Page images
PDF
EPUB

maître des cérémonies, qui régloit toute cette marche, & qui empêchoit la foule, homme déja âgé, tenant une baguette à la main & une couronne, s'avança vers Caton qui marchoit le premier; & fans le faluer ni lui faire le moindre honneur, il lui demanda où ils avoient laiffé Démétrius, & s'il arriveroit bientôt? Ce Démétrius étoit un affranchi de Pompée ; & alors toute la terre, ayant les yeux attachés fur Pompée, faifoit indignement la cour à fon affranchi, parce qu'il étoit tout-puiffant auprès de fon maître.

A cette demande, tous les amis de Caton fe prirent à rire à gorge déployée avec tant de force qu'ils ne pouvoient revenir à eux, & qu'en éclatant ainfi ils traverferent la foule. Caton confus s'écria: (a) ô la malheureuse ville! fans dire une feule parole de plus. Mais dans la fuite il avoit accoutumé de rire de fa méprife, foit qu'il en fît le conte ou qu'il ne fit que s'en reffouvenir. Mais Pompée corrigea bien les hommes, & les empêcha de commettre par ignorance de ces fortes de fautes envers Caton; car Caton étant arrivé à Ephefe, & s'étant mis en marche pour aller faluer Pompée, comme celui qui étoit plus âgé que lui, conftitué en plus grande dignité, & d'une plus grande réputation, & qui commandoit alors les plus grandes armées de l'empire; Pompée, qui le vit venir de loin, ne voulut pas l'attendre fur fon siege, mais il

(a) C'étoit la feule chofe qu'il y avoit à dire en cette Tome VIII.

occafion. Ce mot pourroit
fouvent trouver sa place.
B

alla au-devant de lui, comme d'un des plus grands perfonnages de Rome; & lui tendant la main, il le careffa & l'embraffa avec toutes les marques de bienveillance & d'eftime, donna de grands éloges à fa vertu en fa préfence, & de plus grands encore quand il fe fut retiré; de forte que dès ce moment-là tout le monde fe tourna vers Caton, & n'eut d'attention que pour lui; & on commença à l'admirer fur les chofes mêmes qui le faifoient méprifer auparavant, & à reconnoître de plus près fa douceur & fa grandeur d'ame. L'on ne fut pas long-tems fans s'appercevoir que ce bon accueil de Pompée & fon empreffement pour lui, étoient plutôt l'effet de l'eftime & du refpect qu'il avoit pour fa vertu, que d'aucune affection qu'il eût pour fa perfonne. Et on connut très-clairement qu'il ne pouvoit s'empêcher de lui marquer une grande admiration, & de lui faire de grands honneurs pendant qu'il l'eut auprès de lui, mais qu'il fut charmé de le voir partir. Car tous les autres jeunes Romains qui l'alloient voir, il s'efforçoit de les retenir, & leur témoignoit la paffion qu'il avoit qu'ils vouluffent refter auprès de lui; au lieu qu'il ne fit pas la moindre démarche pour retenir Caton, & ne lui en ouvrit pas la bouche. Au contraire, comme fi Caton préfent eût été un cenfeur qui lui eût demandé compte de toutes fes actions, & contrôlé fon autorité, il lui donna congé avec un très-grand plaifir. Il eft vrai qu'il lui recommanda fa femme & fes enfans,

honneur qu'il n'avoit encore fait à aucun de ceux qui étoient retournés à Rome. Mais il faut dire auffi qu'ils lui appartenoient, & qu'ils étoient fes proches parens.

Depuis ce tems-là, toutes les villes par où il paffoit, déja pleines de fa réputation, s'empreffoient à l'envi à qui lui feroit le plus d'honneur. Ce n'étoient par-tout que banquets & grandes fêtes qu'on lui donnoit ; & au milieu de ces grandes réjouiffances, il prioit fes amis de prendre garde à lui, de peur que, fans. s'en appercevoir, il ne confirmât un mot quel Curion lui avoit dit autrefois. Ce Curion, fâché de voir l'austérité de Caton qui étoit fon ami & fon camarade, lui demanda un jour, fi après le tems de fa charge expiré, il ne feroit pas bien aife d'aller voir l'Afie. Caton lui ayant répondu qu'il en feroit ravi: tu feras fort bien, repartit Curion, car tu reviendras de-là plus doux & plus traitable ; & il se fervit d'un mot latin (a) qui fignifie proprement cela.

Déjotarus, roi de la Galatie, envoya prier Caton de le venir voir, car il étoit déja vieux , & il vouloit lui recommander & mettre fous fa protection fes enfans & toute fa maifon. Dès qu'il fut arrivé à la cour, le roi lui envoya toutes fortes de magnifiques préfens pour gagner fa faveur, & employa tous les moyens imaginables & les prieres les plus preffantes pour le porter à les recevoir. Caton fut fi irrité de ces démarches, qu'étant (a) Manfuetier.

arrivé le soir, il ne fit que coucher dans fon palais, & partit le lendemain vers la troifiéme heure du jour. Mais le foir en arrivant à la premiere couchée qui étoit à Peffinonte, il y trouva une plus grande quantité de préfens encore plus riches qui l'y attendoient, avec des lettres de Déjotarus qui le conjuroit de les agréer; ou, s'il ne vouloit pas lui faire cet honneur, de permettre au moins à fes amis de les prendre: Car, difoit-il, ils font bien dignes de recevoir du bien de vous, mais vous n'en avez pas affez pour les enrichir comme ils le méritent. Caton ne le voulut jamais fouffrir, quoiqu'il en vît plufieurs qui étoient tentés & qui murmuroient tout bas de ne pas profiter de cette occafion. Mais il leur dit que, s'ils prenoient ces préfens, cela fourniroit des prétextes à toutes les exactions & à toutes les concuffions, & que fes amis partageroient toujours avec lui tout le bien qu'il auroit acquis par des voies juftes & honnêtes. Ainfi il renvoya à Déjotarus fes riches préfens,

Comme il étoit prêt à s'embarquer pour repaffer à Brundufe, fes amis lui représenterent qu'il falloit mettre dans un autre vaiffeau les cendres de fon frere Cæpion, qu'il transportoit avec lui; mais il leur dit qu'il fe fépareroit plutôt de fon ame que de ces reftes, précieux, & mit à la voile. (a) Et l'on dit

(a) Et l'on dit qu'il arriva par hazard que le vaiffeau où il étoit, fut en grand péril

dans ce paffage.) Plutarque ajoute ce mot, par hazard pour faire entendre à fes

qu'il arriva par hazard que le vaiffeau où il étoit fut en grand péril dans ce passage, au lieu que tous les autres firent cette traversée affez heureusement.

Quand il fut arrivé à Rome, il étoit toujours ou enfermé dans fa maison à conférer avec le philofophe Athenodore, ou à la place pour fervir fes amis. Dès qu'il fe vit en âge (a) de demander la quefture, il ne fe mit fur les rangs qu'après avoir lu avec foin toutes les loix & les ordonnances qui concernoient l'état & l'office de quefteur, qu'après avoir confulté fur chaque point ceux qui avoient le plus d'expérience, & qu'après avoir fait comme un plan en abrégé de toute l'autorité & de la puiffance que cette charge pouvoit donner. De-là vint que, dès qu'il y fut inf-tallé, il fit de grands changemens parmi les bas officiers & les greffiers du trésor, qui, ayant toujours entre leurs mains les registres publics & les loix fur le fait des finances, quand ils venoient à avoir à leur tête de jeunes quefteurs qui, par leur ignorance & par leur peu d'expérience, avoient encore besoin de maîtres, ne leur laiffoient pas l'autorité entre les mains, mais ils faifoient eux-mêmes la charge. Caton corrigea cet abus; car, prenant

lecteurs qu'il ne donnoit pas dans la ridicule fuperftition de ceux qui croyoient qu'on ne pouvoit transporter par mer un mort fans danger, & que cela excitoit de furieux orages. Car c'étoit dans cet efprit que les amis de Caton

[blocks in formation]
« PreviousContinue »