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Du chevalier le noble rôle;

Je ne suis plus, hélas! qu'un souvenir,

A moins que ce bon temps ne puisse revenir...
Changeant de genre, je foisonne

Beaucoup trop dans ce siècle, en abus si fécond;
Destinée à nourrir, quelquefois j'empoisonne,

Je creuse sous les pas un abîme profond.
Souvent aussi je suis fort innocente,
Mais vide, et de sel trop exempte.
Me réduire serait sagesse, assurément,
Et me contrôler nécessaire:

Car il ne suffit pas qu'au goût je puisse plaire,
Je dois être un sain aliment.

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Explication du Rébus d'Avril : L'ignorance est injuste envers tout le monde.

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JOURNAL

DES

DEMOISELLES

HISTOIRE ET ROMANS

(SUITE).

S

II

'IL faut en croire un dicton populaire, quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes.

Les dictons populaires ne sont pas heureusement articles de foi. De celui-ci, qu'on explique d'ailleurs par je ne sais quel usage du vieux temps, les Champenois ne font que rire, et ils ont bien raison. Quelque interprétation qu'on y donne, le voyageur passant par Vitry-le-Français n'en salue pas moins avec respect la statue de Royer-Collard. Pour peu qu'il ne soit pas tout à fait indifférent aux choses d'autrefois, il se souvient aussi, sans même avoir besoin de passer par Châtillon-surMarne, qu'à la distance de huit siècles en arrière, un autre fils de la Champagne remuait tous les cœurs par la puissance de sa parole au concile de Clermont, et en tirait ce tonnant Dieu le veut ! Dieu le veut! qui lançait l'Europe sur l'Asie. Entre le pape Urbain II et Royer-Collard, bien des noms pourraient se placer; bornons-nous ici à constater que Ville-Hardouin et Joinville, qui ouvrent la série si longue et si riche de nos prosateurs, de même que l'ancien romancier Chrestien

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de Troyes, de même que le gracieux trouvère Thibaut, roi de Navarre, étaient Champenois. Cela nous suffit bien pour conclure que leur province, non contente de porter dans toutes les parties du monde, avec les produits de ses crus fameux, le renom de la France, a fourni autant que d'autres, à la commune patrie, son contingent de souvenirs glorieux.

Geoffroi de Ville-Hardouin, maréchal de Champagne, nous raconte, dans son énergique et primitif langage du treizième siècle, la conquête de Constantinople, où alla s'égarer et se perdre la quatrième croisade. Il la décrit d'une manière d'autant plus animée que lui-même, comme guerrier, comme conseiller ou négociateur, joua dans les divers épisodes qui la signalèrent le rôle le plus important.

A côté de l'intérêt qu'on trouve dans la narration, ce qui frappe d'abord ici, c'est une abnégation parfaite de toute personnalité, dans le narrateur. Le Je et le Moi, ces pronoms si chers à tant d'écrivains, surtout à ceux de nos jours, sont absents de ses récits. Quand il parle de lui, c'est à la troisième personne, et, en pareil cas, il nomme Geoffroi de Ville-Hardouin, ou le maréchal de Champagne, aussi froidement, aussi sim

QUARANTE-TROISIÈME ANNÉE. - N° VI. JUIN 1875.

II

plement, que s'il s'agissait d'un étranger. Ou pourrait douter qu'il fût l'auteur même du livre, si, par moments, il ne s'arrêtait pour nous dire fièrement :

« Et bien le témoigne Joffrois, li Maréchal de Champagne, qui ceste œuvre dicta, et onques » ne ment d'un mot à son escient; comme aussi » ayant été de tous les conseils. »

C'est au milieu des luttes sanglantes qui suivirent l'établissement éphémère de l'empire latin, que le véridique maréchal dictait, comme il vient de le dire, ses Mémoires, sans doute à quelque clerc attaché à son service. Quant à les écrire de sa propre main, tout donne lieu de croire qu'il n'en eût été plus capable que les autres barons de son temps. C'est donc sa parole que nous entendons, et non le style travaillé d'un auteur lettré que nous lisons; et cette parole familière, dans sa nerveuse allure, imprime à son œuvre le mouvement et un puissant souffle de vie.

pas

Sans s'attarder dans le moindre préambule, mais allant droit au fait, comme il en usera tout le long de la relation, il débute ainsi :

«Sachez que l'an mille-cent-quatre-vingt et » dix-huit après l'incarnation de Notre-Seigneur » Jésus-Christ, au temps d'Innocent III apostoille » de Rome, de Philippe roy de France, de Richard » roy d'Angleterre, il y eut un saint homme en » France, ayant nom Foulque de Neuilly...... Et »ce Foulque dont je vous dis, commença à parler » de Dieu par France et les autres terres d'alen

» tour. »>

Or, parmi les grands fiefs relevant de la couronne, brillait alors le comté de Champagne. Le jeune comte Thibaut avait dans sa parenté et ses alliances de quoi soutenir cet éclat. Neveu par sa mère du roi de France, frère d'un roi de Jérusalem, marié à l'héritière de Navarre, dont la couronne devait passer à son fils, sans compter le laurier poétique que celui-ci se ferait honneur d'y joindre, comme nous le rappelions tout à l'heure, il en tirait plus encore de ses qualités personnelles, car il était le modèle accompli de toutes les vertus chevaleresques.

Le comte tenait en ce moment sa cour au château d'Ecry-sur-Aisne. Une foule de puissants seigneurs et de vaillants hommes de guerre s'y étaient rendus, sur son invitation, pour prendre part à un grand tournoi. On sait ce qu'étaient les tournois, occasions non-seulement de brillants coups de lance, mais de plaisirs et de fêtes splendides. Tout à coup, au milieu de la magnifique réunion à laquelle présidait la charmante comtesse Blanche de Navarre, entourée de dames et de damoiselles du plus haut parage, se présente un humble prêtre : le bâton du voyageur est dans a main; ses pieds et ses vêtements poudreux annoncent qu'il a longtemps marché. Une grande tristesse est empreinte sur son visage; mais un feu surnaturel illumine son regard. Il élève la voix les trompettes se taisent, les ménestrels

font silence, chacun écoute dans une avide et immobile attente. Cette voix fait entendre de nouvelles lamentations de Jérémie; en présence des grands et des heureux de ce monde, elle répète les gémissements de Jérusalem captive aux mains des infidèles. Des pleurs coulent de tous les yeux. L'éloquence de Foulques ne soulève pas, comme jadis celle de Pierre l'Ermite ou de saint Bernard, les masses populaires; mais une croisade des plus nobles chevaliers s'organise à l'instant. Le comte Thibaut jure de courir à la délivrance du SaintSépulcre; tous ses illustres hôtes font le même serment et marcheront sous sa bannière.

Le mouvement ne reste pas enfermé dans les limites de la Champagne; il gagne les provinces voisines. Louis, comte de Blois, cousin germain de Thibaut, Baudoin, comte de Flandre et de Hainaut, son puissant beau-frère, se font avec lui les promoteurs ardents de la sainte entreprise. Tandis que le zèle des trois chefs en active les préparatifs, six députés choisis par eux d'un commun accord, et parmi lesquels figure le maréchal de Champagne, se rendent à Venise, afin d'y négocier le passage des croisés en Orient sur les galères de la République.

L'impression que l'aspect de cette reine de l'Adriatique, si différente, par ses mœurs et son gouvernement de la France féodale, fit nécessairement sur les députés dut être vive; mais VilleHardouin, tout occupé de l'importance de sa mission, n'a pas jugé à propos de nous en rendre compte. Pourtant, malgré l'absence de toute phrase à effet, — peut-être à cause de cela même, un vif intérêt s'attache aux incidents de son ambassade à Venise.

Tout d'abord, il nous place en présence d'un personnage éminemment digne de l'exciter; puissante nature qui nous étonne et attire notre sympathie : c'est le doge Arrigo Dandolo.

Après avoir servi glorieusement et longtemps sa patrie dans la guerre et dans la paix, Dandolo, élevé par elle à la suprême magistrature, gérait encore, aveugle et plus que nonagénaire, les affaires de cette patrie, le premier culte de son cœur, avec toute la vigueur et toute la lucide sagesse d'un homme dans la force de l'âge. Touché des malheurs de Jérusalem, et, voyant en outre, dans l'expédition proposée un moyen pour Venise de disputer en Orient la prépondérance maritime aux Pisans, il accueille avec faveur les députés, et conclut avec eux un traité qui met à la disposition des croisés les galères et le concours de la République, à des conditions fort avantageuses pour elle, mais assez onéreuses pour eux, il faut le reconnaître.

Que leur importait, à ces chevaliers de France? Si ce n'était pas encore au profit d'une idée, c'était au profit d'un sentiment qu'ils allaient eux, tirer l'épée, et prodiguer, sans compter, leur fortune, leur sang et leur vie. Quant à un avantage matériel et positif quelconque, à moins que

ce ne fût sous forme de royaumes ou de seigneuries à conquérir, chose à quoi songeaient peutêtre les plus ambitieux, ils ne s'en préoccupaient guère.

On avait la signature du doge; mais seule elle ne suffisait pas; il fallait pour valider le traité, un autre consentement que le sien.

Ici s'ouvre devant nous, dans le bref et simple récit de Ville-Hardouin, une scène grandiose, faite pour frapper vivement l'imagination.

Le gouvernement de Venise n'avait pas encore pris la forme exclusivement aristocratique qui devint la sienne un siècle plus tard. Une assemblée du peuple est donc convoquée; elle a pour salle de délibérations l'enceinte même de Saint-Marc. Dix mille citoyens, dans l'exercice de leur droit souverain, sont là réunis. Les six députés paraissent devant eux; c'est Ville-Hardouin qui porte la parole. Dans quelques phrases courtes et précises, sans autre éloquence que celle des sentiments vrais, la plus irrésistible de toutes, il coujure les Vénitiens, au nom de Jérusalem captive, au nom du Christ outragé, de prêter assistance aux pèlerins armés pour venger l'un et l'autre. « Ceux qui nous envoient, ajoute-t-il, nous ont ordonné de vous en faire la demande à genoux, et d'y rester jusqu'à ce que vous nous l'ayez octroyée. »

Le maréchal de Champagne, ainsi que ses collègues, qui suivent son exemple, se prosterne en effet sur le pavé de l'église, en versant des larmes abondantes. « Moult plorant, » dit-il.

Ils sont à genoux, les fiers barons, à genoux devant ces marchands et ces marins, qu'ailleurs peut-être ils eussent à peine compté pour des hommes! Ils pleurent, ces guerriers intrépides, accoutumés à regarder en face le péril et la mort, sans que leur cœur en batte ni plus ni moins vite! Une indicible émotion s'empare de l'assemblée entière. « Nous l'octroyons,» dit le doge; et dix mille voix, éclatant comme un immense tonnerre sous les voûtes de Saint-Marc, s'y confondent dans un seul et même cri : « Nous l'octroyons! nous l'octroyons! >>

L'acclamation enthousiaste ébranle les murs de la superbe basilique; il semblait, selon l'expression du narrateur que terre fondist (que la terre s'abîmât.) Mille échos retentissants y répondent du dehors, et tout le peuple de Venise s'associe de cœur comme de parole à la nouvelle croisade.

Après un adieu cordial au doge et aux principaux Vénitiens, après « maintes larmes plorées de « tendresse et de joie » les six députés regagnent la France, heureux d'apporter à la cour de Champagne de si bonnes nouvelles.

Hélas! leur allégresse devait être courte. Atteint en leur absence d'un mal incurable, le comte Thibaut touchait aux portes du tombeau. Cependant le retour des envoyés et le succès de leur voyage paraissent d'abord lui rendre quelque force. Il veut revêtir son armure, il veut monter

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La mort du jeune et généreux comte ne jetait pas seulement le deuil dans sa famille et parmi ses serviteurs; elle laissait sans chef l'entreprise pour le triomphe de laquelle, en mourant, il léguait à ses compagnons, avec ses vœux ardents, ses guerriers et ses trésors. Une nouvelle mission est par eux confiée à l'habileté de Ville-Hardouin. Accompagné du sénéchal Geoffroi de Joinville et de Mathieu, sire de Montmorency, il va porter à plusieurs seigneurs de marque leur offre ou plutôt leur prière de prendre la place du comte Thibaut, et n'en obtient que des refus qu'il qualifie sévèrement. Enfin, sur son conseil, les croisés s'adressent hors de France, au marquis Boniface de Montferrat, et celui-ci se rend à leur appel.

La première entrevue du marquis avec ceux qui l'ont mandé se passe en plein air, dans un verger de l'Abbaye à Madame Sainte-Marie de Soissons.» Là encore on se met à genoux; là encore mainte larme est versée. Les larmes jouent un grand rôle dans les négociations de cette époque. C'est un argument dont la diplomatie fait peu d'usage aujourd'hui, et si quelque apprenti dans cette carrière s'avisait de l'employer, il en retirerait un médiocre renom d'habileté; mais alors l'effet en était puissant. Le marquis de Montferrat y cède gracieusement; il accepte l'héritage de Thibaut, et chacun retournant chez soi, ne s'occupe plus que des apprêts du départ.

Venise devait être le rendez-vous général des croisés. C'est là qu'un peu plus tard, la narration de Ville-Hardouin nous ramène, au milieu de nouvelles scènes plus émouvantes encore que les premières.

Les principaux barons sont réunis dans la ville des lagunes, mais on dirait qu'un mauvais sort s'attache obstinément à leur, entreprise. Après avoir amèrement pleuré le comte Thibaut, ils viennent de pleurer à son tour Foulques de Neuilly. Maintenant ils sont là, devant ces vaisseaux qui les attendent; ils brûlent de partir, et se voient retenir malgré eux sur le rivage, dans un état d'angoisse et d'humiliation cruel pour de loyaux chevaliers. Plusieurs des chefs de l'ar mée, sans tenir compte des conditions du traité conclu avec la République, ont pris une autre route, et gagné d'autres ports pour s'y embarquer, laissant leurs compagnons d'armes en face de ces conditions, qu'un abandon si imprévu les mettait dans l'impossibilité de remplir. Cependant, il faut dégager leur parole; il faut, quoi qu'il en coûte, éviter la honte de voir échouer misérablement la sainte expédition. Que faire? 85,000 marcs d'argent, c'est-à-dire environ trois millions de notre monnaie, étaient le prix auquel Venise leur vendait ses services. Le comte de

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