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eu la veille une indigestion; et si cet homme à qui il parle a la patience de l'écouter, il ne partira pas d'auprès de lui, lui annoncera comme une chose nouvelle que les Mystères (6) se célèbrent dans le mois d'août, les Apaturies (7) au mois d'octobre; et à la campagne, dans le mois de décembre, les Bacchanales (8). Il n'y a, avec de si grands causeurs, qu'un parti à prendre, qui est de fuir (9), si l'on veut du moins éviter la fièvre; car quel moyen de pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discerner ni votre loisir, ni le temps de vos affaires ?

NOTES.

(1) Dans le gree, les noms des Caractères sont toujours des termes abstraits. On aurait pu intituler ce chapitre Du bábil, et traduire la définition plus littéralement : « Le babil est une profusion de discours « longs et irréfléchis. »

M. Barthélemy a inséré ce Caractère presque en entier dans le vingthuitième chapitre de son Voyage du jeune Anacharsis.

(2) Le grec dit : « Sur le bas prix du blé. » A Athènes cette denrée était taxée, et il y avait des inspecteurs particuliers pour en surveiller la vente. On peut voir à ce sujet le chap. x du Voyage du jeune Anacharsis, auquel je renverrai souvent le lecteur, parce que cet intéressant ouvrage donne des éclaircissements suffisants aux gens du monde, et fournit aux savants des citations pour des recherches ultérieures.

(3) Premières Bacchanales, qui se célébraient dans la ville. ( La Bruyère.) La Bruyère appelle cette fète de Bacchus la première, pour la distinguer de celle de la campagne, dont il sera question plus bas. Elle était appelée ordinairement les grandes Dionysiaques, ou bien les Bacchanales par excellence; car elle était beaucoup plus brillante que celle de la campagne, où il n'y avait point d'étrangers, parce qu'elle était célébrée en hiver. (Voyez le scoliaste d'Aristophane ad Acharn. v. 201 et 503, et le chap. xxiv du Voyage du jeune Anacharsis.)

Pendant l'hiver, les vaisseaux des anciens étaient tirés à terre et placés sous des hangards: on les lançait de nouveau à la mer, au printemps: « Trahuntque siccas machinæ carinas, » dit Horace en faisant le tableau de cette saison, liv. I, ode iv.

(4) Les mystères de Cérès se célébraient la nuit, et il y avait une émulation entre les Athéniens à qui apporterait une plus grande torche. La Bruyère.) Ces torches étaient allumées en mémoire de celles dont Cérès éclaira sa course nocturne en cherchant Proserpine ravie par Pluton. Pausanias nous apprend, liv. I, chap. n, que dans le temple de Cérès à Athènes il y avait une statue de Bacchus portant une torche; et l'on voit souvent des torches représentées dans les bas-reliefs ou autres monuments anciens qui retracent des cérémonies religieuses.

(Voyez le Musée du Capitole, tome IV, planche 57, et le Musée Pio Clem., tome V, planche 80.) Dans les grandes Dionysiaques d'Athènes on en plaçait sur les toits, et dans les Saturnales de Rome on en érigeait devant les maisons; il en était peut-être de même dans les mystères de Cérès, car les mots devant l'autel ne sont point dans le texte.

(5) L'Odéon. Il avait été bâti par Périclès, sur le modèle de la tente de Xerxès son comble, terminé en pointe, était fait des antennes et des mâts enlevés aux vaisseaux des Perses: il fut brûlé au siége d'Athènes par Sylla.

(6) Fête de Cérès. Voyez ci-dessus. (La Bruyère.)

(7) En français, la fête des Tromperies: son origine ne fait rien aux mœurs de ce chapitre. (La Bruyère.) Elle fut instituée et prit le nom que la Bruyère vient d'expliquer, parce que, dans le combat singulier que Mélanthus livra, au nom des Athéniens, à Xanthus, chef des Béotiens, Bacchus vint au secours du premier en trompant Xanthus. On trouvera quelques détails sur les usages de cette fête dans le chap. XXVI d'Anacharsis.

(8) Il aurait mieux valu traduire, «< et les Bacchanales de la campagne « dans le mois de décembre.» (Voyez ci-dessus, note 3.) Elles se célébraient près d'un temple appele Lenæum ou le temple du pressoir.

On peut consulter, sur les fêtes d'Athènes en général, et sur les mois dans lesquels elles étaient célébrées, ia deuxième table ajoutée au Voyage d'Anacharsis par M. de Sainte-Croix.

(9) Littéralement : « Il faut se débarrasser de telles gens, et les fuir à « toutes jambes. » Aristote dit un jour à un tel causeur : « Ce qui « m'étonne, c'est qu'on ait des oreilles pour t'entendre, quand on a des jambes pour t'échapper. »

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CHAPITRE IV.

De la rusticité.

Il semble que la rusticité n'est autre chose qu'une ignorance grossière des bienséances. L'on voit en effet des gens rustiques et sans réflexion sortir un jour de médecine (1), et se trouver en cet état dans un lieu public parmi le monde; ne pas faire la différence de l'odeur forte du thym ou de la marjolaine d'avec les parfums les plus délicieux; être chaussés large et grossièrement; parler haut, et ne pouvoir se réduire à un ton de voix modéré; ne se pas fier à leurs amis sur les moindres affaires, pendant qu'ils s'en entretiennent avec leurs domestiques, jusques à rendre compte à leurs moindres valets (2) de ce qui aura été dit dans une assemblée publique. On les voit

assis, leur robe relevée jusques aux genoux et d'une manière indécente. Il ne leur arrive pas en toute leur vie de rien admirer, ni de paraître surpris des choses les plus extraordinaires que l'on rencontre sur les chemins (3); mais si c'est un bœuf, un âne ou un vieux bouc, alors ils s'arrêtent et ne se lassent point de les contempler. Si quelquefois ils entrent dans leur cuisine, ils mangent avidement tout ce qu'ils y trouvent, boivent tout d'une haleine une grande tasse de vin pur; ils se cachent pour cela de leur servante, avec qui d'ailleurs ils vont au moulin, et entrent dans les plus petits détails du domestique (4). Ils interrompent leur souper, et se lèvent pour donner une poignée d'herbes aux bêtes de charrue (5) qu'ils ont dans leurs étables. Heurte-t-on à leur porte pendant qu'ils dînent, ils sont attentifs et curieux. Vous remarquez toujours proche de leur table un gros chien de cour qu'ils appellent à eux, qu'ils empoignent par la gueule, en disant (6): Voilà celui qui garde la place, qui prend soin de la maison et de ceux qui sont dedans. Ces gens, épineux dans les payements qu'on leur fait, rebutent un grand nombre de pièces qu'ils croient légères, ou qui ne brillent pas assez à leurs yeux, et qu'on est obligé de leur changer. Ils sont occupés pendant la nuit d'une charrue, d'un sac, d'une faux, d'une corbeille, et ils rêvent à qui ils ont prêté ces ustensiles. Et lorsqu'ils marchent par la ville, Combien vaut, demandent-ils aux premiers qu'ils rencontrent, le poisson salé? Les fourrures se vendentelles bien (7)? N'est-ce pas aujourd'hui que les jeux nous ramènent une nouvelle lune (8)? D'autres fois, ne sachant que dire, ils vous apprennent qu'ils vont se faire raser, et qu'ils ne sortent que pour cela (9). Ce sont ces mêmes personnes que l'on entend chanter dans le bain, qui mettent des clous à leurs souliers, et qui, se trouvant tout portés devant la boutique d'Archias (10), achètent cux-mêmes des viandes salées, et les apportent à la main en pleine rue.

NOTES.

(1) Le texte grec nomme une certaine drogue qui rendait l'haleine fort mauvaise le jour qu'on l'avait prise. ( La Bruyère. ) La traduction est plus juste que la note. (Voyez la note de M. Coray sur ce passage.)

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(2) Le grec dit, « aux journaliers qui travaillent dans leur champ. (3) Il parait qu'il y a ici une transposition dans le grec, et qu'il faut traduire : « ni de paraître surpris des choses les plus extraordinai«res; mais s'ils rencontrent dans leur chemin un bœuf, etc. »>

(4) Le grec dit seulement : « à laquelle ils aident à moudre les pro<< visions pour leurs gens et pour eux-mêmes. « L'expression de la Bruyère, « ils vont au moulin, » est un anachronisme. Du temps de Théophraste, on n'avait pas encore des moulins communs; mais on faisait broyer ou moudre le blé que l'on consommait dans chaque maison, par un esclave, au moyen d'un pilon ou d'une espèce de moulin à bras. (Voyez Pollux, livre I, segm. 78, et liv. VII, segm. 180.) Les moulins à eau n'ont été inventés que du temps d'Auguste, et l'usage du pilon était encore assez général du temps de Pline.

(5) Des bœufs. (La Bruyère.) Le grec dit en général, « des bêtes de << trait. >>

(6) Au lieu de, « Heurte-t-on, etc.,» le grec dit simplement : « Si quelqu'un frappe à sa porte, il répond lui-même, appelle son chien, « et lui prend la gueule, en disant : Voilà, etc. »

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(7) Le grec porte : « Lorsqu'il se rend en ville, il demande au pre«mier qu'il rencontre Combien vaut le poisson salé? et quel est le << prix des habits de peau? » Ces habits étaient le vêtement ordinaire des påtres, et peut-être des pauvres et des campagnards en général.

(8) Cela est dit rustiquement; un autre dirait que la nouvelle lune ramène les jeux ; et d'ailleurs c'est comme si le jour de Pàques, quelqu'un disait : N'est-ce pas aujourd'hui Pàques? (La Bruyère.) Quoique la version adoptée par la Bruyère soit celle de Casaubon, j'observerai que le mot la néoménie, que ce savant critique traduit par la nouvelle lune, n'est que le simple nom du premier jour du mois, où il y avait un grand marché à Athènes, et où l'on payait les intérêts de l'argent. (Voyez Aristoph. Vesp. 171, et Scol., et Nub. acte IV, scène III.) Il ne s'agit pas non plus de jeux, puisqu'il n'y en avait pas tous les premiers du mois. Selon plusieurs gloses anciennes rapportées par Henri Estienne, le même mot a aussi toutes les significations du mot latin forum. Cette phrase peut donc être traduite ainsi : « Le forum « célèbre-t-il aujourd'hui la néoménie? » c'est-à-dire : «Est-ce aujoura d'hui le premier du mois et le jour du marché? » Le ridicule n'est pas dans l'expression, mais en partie dans ce que le campagnard demande à un homme qu'il rencontre une chose dont il doit être sur avant de se mettre en route, et surtout dans ce qui suit.

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(9) Au lieu de, « D'autres fois, etc., » le texte porte « Et il dit sur-lechamp qu'il va en ville pour se faire raser. » Il ne fait donc cette toilette que le premier jour de chaque mois, en se rendant au marché. Il y a un trait semblable dans les Acharnéens d'Aristophane, v. 998; et Suidas le cite et l'explique en parlant de la néoménie. Du temps de Theophraste, les Athéniens élégants paraissent avoir porté les cheveux et la barbe d'une longueur moyenne, qui devait être toujours la même,

et on les faisait par conséquent couper très-souvent. (Voyez chap. xxvi, note 6, et le chap. v ci-après.) C'était donc une rusticité de laisser croitre les cheveux et la barbe pendant un mois : et cette malpropreté suppose de plus le ridicule, reproché dans le chap. x à l'avare, de se farre raser ensuite jusqu'à la peau, afin que les cheveux ne dépassent pas de sitôt la juste mesure.

(10) Fameux marchand de chairs salées, nourriture ordinaire du peuple. ( L Bruyère.) Il fallait dire, de poisson salé.

CHAPITRE V.

Du complaisant, ou de l'envie de plaire.

Pour faire une définition un peu exacte de cette affectation que quelques-uns ont de plaire à tout le monde, il faut dire que c'est une manière de vivre où l'on cherche beaucoup moins ce qui est vertueux et honnête, que ce qui est agréable (1). Celui qui a cette passion, d'aussi loin qu'il aperçoit un homme dans la place, le salue en s'écriant: Voilà ce qu'on appelle un homme de bien! l'aborde, l'admire sur les moindres choses, le retient avec ses deux mains, de peur qu'il ne lui échappe; et, après avoir fait quelques pas avec lui, il lui demande avec empressement quel jour on pourra le voir, et enfin ne s'en sépare qu'en lui donnant mille éloges. Si quelqu'un le choisit pour arbitre dans un procès, il ne doit pas attendre delui qu'il lui soit plus favorable qu'à son adversaire (2): comme il veut plaire à tous deux, il les ménagera également. C'est dans cette vue que, pour se concilier tous les étrangers qui sont dans la ville, il leur dit quelquefois qu'il leur trouve plus de raison et d'équité que dans ses concitoyens. S'il est prié d'un repas, il demande en entrant à celui qui l'a convié où sont ses enfants; et dès qu'ils paraissent, il se récrie sur la ressemblance qu'ils ont avec leur père, et que deux figures ne se ressemblent pas mieux : il les fait approcher de lui, il les baise; et les ayant fait asseoir à ses deux côtés, il badine avec eux. A qui est, dit-il, la petite bouteille ? à qui est la jolie cognée (3)? Il les prend ensuite sur lui et les laisse dormir sur son estomac, quoiqu'il en soit incommodé. Celui enfin qui veut plaire se fait raser souvent, a

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