Page images
PDF
EPUB

de cette victoire qu'il regardoit comme un exploit plus grand & plus éclatant que tous ceux de Lucullus & de Pompée, qui alloient fubjuguant par la force des armes les nations & les royaumes de l'orient.

&

Pendant qu'il étoit encore à l'armée tribun de foldats, fon frere Cæpion, allant en Afie, tomba malade en Thrace dans la ville d'Ænus, & il en reçut d'abord la nouvelle par des lettres qu'on lui écrivit. Quoique le tems fût très-mauvais, & que la mer fût agrée d'une violente tempête, il voulut partir fans différer; & ne trouvant point de grands vaiffeaux, il fe jetta dans un petit vaiffeau marchand avec deux de fes amis & trois esclaves, & partit de Theffalonique. Il fut en très-grand danger d'être fubmergé par la tourmente, il ne fe fauva que par un bonheur qu'on n'au-' roit jamais ofé espérer. Il arriva à Ænus comme fon frere venoit de rendre le dernier foupir. Il fut plus fenfible à cette perte, qu'il ne convenoit à un philofophe, & à un philofophe Stoïcien; car il ne témoigna pas feulement l'excès de fa douleur par fes regrets par fes foupirs, par fes larmes, par les tranf ports qui le pouffoient à fe jetter fur ce corps mort qu'il embraffoit tendrement, & par toutes les autres marques de l'affliction la plus vive & la plus fenfible, mais encore par la grande dépense qu'il fit à fes funérailles. Il employa de groffes fommes en parfums & en drogues

fage eft le falut des états, & le fou leur perte. Platon & Ariftote l'ont démontré.

odoriférantes, fit brûler beaucoup d'étoffes précieufes fur fon bûcher, & lui éleva au milieu de la place d'Anus un tombeau magnifique de marbre de Thafos. Il lui coûta huit talens.

Il y avoit beaucoup de gens qui blâmoient cette dépense exceffive, & qui l'interprétoient mal, en la comparant à la modeftie & à la fimplicité dont il faifoit profeffion dans tout le refte. Mais ces gens ne s'appercevoient pas combien la fermeté inflexible de cet homme contre les voluptés, contre les craintes, contre les prieres injuftes & impudentes, étoit mêlée de douceur & d'humanité. Plufieurs villes, princes & gouverneurs lui envoyerent beaucoup de préfens pour honorer ces obfeques; mais il refufa tout l'argent, & ne prit que les drogues, les parfums & les étoffes, qu'il paya à ceux qui les envoyoient.

Ayant été inftitué héritier par égales portions avec la fille unique de Cæpion, il ne voulut pas que le partage de fa niece portat la moindre partie des frais qu'il avoit faits. pour les funérailles de fon pere, mais il les mit tous fur fon compte, Cependant malgré cette générosité, il fe trouva quelqu'un qui laiffa par écrit qu'après que le bûcher fut éteint, il paffa les cendres dans un tamis pour retirer l'or & l'argent qui avoient été fondus, (4) tant cet écrivain croyoit qu'il lui étoit

(a) Tent cet écrivain croyoit qu'il lui étoit permis d'attaquer -feulement avec l'épée,

non

mais encore avec la plume.) Plutarque parle ici de Céfar & il fait entendre couverte

permis d'attaquer non-feulement avec l'épée, mais encore avec la plume, ce perfonnage que sa vertu mettoit au - deffus des reproches & des calomnies.

Quand Caton quitta l'armée après le tems de fa charge fini, il fut accompagné non avec des vœux, comme cela fe fait ordinairement, non avec des applaudiffemens & des louanges, mais avec des regrets, avec des larmes & avec des embrassemens infinis de tous les foldats qui s'empreffoient autour de lui, qui étendoient leurs robes fous fes pieds par-tout où il paffoit, & qui lui prenoient les mains pour les baifer; honneur que les Romains de ce temslà ne faifoient qu'avec peine à très-peu de leurs généraux. Mais avant que de retourner à Rome fe jetter dans le gouvernement, il voulut voyager pour connoître par lui-même l'Afie, & pour s'inftruire des mœurs, des coutumes & des forces de fes provinces. Et en même tems il fut bien-aise de faire plaifir à Déjotarus, roi de Galatie, qui, à caufe de l'amitié & de l'hofpitalité qu'il avoit liées autrefois avec fon pere, l'avoit prié avec de grandes instances de l'aller voir.

ment que c'est lui qui avoit écrit, dans fon Anti-Caton, cette particularité des cendres du bûcherpaflées par le tamis; & il dit fort bien que Céfar ne s'étoit pas contenté de faire la guerre à Caton avec l'épée, mais qu'il la lui avoit faite encore avec la plume, pour déchirer la réputation de ce grand

perfonnage, que fa vertu mettoit au-deffus des reproches & des calomnies. Mais Plutarque ne nomme pas Céfar par refpect pour fon grand nom. L'expreffion de Plutarque eft remarquable & finguliere, isever & Τῷ ξίῳςει μόνον ἀλλὰ καὶ γραφείῳ, il abandonna non-feulement à fon épée, mais auffi à fa plume.

Il partit donc; & voici de quelle maniere il fit ce voyage. Le matin à la pointe du jour il envoyoit fon cuifinier & fon boulanger au lieu où il devoit coucher. Ces gens entroient modeftement & fans bruit dans la ville ou dans le bourg; & s'ils ne trouvoient aucun ami de Caton, ou de fa famille, aucun homme de connoiffance, ils lui accommodoient fon logis & lui apprêtoient fon fouper à l'hôtellerie, fans être à charge à perfonne. Que s'il n'y avoit point d'hôtellerie où il pût loger, alors ils s'adreffoient au gouverneur ou au magiftrat, & fe contentoient du premier logement qu'on vouloit leur donner. Il arrivoit même fouvent qu'on ne vouloit pas croire qu'ils fuffent à Caton, (a) & qu'on les traitoit avec mépris, parce qu'ils ne s'adreffoient pas aux magiftrats en faifant beaucoup de bruit & avec de grandes menaces; de forte que Caton très-fouvent arrivoit le foir qu'ils n'avoient point encore pu trouver de logis. Mais c'étoit bien pis quand il paroiffoit, car on n'en faifoit aucun compte ; & quand on le voyoit affis fur

(a) Et qu'on les traitoit avec mépris, parce qu'ils ne s'adreffoient pas aux magiftrats en faifant beaucoup de bruit, & avec de grandes menaces.) Rien n'eft plus ordinaire, le peuple juge prefque toujours mal des maîtres, dont les valets font modeftes

& ne font pas beaucoup de bruit, & il croit que ce font des hommes de néant, des miférables. C'eft ainsi que dans Térence, Thrafon juge de Phédria, fur la modeftie de fon valet Parménion qui parle poliment & civilement à Thais :

Apparet fervum hunc effe domini pauperis miferique.

« On voit bien que c'eft le valet d'un gueux & d'un miférable ». Eunuq. III, 2.

fes balots, fans dire une feule parole, on le prenoit pour quelque homme de néant qui n'ofoit ouvrir la bouche. Cependant il les appelloit quelquefois & leur difoit bonnement: Malheureux que vous êtes, défaitesvous de cette dureté que vous avez pour les étrangers, & recevez-les mieux. Ce ne feront pas toujours des Catons qui pafferont par votre ville. Tâchez de modérer par un bon accueil la licence que leur pouvoir leur donne chez vous. Ils ne cherchent qu'un prétexte pour prendre par force & avec ufure ce que vous n'aurez pas voulu leur donner de bon gré. Et l'on dit qu'en Syrie il lui arriva une aventure fort plaifante. Comme il arrivoit à Antioche, il vit devant la porte de la ville quantité d'hommes rangés en haie en fort bel ordre. D'un côté étoient les jeunes gens avec de beaux manteaux, & de l'autre les enfans magnifiquement parés. Enfuite on voyoit marcher des hommes vêtus de robes blanches, quelques-uns même avoient des couronnes car c'étoient les prêtres des dieux & les magiftrats. Caton crut d'abord que cette proceffion étoit un honneur que la ville lui faifoit, & une entrée magnifique qu'elle lui avoit préparée. Il gronda donc extrêmement fes gens qu'il avoit envoyés devant, felon fa coutume de ce qu'ils n'avoient pas empêché cette cérémonie & ce grand appareil, & commanda à fes amis qui étoient à cheval de descendre, & marcha avec eux à pied vers cette proceffion qui s'avançoit. Quand ils furent affez près, le

[ocr errors]

maître

« PreviousContinue »