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JOURNAL

DES

DEMOISELLES

HISTOIRE ET ROMANS

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L'austère Clio, comme on disait jadis, a eu pourtant ses beaux jours dans notre siècle. Les noms de tant d'éminents historiens dont il se glorifie, et dont quelques-uns vivent encore parmi nous, sont là pour l'attester. Les vastes horizons ouverts par eux à la pensée attiraient alors non-seulement quelques lecteurs d'élite, mais la masse même du public. A l'heure présente, notre curiosité s'enferme dans un plus petit cercle : les leçons de l'histoire, si ce n'est à l'état de pamphlet politique, ne l'intéressent plus; la vie des nations et les grands faits qui la constituent l'occupent peu. Les drames intimes, les incidents et les émotions de la vie individuelle, en un mot le roman: voilà ce qu'il lui faut.

l'imagination d'une foule de conteurs plus ou moins bien inspirés?

Regardez, je vous prie, en chemirant le long des rues, ces maisons à l'air tranquille, derrière lesquelles s'abritent tant d'honnêtes familles, vouées, dans votre opinion, à l'existence la plus unie, la plus prosaïquement régulière, la plus dépourvue d'agitation et de drame. Extérieurement, il en est ainsi; pénétrez à l'intérieur, vous n'en verrez pas une peut-être qui n'ait son roman.

Et l'histoire même qu'est-elle donc, sinon un immense roman, formé de mille romans particuliers? Les agents des événements, ce sont les hommes; les mobiles qui mettent les hommes en action, ce sont leurs sentiments et leurs passions. Les plus grands de tous ne sont, comme les autres, que des individus. Pourquoi la destinée des Alexandre, des César, des Charlemagne, des Napoléon, par cela seul qu'elle se relie d'une manière visible aux destinées générales de l'humanité, vous laisserait-elle plus froids que les peines de cœur et les aventures imaginaires de messieurs ou de mesdames tels et tels, qui n'ont jamais existé?

Soit. Chaque époque a son goût prédominant, contre lequel les sages se gen larment en vain. Composer avec lui est le mieux. Mais pour trouver ces sensations que nous recherchons dans nos lectures est-il absolument nécessaire de les demander aux fictions qu'enfantent journellement QUARANTE-TROISIÈME ANNÉE. No IV. AVRIL 1875.

C'est que l'histoire, proprement dite, place sans doute ses personnages à une trop grande distance de nous. Le commun des lecteurs, les femmes surtout, n'aiment guère à regarder si haut et si loin.

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Mais il est un genre de récit historique qui ramène les faits à de moindres proportions, qui rapproche familièrement de notre vue ces mêmes personnages, et nous permet d'entrer en relation assez étroite avec eux, pour que nous puissions les traiter à peu près en voisins: je veux parler des Mémoires.

Tous les Mémoires ne sont pas bons à mettre, dans leur texte même, aux mains de la première jeunesse; mais notre but ici est de lui inspirer, en nous bornant à faire ressortir ce qu'on y rencontre de plus propre à captiver l'imagination, la curiosité de les connaître plus tard, quand sera venu l'âge où l'expérience plus mûre de la vie donne le droit de tout lire.

L'histoire a toujours été considérée comme un suprême tribunal, devant lequel les hommes et leurs actes comparaissent pour être jugés. Les Mémoires sont les témoins dont la déposition doit servir à former la conviction du juge; témoins qui ne sont pas tenus à la froide impartialité de celuici, et qui rapportent ce qu'ils ont vu, avec les impressions qu'ils en ont ressenties et qu'ils nous communiquent dans toute leur vivacité. Combien les souvenirs personnels de l'homme qui nous dit: — «J'étais là » — ne l'emportent-ils pas pour nous en intérêt sur la relation de celui qui ne nous parle que par ouï-dire, ou d'après ce qu'il a compulsé laborieusement dans les livres?

Aucune littérature n'est aussi riche que la nôtre en renseignements de ce genre.

A l'origine même de la grande monarchie franque, se présente, tout d'abord, le bon évêque Grégoire de Tours, dont l'œuvre, quoique décorée du titre d'histoire, doit, en ce qui touche les faits et les personnages dont il était contemporain, se classer au premier rang de nos mémoires authentiques. Il remet devant nos yeux, avec les couleurs de la vie, les Chilpéric et les Frédégonde; figures terribles, qui, dans le lointain historique, nous apparaissent comme ces monstres chimériques, moitié hommes et moitié bêtes féroces, que la légende place dans les temps fabuleux, en tête des annales de tous les peuples, et qui, dans ses récits de témoin oculaire, redeviennent, pour nous, des êtres non-seulement possibles, mais actuels. Nous les voyons agir, nous les entendons parler. Mauvaise connaissance à faire, il est vrai, mais connaissance curieuse.

Ce début est suivi d'un silence à peu près complet qui se prolonge jusqu'au neuvième siècle. A partir de là, il n'est pas, je crois, de phase marquante dans notre existence nationale, dont les événements ne nous soient attestés par des narrateurs qui, comme Énée racontant la ruine de Troic, ont le droit de s'en dire un débris; pas un personnage éclatant qui ne nous soit représenté dans le détail de ses habitudes quotidiennes, dans ses gestes et ses jeux de physionomie, pour ainsi dire, par quelque familier, dont l'affection ou la haine conduit la plume. Et, pour l'observer en passant, ceux qui

restent grands après avoir traversé une pareille épreuve peuvent se vanter de l'être en effet.

Madame de Sévigné nous parle plaisamment d'un homme de ses connaissances, qui se refusait absolument à croire que François de Sales fût un saint, par cette unique raison qu'il avait dîné, un jour, avec lui. La vue d'une femme qui mangeait révoltait Byron: dans cet acte vulgaire, la créature éthérée se dépoétisait entièrement à ses yeux. Eh bien, essayons d'entrer chez l'un de ces grands héros de l'histoire qui planent au-dessus des temps; allons, sans y être invités, nous asseoir à sa table, et voyons s'il y conservera mieux son prestige que les femmes et les saints.

Nous voici dans sa demeure, cette demeure est un palais. Une superbe galerie le joint à la basilique voisine, magnifiquement bâtie par ses soins, et qui plus tard abritera son tombeau. Dans la salle où la table est dressée, non pour un festin d'apparat, mais pour le simple repas de midi, le maître du logis paraît.

Permettez-moi de ne pas vous le nommer encore, et de vous esquisser avant tout son portrait: Il est gros et robuste de corps: sa taille est élevée, mais sans excéder une juste proportion. Il a des yeux grands et vifs, le nez un peu long; de beaux cheveux blancs ornent sa tête au sommet arrondi; sa démarche est ferme et tout son extérieur présente quelque chose de mâle. Mais ceux que pourrait intimider son aspect imposant doivent se rassurer, en voyant sa physionomie riante et agréable.

Il s'assied. Assis comme debout, un air de grandeur et de dignité règne dans toute sa personne. Ce n'est pas à la richesse de ses vêtements qu'il l'emprunte. Des hauts-de-chausses de lin, une tunique de laine bordée d'une frange de soie; aux jambes, des bas serrés par des bandelettes entrecroisées, un saie jetée sur ses épaules: tel est son accoutrement journalier. Quand l'hiver sévit, une peau de loutre enveloppe sa large poitrine, et la préserve de l'action du froid; mais l'été rend pour le moment superflu tout usage de fourrure. Ce costume est celui de sa nation; il ne veut pas en adopter d'autres. A peine les gens du peuple en portent-ils un plus simple. Mais ce que lui seul porte entre tous, c'est l'épée qui ne le quitte jamais. Épée fameuse, s'il en fut! Ici se trahit un peu plus de prétention au luxe et à l'élégance; la poignée en est d'or, un baudrier d'argent la maintient à son côté.

Trois fils, dans l'épanouissement d'une noble virilité; trois filles, toutes d'une beauté rare, l'accompagnent et prennent place à sa table avec lui. Les fils sont des rois; les filles sont les plus grandes princesses de la terre ; le père est au-dessus de tous les princes et de tous les rois: c'est le vainqueur, le maître de l'Occident, c'est Charlemagne!

Voilà son nom. Certes l'impression n'en est pas petite, et si nous n'y prenons garde, l'homme qu'il s'agit de visiter dans l'intérieur de sa vie domes

tique, va encore une fois s'effacer, pour nous, derrière le personnage épique. Rappelons-nous que nous sommes ici, non pour admirer Charlemagne, mais pour partager son dîner, ou du moins pour y assister.

C'est à Eginhard, son secrétaire intime et son serviteur affectionné, que nous avons emprunté. mot pour mot, le portrait qui vient d'être tracé. C'est à lui que nous demanderons encore quelquesuns de ces détails familiers où se révèlent les caractères, mieux que dans les grands actes de l'exis

tence.

Quatre mets, avec le rôti, composent seuls tout l'ordinaire royal. Le rôti est l'aliment préféré de Charlemagne. Les médecins lui recommandent pourtant exclusivement les viandes bouillies; mais on n'est pas le roi de tant de peuples et le chef de tant de guerriers pour obéir facilement à qui que ce soit, fût-ce aux médecins. Charlemagne s'est mis en pleine insurrection contre eux. Il ne les consulte ni en santé ni même en maladie. Si quelque indisposition vient l'atteindre, la diète et le repos sont les seuls remèdes qu'il emploie, et, jusqu'à présent, il n'a pas eu à s'en repentir. Sa sobriété habituelle rend d'ailleurs ces occasions bien rares; le plus léger excès de table lui répugne. A peine une goutte de vin effleure-t-elle ses lèvres dans toute la durée du repas. Versé dans la connaissance des Écritures, dont le savant Alcuin a mis naguère encore sous ses yeux le texte restitué dans toute son intégrité, sans doute il a reconnu la sagesse du conseil que donne aux rois le livre saint:

<< Ne versez pas de vin aux rois, car nul secret « n'est possible dans l'ivresse; de peur aussi qu'en << buvant ils n'oublient les règles de la justice, et « ne transgressent la loi dans la cause des enfants « du pauvre ».

A Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi du grand empereur! Les plus petits peuvent recourir sans crainte à sa justice, et c'est à jeun qu'il examine et juge, souvent en personne, les moindres causes qui sont plaidées devant elle.

L'heure du repas est pour tout le monde un temps de relâche où la pensée se détend; mais pour Charlemagne et ses convives, ce temps n'est pas rempli par de vains propos et d'oiseux entretiens. Tandis qu'ils réparent en mangeant les forces du corps, une lecture faite à haute voix leur fournit la pâture solide propre à nourrir celle de l'esprit. Hier, c'était quelque histoire des anciens peuples de la Grèce ou de Rome; aujourd'hui, c'est l'œuvre du plus grand docteur de l'Église latine, c'est la Cité de Dieu.

Voilà qui paraîtra bien sérieux peut être, et qu'on serait tenté de croire mieux à sa place dans un réfectoire de moines que dans le palais d'un conquérant, devant de belles princesses, dont la prose scolastique de St-Augustin doit peu récréer les oreilles.

On aurait tort. Ces belles princesses, aussi bien que leurs frères, dont elles ont partagé les études,

sont en état d'apprécier le mérite et de suivre avec intérêt l'argumentation du philosophe chrétien. Charlemagne, qui n'a rien négligé pour répandre les lumières et ramener le goût du savoir dans tout son empire, a voulu donner à ses enfants, en particulier, une instruction étendue et soignée. Les aînés, que nous avons cru pouvoir placer ici à ses côtés, dans sa résidence favorite d'Aix-la-Chapelle, sont, comme leur glorieux père, les élèves de l'École du Palais, les disciples d'Alcuin. Lui-même leur a servi, il leur sert encore tous les jours d'exemple dans l'application à l'étude. Le temps. que n'absorbent pas les soins de la guerre ou de l'administration publique est, en grande partie, consacré par lui à se perfectionner dans la culture. des lettres grecques et latines, dans celle de la rhétorique, de la dialectique, et surtout de l'astronomie. Il aime à observer, sur la voûte étoilée, la marche des corps célestes, à calculer et prédire les éclipses. Nous savons qu'il ne fait pas néanmoins comme l'astronome de la fable, et tout en lisant au dessus de sa tête, continue de voir très-clairement à ses pieds. De toutes les branches de la science humaine, il en est une pourtant, une seule, contre laquelle est venu échouer ce génie presque universel. En vain il a tenté de l'acquérir, en vain il s'obstine encore à s'y exercer avec un louable courage: le grand Charles n'a pu apprendre à écrire.

Mais le dîner s'achève. L'empereur, après s'être rafraîchi la bouche de quelques fruits, se retire dans sa chambre, quitte ses vêtements, et laissant passer la plus forte chaleur du jour, va prendre, dans son lit deux ou trois heures de repos. Repos d'autant plus nécessaire que celui de la nuit est fort incomplet, car souvent il l'interrompt à plusieurs reprises, et donne au travail ou au mouvement le temps que réclame d'ordinaire le sommeil.

Grâce à sa tempérance et aux plaisirs intellectuels qu'il associe à ses repas, nous avons pu surprendre Charlemagne à table, sans que sa dignité de grand homme en fût, nous semble-t-il, trop amoindrie. Maintenant, pendant qu'il repose, occupons-nous de son biographe.

Eginhard, avec une modestie bien rare chez les faiseurs de Mémoires, ne nous dit rien, ou que bien peu de lui-même. Nous ne savons ni quels étaient ses parents, ni quand ni comment il fut amené à la cour de Charlemagne. Il nous apprend seulement que ce prince le fit élever sous ses yeux avec un soin paternel.

« Nourri par ce monarque, dit-il, du moment que je commençai d'être admis à sa cour, j'ai «< vécu avec lui et ses enfants dans une amitié « constante, qui m'a imposé, après sa mort comme pendant sa vie, tous les liens de la reconnais

«

«sance ».

C'est ce sentiment de gratitude et d'affection filiales qui mit la plume à la main du fidèle secrétaire, et ajoute un degré d'intérêt de plus à son

livre. Nous n'avons pas devant nous un historien qui raconte et juge, mais un ami affligé qui parle de l'ami qu'il a perdu, et veut nous faire partager ses regrets. Cependant il n'oublie pas que cet ami est un grand souverain et un grand conquérant. Il débute par une revue rapide des faits qui composent la vie politique et guerrière de Charlemagne. Il remonte même en arrière jusqu'à l'avènement de la dynastie austrasienne, qu'il nous montre remplaçant d'une manière nécessaire et fatale, la race épuisée des mérovingiens. Dans le coup de pinceau qu'il donne ici, il y a déjà quelque chose qui rappelle par anticipation la couleur de nos historiens modernes. Viennent ensuite les détails concernant la vie privée, groupés ensemble et formant un tout séparé. C'est à cette seconde partie de l'ouvrage, où son cœur parle davantage, que l'on s'arrête le plus volontiers. L'histoire nous présente le grand homme, les chroniques nous offrent, le héros fabuleux; Éginhard nous dépeint l'homme vrai et même, ce qu'on ne s'attend guère à rencontrer là, le bonhomme. La bonté et une sensibilité extrême sont, en effet, les qualités qu'il aime à faire ressortir dans ce formidable vain queur des Lombards et des Saxons. Jamais cœur de père ne fut plus tendre que le sien. Charlemagne adorait ses enfants. Hormis dans ses expéditions militaires, il voulait sans cesse en être entouré. Lui même présidait avec une vigilance toute particulière à leur éducation. Montesquieu pousse un cri éloquent d'admiration devant ce puissant génie qui, organisateur de l'un des plus vastes empires du monde, ne dédaignait pas, dans ses capitulaires, de régler aussi l'administration domestique de ses domaines, la vente des herbes inutiles de ses jardins, et des œufs de ses métairies; il pourrait certes le répéter devant ce même génie, réglant de même dans tous leurs détails, jusqu'aux moindres occupations de ses filles. Il avait tâché d'élever leur âme par une instruction libérale; il avait aussi voulu qu'elles se rendissent habiles à ces légers travaux de main, qui comblent utilement, pour les femmes, tant de lacunes dans la suite des heures. En dehors des moments consacrés aux travaux de l'esprit, tandis que les jeunes princes se livraient à l'exercice de l'équitation et des armes, les princesses s'appliquaient, selon

l'expression d'Éginhard, à manier la quenouille et

le fuseau.

Un système d'éducation si sage devait produire les meilleurs fruits. En fut-il ainsi? Écoutons encore Éginhard; voici ce qu'en peu de mots il continue de nous apprendre des filles de Charlemagne :

• Elles étaient fort belles et tendrement chéries » de leur père. On est donc fort étonné qu'il n'ait jamais voulu en marier aucune, soit à quelqu'un

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* des siens, soit à des étrangers. Jusqu'à sa mort, il les garda toutes près de lui, disant qu'il ne pouvait se passer de leur société. Aussi, quoiqu'il fût heureux sous les autres rapports, éprouva-t-il à l'occasion de ses filles la malignité » de la fortune. Mais il dissimula ses chagrins. Le discret Éginhard n'en dit pas davantage; toutefois c'est assez pour nous faire comprendre que ce père si tendre fut mal récompensé de ses soins. On sait d'ailleurs que l'un des premiers actes de Louis le Débonnaire, en prenant possession de la souveraine puissance, fut de chasser outrageusement ses sœurs de la cour, et de les enfermer dans des monastères. A quoi sert donc le développement de l'intelligence, s'il ne nous rend pas meilleurs? Réflexion décourageante à • faire, mais il faut voir dans quelles conditions s'opère ce développement. Bien que le respectueux biographe attribue à la malignité de la fortune les chagrins que les filles du grand empereur lui donnèrent, on devine facilement à travers des paroles que l'excès même de cet amour paternel porté jusqu'à la faiblesse, et entaché de tout l'égoïsme de la passion, en était pour une bonne part l'aveugle complice. Disons aussi que ni la sollicitude d'un père, ni la direction des plus habiles maîtres ne suffisent, sauf certains cas exceptionnels, à former les jeunes cœurs au sentiment du bien, s'il ne s'y joint la puissante influence d'une mère; et la rudesse teutonne de la reine Hildegarde, ou celle bien plus barbare encore de la reine Fastrade, qui lui succéda, était peu propre, nous devons en convenir, à faire éclore dans l'âme de leurs filles les douces vertus de la femme. APHÉLIE URBAIN.

(La fin au prochain numéro.)

BIBLIOGRAPHIE

Pour l'achat des livres dont nous rendons compte, prière de s'adresser directement aux Libraires-Éditeurs.

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Nos abonnées ont déjà fait connaissance avec maîtresse Thibaut, avec Thècle et Camille; elles éprouveront, en relisant cet intéressant ouvrage, le doux plaisir du revoir lorsque des amis se retrouvent tous ensemble, après s'être rencontrés par groupes.

Calixte nous donne, sous des initiales discrètes, un épisode que l'auteur déclare vrai,de la vie intime à la suite de la Révolution. Une nature douce et faible est en puissance d'un farouche régi ide, qui a voté sans sursis et sans appel au peuple. Il briserait la pauvre femme comme il a tout brisé, autel et trône; mais Calixte, tenant de lui la force, et de sa mère la bonté, se dresse entre ces deux êtres, console l'un et domine l'autre, tout en le craignant.

Il y a là un oubli entier de soi-même qui est la touche chrétienne. Quand tous devoirs sont accomplis, le cœur demande à vivre enfin de sa propre vie; un miroir le fait taire, et Calixte achève seule son pèlerinage que la charité rend utile et saint.

Tout cela, c'est de l'eau limpide, et nous sommes habituées à cette limpidité; mais si le voyageur, en longeant la côte, trouve une perle, il s'arrête longtemps sur la rive, il admire et se promet de revenir encore. Cette perle, c'est Saphira.

Ame d'élite, vraie fille d'Israël, bien digne de connaître le Messie, elle est entourée de ceux qui le croient un imposteur, et sa droiture la fait nécessairement arriver à la vérité. Ces pages, qui s'adressent à des esprits formés et sérieux, sont

pleines d'élévation; ce n'est ni amusant, ni joli, c'est simplement beau.

Par suite des relations imprudentes que notre société modérne, si facile, a laissées s'établir, il arrive un fait regrettable, et qui désormais se présentera souvent. Un jeune et loyal chrétien est frappé de la beauté modeste et sympathique d'une juive, qu'il rencontre dans un salon. Il avoue à sa mère, dans une lettre d'un naturel achevé, le charme qu'il trouve en Saphira, qui échappe par sa supériorité aux puériles coquetteries d'une foule de jeunes filles, que le spirituel officier prend pour ce qu'elles sont: des poupées qui parlent et qui dansent.

Bientôt, emporté par un sentiment aveugle, il ose demander Saphira à son grand-père. Le riche banquier s'étonne et hésite. Il trafique avec ceux qu'il appelle encore les Gentils, mais il les méprise.

La mère du jeune officier apprend la démarche de son fils, et lui répond avec l'effroi de la tendresse maternelle, émue par la foi religieuse. La lettre de son fils lui fait à la fois peur et compassion: - « Tu es pardonné, lui dit-elle, mais c'est » un pardon plein de larmes... tu n'as pas cherche » le conseil là où il se trouve... l'Église refuse de » bénir et de consacrer l'union d'un chrétien et » d'une juive. »

Un seul espoir adoucit le chagrin profond de madame de Jordeuil. Si la belle juive arrivait à la vérité ?..... Elle le mérite. Il faut essayer. Des relations fréquentes se sont établies après une fièvre cérébrale qui a mis Saphira en danger; son fiancé lui offrira un Nouveau-Testament. Ce livre, qui d'abord la blesse, lui ouvre bientôt des horizons inconnus. Son cœur bon s'émeut de la Passion du Divin Crucifié. Un peu plus tard, son esprit cultivé et logique est frappé du Discours sur 1 Histoire universelle de Bossuet, et dans ce profond désert d'une âme entourée par l'erreur, elle dit au fond d'elle-même ce mot qui, devant Dieu, la fait chrétienne de désir: Je crois.

Trop forte et trop vraie pour cacher longtemps. la lumière qu'elle doit à l'amour d'un chrétien, la juive refuse d'allumer la lampe du sabbat, et dé

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