui traduit, << un peigne. » (Voyez Suidas, cité par Needham.)

(6) « Une datte. >>

(7) La Bruyère a rendu ce passage fort inexactement. Il faut traduire :« S'il traite les citoyens de sa bourgade, il coupera par petits morceaux « les viandes qu'il leur sert. » Les bourgades étaient une autre division de l'Attique que celle en tribus; il y en avait cent soixante et quatorze. Les repas communs de ces différentes associations étaient d'obligation, et les collectes pour en faire les frais étaient ordonnées par les lois. Il paraît, par ce passage et par le chapitre suivant, note 14, que, dans ces festins, celui chez lequel ou au nom duquel ils se donnaient était chargé de l'achat et de la distribution des aliments, mais qu'il était surveillé de près par les convives.

(8) Une sorte d'herbe. (La Bruyère.)

(9) Elle empêche les viandes de se corrompre, ainsi que le thym et le laurier. (La Bruyère.)

(10) Faits de farine et de miel, et qui servaient aux sacrifices. (La Bruyère.)

(II) Des bandelettes pour la victime, faites de fils de laine non tissus, et réunis seulement par des nœuds de distance en distance.

(12) Au lieu de laine, Théophraste nomme ici encore une espèce de gâteaux ou de farine qui servaient aux sacrifices; et plus haut il parle de mèches, mot que la Bruyère a omis, ou qu'il a voulu exprimer ici. (13) Voyez sur l'usage de se frotter d'huile le Caractère v, note 4. (14) « Ils se font raser jusqu'à la peau. » Voyez Caractère IV, note 7. (15) Parce que dans cette partie du jour le froid en toute saison était supportable. (La Bruyère.) Il me semble que, lorsqu'il s'agit d'Athènes, il faut penser plutôt aux inconvénients de la chaleur qu'à ceux du froid: c'est afin que la sueur n'use pas ses souliers.

(16) C'était aussi parce que cet apprêt avec de la craie, comme le pire de tous, et qui rendait les étoffes dures et grossières, était celui qui coûtait le moins. (La Bruyère.) Il n'est question dans le grec ni de craie ni de laine, mais de terre à foulon, et d'un habit à faire blanchir. (Voyez les notes de M. Coray.) M. Barthélemy observe, dans son chap. xx, que le bas peuple d'Athènes était vêtu d'un drap qui n'avait reçu aucune teinture, et qu'on pouvait reblanchir, tandis que les riches préféraient des draps de couleur.

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