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conférences et des lectures comme on en rencontre, je crois, chez tous les peuples civilisés, excepté dans notre pauvre France. Il ne s'agirait plus, bien entendu, de solliciter gratuitement l'amour propre de quelque débutant ou de mendier le discours de quelque orateur. Il n'y a absolument aucune raison pour que les classes riches et intelligentes sollicitent sans pudeur et acceptent sans honte l'aumône de la parole, comme elles ne rougissent point de le faire chez nous. N'est-il pas vrai, chères lectrices, que vous regarderiez comme une véritable bonne fortune de vous voir expliquer, en présence des plus beaux produits qu'elles ont enfantés, les lois du beau dans l'art pur, dans l'ornement et dans l'industrie? Il ne manque pas, dans cet immense palais, de salles vides et muettes, et l'on sortirait de ces entretiens avec l'heureux désir de vérifier soi-même, dans cette vaste expo

sition, les explications qu'on aurait entendues et les vérités qu'on aurait acquises. On ne verrait plus alors tant de gens, arrivés au bout de leur admiration et incapables de la soutenir par une intelligence suffisante, errer au milieu de ces merveilles et y promener, au bout de peu de temps, le regard indifférent d'un somnambule. Tout se classerait dans l'esprit; et l'imagination tour à tour surprise et égarée, ne confondrait plus, comme elle le fait trop souvent, les styles et les époques, tellement que, faute d'un enseignement pour les avertir, bien des personnes n'emportent d'un pareil spectacle qu'une véritable altération du goût.

Il s'agit maintenant de gravir l'escalier monumental et d'aller chercher au premier étage l'admirable Exposition des costumes.

ANTONIN RONDELET. (La suite au prochain numéro.)

BIBLIOGRAPHIE

Pour l'achat des livres dont nous rendons compte, prière de s'adresser directement aux Libraires-Éditeurs.

MANUEL DU VISITEUR DU PAUVRE

PAR DONA ARENAL DE CARRASCO.

Traduit par une Fille de la Charité.

Excellent livre qui nous vient de la déplorable Espagne. Dans ce pays si profondément troublé par la Révolution, la littérature ne tient guère de place, mais le catholicisme, son esprit, ses dogmes, ses œuvres, ont eu cependant le privilége d'inspirer quelques âmes supérieures, qui se sont souvenues que Castille et Aragon avaient régné par l'intelligence aussi bien que par les armes; Donoso-Cortez, l'homme à la parole ardente, le défenseur des droits de l'Église; Balmès, cet éloquent apologiste; Fernan Caballero, ce charmant romancier, et l'auteur qui nous occupe en ce moment, et qui s'inspire admirablement de l'âme de saint Vincent de Paul,suffiraient à prouver que la religion, qui a fait la gloire de l'Espagne, seule nourrit encore sur cette terre, jadis privilégiée, des âmes élevées, des esprits enthousiastes et des caractères généreux.

Madame Arenal de Carrasco connaît parfaitement les pauvres et la profondeur de leurs

misères; elle sait comment, avec quelle discrétion, quelle délicatesse et quelle bonté on peut, on doit les soulager. Son Manuel de Charité est dicté par le cœur, et éclairé par l'expérience; les plus vieux visiteurs des pauvres, les dames de charité les plus consommées dans ce pieux ministère, gagneraient à lire ce livre, à la fois spirituel et pratique, touchant et convaincant. Il serait aussi d'une excellente lecture dans les assemblées, conférences, etc., où l'on s'occupe des soins et de la visite des indigents. Je citerai un passage sur l'exactitude, qui est plein de sens et plein d'âme :

Que l'exactitude à porter des secours est chose nécessaire ! C'est un devoir si facile à remplir et qu'il est si horrible d'oublier! A peine conçoit-on qu'il soit nécessaire d'en parler à des personnes engagées volontairement à visiter le pauvre. Voilà une famille plongée dans la misère, la mère n'a que des larmes à donner à ses enfants qui demandent du pain; comme elle compte les heures de cette matinée qui doit vous amener auprès d'elle! que de fois elle ouvre la fenêtre, écoute, épie le moindre bruit... La nuit arrive, la porte se ferme, plus d'espoir! celui qui devait consoler cette pauvre famille a été à ses affaires, à

ses plaisirs, et ce secours, resté dans son portefeuille, ne dit rien ni à son cœur, ni à sa conscience! Ces bons sont le pain du pauvre, sa légitime propriété. Nous trompons la confiance de celui qui nous donne la sainte mission de consoler les affligés, chaque minute de retard est une fraude: qui sera responsable du désespoir de cette famille espérant en vain? qui sera responsable du blasphème que formulent ces lèvres, du crime que médite ce cœur, peut-être! les tribunaux humains ne nous condamneront pas, mais le tribunal de Dieu!... »

Quoique l'auteur n'écrive que pour les personnes engagées dans les œuvres de charité, chacun de nous peut s'appliquer ces paroles; nous connaissons toutes des pauvres, et souvent leurs besoins, leur faim, leur nudité ne viennent qu'après toutes les affaires, après tous les plaisirs. A eux les derniers restes: restes de table, restes de temps, restes d'argent...

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Voici maintenant des conseils féminins et tout à fait pratiques:

« Comme le désordre dans les vêtements est presque toujours la faute des femmes, c'est à elles surtout qu'il faut s'adresser, en en appelant à leurs affections tendres, à leur amour-propre, à leur instinct d'abnégation. Un objet qu'elle ne soignerait pas pour elle-même, votre protégée le soignera, parce que c'est vous qui le lui avez apporté, ou le jour de sa fête, ou le jour de la vôtre, en le lui offrant comme souvenir. Elle se mettra peutêtre à coudre, parce que vous lui aurez donné une petite boîte contenant du fil, des aiguilles, un dé. Elle le fera par gratitude, par le désir de vous plaire. Admirons la beauté de ses enfants, qui ressortirait bien davantage si on leur lavait le visage, et un jour, en badinant, tirons de notre poche, un morceau de savon, et demandons: Qui saura bien se laver ? et à celui qui se laissera faire sans pleurer, offrons un petit présent...

Cela n'est pas bien difficile, mais cela n'en est pas moins bon. Le chapitre sur les malades et sur le soin qu'on doit prendre de leur faire plaisir, est bien touchant. Il y a là une histoire, bien mouvante, de poires, qui ont amené la conversion d'un mourant.

Je voudrais que nos jeunes lectrices connussent ce livre; elles y apprendraient pratiquement la vertu, reine du christianisme, la vertu qui a réconcilié les païens avec l'austérité de la croix, la vertu sans laquelle notre monde moderne sombrera dans un grand naufrage, la charité, et elles auraient un charmant volume de plus dans leur bibliothèque (1).

(1) Chez Bray et Rétaux, S2, rue Bonaparte, Paris, Un petit volume. Prix: 75 centimes.

JOURNAL D'UN VOLONTAIRE D'UN AN

PAR M. VALERY RADOT.

Toutes nos lectrices connaissent les nouvelles lois militaires, elles les connaissent par l'inquiétude et la préoccupation que ces lois nécessaires, inévitables, hélas! ont jetées au foyer paternel; ellesmêmes se sont émues sur le sort de leur frère, Volontaire d'un an, qui allait quitter pour la ca serne, le doux home; pour les corvées et les marches, de tranquilles études; pour des compagnons pris au hasard, des relations douces et choisies. Elles ont pleuré en recevant les premières lettres du cher absent, celles où, sous une gaieté d'emprunt, il déguisait ses premières épreuves, où il décrivait le lit peu moelleux, le réveil matinal, les rudes travaux, les courts repas, la camaraderie un peu grossière de ses nouveaux émules, pris la veille à la charrue ou à l'établi.

Un jeune volontaire a raconté avec sincérité, en un volume, sa vie d'un an, jour par jour, avec une franchise qui gagne la confiance. Il n'a pas dissimulé les épreuves de ce rude noviciat militaire; il n'a caché ni les dégoûts, ni les sueurs, ni les courbatures, ni les fatigues, ni les tristesses, mais tout en mangeant de la vache enragée, il a trouvé que, comme le disait madame de Girardin, c'est un plat qu'il faut connaître. On peut conclure, en effet, de ce travail, que les jeunes gens les mieux élevés et les mieux trempés ne peuvent que gagner à cette année de sacrifices, de labeur et d'obéissance. Leur intelligence n'y perdra point; leur caractère y gagnera et s'y fortifiera.

Nous recommandons cet ouvrage aux pères et aux mères de famille; beaucoup d'esprit l'assaisonne, et les parents y apprendront à connaître les détails du stage réservé à leurs fils; ils en apprécieront les avantages, ils en verront les périls, et, bien informés, ils pourront exhorter et prévenir (1).

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V

OICI l'hiver, saison des plaisirs, - saison de misère, saison du plus grand des plaisirs, la charité; l'hiver avec ses longues nuits, les froides morsures du vent, ses ouragans de neige et de pluie, l'hiver avec ses spectacles et ses fêtes!

La jeunesse est avide de ces divertissements, qui, plus tard et lorsqu'on parvient à l'automne de la vie, apparaissent si creux et si puérils; une femme de quarante ou de cinquante ans, invitée à une soirée ou à un bal, et prête à endosser le somptueux harnais qu'elle voit préparé : la charmante coiffure de dentelles et de fleurs, la robe de satin gris ou brun, fait souvent ce qu'a fait un jeune homme de mes amis: il se déshabilla et se coucha en disant :

« Cela ne vaut pas la peine. »

Nous n'attendons pas de vous, chères lectrices, une pareille philosophie; vous aimez un peu le monde; une soirée de famille et d'amis vous amuse; une grande soirée vous émeut; un bal vous préoccupe; un concert vous intéresse ; une partie de spectacle réveille votre imagination et vous poursuit longtemps encore après que le rideau s'est abaissé, que Valentine a repris son waterproof et ses caoutchoucs, ou son coupé si l'artiste est une étoile, et Faust ou Raoul son paletot et son parapluie. Rêves, enchantements, illusions sont de votre âge, et rencontrent autour de vous l'indulgence; pourtant, entre ces plaisirs, les uns permis, les autres tolérés pour quelques-uns, défendus pour le plus grand nombre, il faut faire un choix, et ne pas se décider pour ce qui amuse davantage. Je crois que les représentations théâtrales pourraient être dans ce dernier cas; l'imagination, le cœur, les yeux, les oreilles sont captivés par ces scènes chimériques, qui nous transportent hors du réel, dans un monde factice, qui ne vit que de passion et de mensonge.

<< Entre tous les divertissements que le monde » a inventés, disait Pascal, il n'y en a point qui » soit plus à craindre que la comédie. »

S'il parlait ainsi au temps de Louis XIV, lorsque la comédie ne représentait que ces pièces magni

fiques, honneur de la langue française, le Cid, Andromaque, Polyeucte, Iphigénie, que dirait-il aujourd'hui ? Alors la vertu figurait sur la scène, aimable, honorée, triomphante; aujourd'hui des fautes et des crimes, dont le nom doit vous être inconnu, forment la trame des scènes théâtrales. Les cérémonies les plus saintes de notre religion se sont jouées devant la rampe, et si vous assistiez à Robert ou à la Juive, vos yeux seraient offensés à la vue des acteurs revêtus des ornements consacrés à l'autel, et vos oreilles attristées en entendant nos chants religieux, nos hymnes sacrées, mêlés aux chansons bachiques. Je ne parle ici que des pièces sérieuses, tragédie, haute comédie, drame, grand opéra; si nous descendons, que rencontrons-nous? le ballet, scandale des yeux; le vaudeville, scandale des oreilles; une fille délicate et modeste, une chrétienne peut-elle impunément affronter de tels spectacles et de tels discours? Si vous hésitez à cet égard, écoutez donc les paroles de Massillon:

« Vous me demandez sans cesse si les spectacles » sont innocents pour les chrétiens? Je n'ai à mon » tour qu'une demande à vous faire: Sont-ce les » œuvres de Satan ou celles de Jésus-Christ?... » Pouvez-vous rapporter à Jésus-Christ les plaisirs » des théâtres? Et avant que d'y entrer, pourriez» vous lui dire que vous ne vous proposez dans » cette action que sa volonté, sa gloire et le désir » de lui plaire ?..... »

A cette demande du grand évêque la réponse ne saurait être douteuse.

Nos lectrices, éclairées et pieuses, nous permettront de leur offrir ces courtes réflexions, à l'entrée de cette saison qu'on nomme celle des plaisirs; que de fois ces plaisirs dangereux ont perdu de jeunes âmes, et combien d'autres elles ont laissé profondément désenchantées! Les plaisirs sains et saints, ceux qu'on goûte en famille, avec quelques amis, les nobles plaisirs de l'esprit, les plaisirs plus doux, plus nobles encore de la charité ne laissent ni ennui, ni amertume, ni dégoût. Demandez plutôt à une femme du monde, et si elle est sincère, elle vous dira ce que lui ont

coûté en bonheur, en tranquillité, en santé, les grands bals, les théâtres, les fêtes, charmants d'apparence et pleins de cendre sinon de fiel !

Usez donc des plaisirs, mais en sachant faire parmi eux un choix qui ne laisse pas de place au repentir; défiez-vous du théâtre, défiez-vous des plaisirs publics en général, et préférez-leur des réunions d'amies, de parents; un joli dîner, une soirée intime, un petit bal même, entre gens qui se connaissent et s'estiment; voilà des amusements qui laissent la bourse en paix et ne troublent ni le cœur ni la conscience. Après une soirée passée avec ses amies et sa famille, on se réveille en bonne disposition pour la journée; la prière, le travail, le devoir enfin ne sont pas troublés par un souvenir ardent des plaisirs de la veille, une musique étrangère, inconnue, enivrante, ne jette pas

ses accords dangereux parmi vos pensées habituelles; vous n'aurez pas fait non plus des dépenses folles, et vous trouverez dans votre caisse de ménage ou dans votre épargne de jeune fille, quelques pièces de cinq francs pour les pauvres. Ce ne sont pas des plaisirs qu'ils demandent, eux, c'est le strict nécessaire, c'est le pain pour apaiser la faim; c'est un vêtement pour couvrir des membres glacés; c'est, pour cet enfant malade, un œuf ou un bouillon; pour ce vieillard, un verre de vin. Que de bons de pain et de viande dans un billet de spectacle! que de bons gilets de laine, pour couvrir des poitrines souffreteuses, dans cette couronne de fleurs! que de loyers, le loyer, ce souci du pauvre! dans cette robe de gaze! Réfléchissez, comparez et choisissez.

M. B.

FABIENNE ET SON PÈRE

L

I

LA FIN DE LA CLASSE.

'ÉTUDE du soir finissait au collége de C...; les portes, enfin ouvertes, vomissaient le flot bruyant des écoliers; les petits couraient en avant, affolés d'air et de liberté ; les grands, rhétoriciens ou philosophes, marchaient par groupes, allumaient d'un air vainqueur cigares et cigarettes, et la casquette sur l'oreille, devisaient avec vivacité. Les philosophes surtout se montraient prodigieusement animés, et il était évident que ce n'étaient ni Leibnitz, ni Malebranche, ni Condillac, ni Dugald-Stewart, qui excitaient leur verve.

« Vous verrez tous, disait un des plus grands, vous verrez que, cette fois-ci, le père Dallines sera décavé.

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Eh bien, moi, dit un autre jeune homme, si l'on casse aux gages le père Dallines, je ne le regretterai pas du tout cette petite doctrine éclectique aboutit tout droit au néant; ce que je trouve désolant et absurde. Remarquez donc, messieurs, qu'en parcourant, comme il l'a fait aujourd'hui, l'histoire de la pensée humaine, il commente Socrate et Platon, il glisse sur Thomas d'Aquin, sur Bacon, sur Descartes, sur Malebranche; mais il insiste sur les Allemands; il est panthéiste avec Schelling; matérialiste avec Hegel; impie avec tous, et si cela dure, je prierai mon père de me retirer du collége et de me faire faire ma philosophie au petit séminaire; cela m'ennuie de m'entendre répéter tous les jours que si rien ne vient de rien, cela retourne à rien. »

Cette protestation, qui ne manquait pas de cou

rage, car, hélas! de nos jours, parmi les jeunes gens, le doute flétrit les uns, le respect humain abaisse les autres, fut accueillie par un silence. Pourtant un des rieurs de la bande cria:

<< Bravo! Gaston, je ne désespère pas de te voir enseigner la Somme de saint Thomas à ton petit séminaire.

- Il n'est pas question de cela, dit l'autre ; il est question de ne pas nous abrutir dans les nuages et la fumée des Allemands.

- Pour moi, dit un jeune garçon, dont le masque pâle n'avait pas une expression douce, je serai enchanté de voir décamper le père Dallines, non à cause de sa philosophie, dont je me moque, mais parce que cela fera enrager son cancre de fils, ce Raymond, qui ne fait rien, et que tout le monde ici ménage. Mon petit frère est dans la même classe, et il faut entendre ce qu'il en dit.

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II

INTÉRIEUR DE FAMILLE.

C'était une belle maison que celle du professeur Dallines, maison de province, tranquille, aérée, à la physionomie respectable, et qui avait vu naître et mourir bien des générations; elle portait la date de 1750 sculptée parmi les ancres de sa façade. On y montait par trois marches en pierre, toujours blanches et nettes; car la ville où se passent ces scènes est située bien au nord de Paris; on entrait dans un vestibule dallé en marbre et boisé à l'ancienne mode. Un escalier avec une belle rampe à balustres menait au premier étage. Une porte au fond descendait dans un jardin où le professeur cultivait une collection de glaïeuls, célèbre dans le pays. Des portes de chêne, aux ferrures de cuivre, conduisaient dans les divers appartements du rez-de-chaussée, tous spacieux, hauts d'étage, et prenant jour, les uns sur la rue paisible et un peu triste, les autres sur le jardin que le doux soleil visitait pendant de longues heures. L'ancienne étude de maître Vital servait de salle à manger et de résidence habituelle à la famille; et en ce moment, madame Dallines tricotait, à côté de la table où le couvert était déjà dressé pour le souper. Sa fille Fabienne profitait des clartés mourantes du jour et faisait jouer l'aiguille; le petit frère Raymond, assis à un bureau placé près de la seconde fenêtre, écrivait ses devoirs ou faisait semblant. Ce jeune Raymond, blondin de treize ans, grand, fluet était à cette époque indécise où les traits et le caractère n'offrent pas encore de lignes précises. En le voyant, on se demandait : Sera-t-il bon ? sera-t-il mauvais? Question terrible qu'un visage adolescent évoque trop souvent. En attendant l'avenir, Raymond était volontiers grognon et brusque, même avec sa mère, même avec sa sœur.

Fabienne, plus âgée que lui de six ans, se montrait dans le plein épanouissement de sa jeunesse et de sa beauté. En ce moment, le dernier rayon du soleil illuminait un joli pastel suspendu en face des fenêtres et qui représentait madame Dallines à vingt ans ; le modèle, fané par les années et les soucis, ne ressemblait plus à sa jeune et souriante image; mais cette figure aimable, cette douce fraîcheur, ces beaux cheveux bruns, ces yeux, bruns aussi, pleins de sincérité et de bonté, ce col élégant, c'était là Fabienne; il semblait au cœur charmé de sa mère que sa propre jeunesse se levait devant elle lorsqu'elle regardait son enfant. « J'étais ainsi ! » pouvait-elle se dire!

Et en voyant dans la glace son visage amaigri: « Et elle sera ainsi !... »

Fabienne avait plié sa broderie; elle regardait Raymond, qui avait la tête baissée sur ses cahiers, et elle lui dit doucement:

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