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de ceux qui sont le plus à portée d'en juger, je sois aussi facile, aussi bonhomme dans la vie privée que vous me trouvez ombrageux dans les affaires publiques; quoique vous en ayez longtemps fait l'expérience, et que mon amitié pour vous ait survécu longtemps aux procédés qui offensoient le plus mes principes, je conviens, à ma honte, que j'ai la foiblesse de croire encore à des intrigues funestes que vous devinerez peut-être vous-même, quand la France entière en sera victime. » Après s'être assez longuement expliqué ensuite sur Brissot, sur sa marche tortueuse et ses mensonges, sur les menées de ce parti de la Gironde qui changeait en jours de discordes, de désordres et de tyrannie les premiers jours de la République, et auquel lui Pétion, qu'on venait mettre ainsi en avant, comme un enfant perdu dans les occasions désespérées, sacrifiait si légèrement sa gloire, Robespierre terminait cette lettre par des considérations pleines de grandeur et dignes d'être rappelées : << Ceux que la nature a faits grands peuvent seuls aimer l'égalité! Il faut aux autres des échasses ou des chars de triomphe; dès qu'ils en descendent, ils croient entrer dans le tombeau. Tel homme paroissoit républicain avant la République qui cesse de l'être lorsqu'elle est établie. Il vouloit abaisser ce qui étoit au-dessus de lui; mais il ne veut pas descendre du point où il étoit lui-même élevé. Il aime les révolutions seulement dont il est le héros; il ne voit que désordre et anarchie où il ne gouverne pas... Pour nous, mon cher Pétion, dépouillons-nous de ces honteuses foiblesses; ne ressemblons point à ce tyran qui voulut réduire la taille des hommes à une mesure déterminée; n'exigeons pas que la fortune fasse toujours les frais de notre mérite; contentonsnous de la destinée que la nature nous a réservée, et permettons que celle de l'humanité s'accomplisse (1). »

XXII

Pétion, qui si témérairement s'était jeté dans la mêlée, et qui avec tant d'amertume était venu appuyer de sa signature une partie des calomnies inventées contre celui dont il avait si longtemps serré la main, se montra extrêmement blessé de la réponse de Robespierre. Il écrivit

(1) La Réponse de Maximilien Robespierre à Jérôme Pétion remplit tout le numéro 7 des Lettres de M. Robespierre à ses commettans, p. 287 à 336. Elle a été reproduite dans les OEuvres de Robespierre, publiées par Laponneraye, t. II, p. 289 à 323.

T. II

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même un second discours pour se plaindre d'avoir été persiflé, et reprocher, à un adversaire qu'il avait si gratuitement provoqué, d'avoir employé à son égard l'arme de l'ironie. Singulier homme en vérité que ce Pétion! Après avoir essayé de transpercer Robespierre des traits de la plus noire diffamation, il jette les hauts cris parce que dans la riposte il a reçu quelques égratignures, et « les directeurs de sa conscience politique », avec cette insigne mauvaise foi qu'ils apportaient dans la polémique, et dont nous les avons convaincus devant l'histoire, ne manquèrent pas de reprocher à Robespierre de déchirer aujourd'hui celui que jadis il appelait son ami, comme si cette lutte dont il souffrit cruellement, c'était lui qui l'avait cherchée (1).

Peut-être Robespierre eût-il mieux fait cette fois de garder le silence, de s'en tenir à sa première réponse si nette, si catégorique, si concluante. Mais le moyen de rester calme et indifférent devant certaines attaques? Où donc sont-ils, je le demande encore, ces hommes dont la frêle argile a été pétrie d'un miel onctueux? Qu'on me les montre ces gens débonnaires qui, ayant reçu un soufflet sur une joue, tendent l'autre pour en recevoir un second. Combien de haines, d'affronts chaque jour répétés, d'outrages sanglants il fallut pour remplir de haine le cœur de Maximilien! Ceux-là seuls le sauront qui liront attentivement cette histoire où pour la première fois se trouve complétement dévoilé, dans son effrayante nudité, le tableau monstrueux des longues iniquités dont il a été victime. Et où trouver plus de passion, plus de partialité, plus de haine aussi que chez la plupart des écrivains qui, animés de l'esprit de la Gironde, se sont faits les détracteurs de Robespierre! En le dépeignant, d'une plume trempée dans le fiel, ils ont, à dessein ou par ignorance, dissimulé toutes ces calomnies sans nom et tant d'odieuses manœuvres, grâce auxquelles on était parvenu à saturer d'amertume une âme qui n'eût pas demandé mieux que de rester toujours sereine et bienveillante. Oh! de quelle lumière l'histoire a encore besoin d'être éclairée!

En répondant de nouveau à Pétion, Robespierre le prit sur un ton plus ironique encore. L'ancien maire de Paris s'était conduit avec trop de légèreté pour être pris au sérieux, et c'était assez du fouet de la satire pour le chàtier. « Mon cher Pétion, les amis de la patrie trouvent

(I) Rien ne prouve mieux à quelle race de tartufes appartenaient la plupart de ces gens-là. Le journal de Brissot, en donnant un extrait du second discours de Pétion, le faisait précéder de ces lignes: Robespierre écrit à ses commettans une suite 1 libelles qui font un tel bruit que personne ne se doute de leur existence. Petion terré de ce tombeau je ne sais quelle réponse que lui a faite cet homme, qui jadis eloit son ami, et qui le déchire aujourd'hui. (Patriote françois, numéro 1227). amour de la justice et quel respect de la vérité dans ces lignes!

si peu d'occasions de rire! vous ne serez point assez cruel pour me contester le droit de saisir celle que vous m'offrez, ni pour m'envier l'avantage de vous prouver que vous possédez au moins le don d'éclaircir les nuages dont vous prétendez que mon front est éternellement couvert. » Cette lettre est d'un bout à l'autre un morceau achevé, une véritable Provinciale, non indigne du génie de Pascal. Fidèle à la devise qu'il avait choisie pour épigraphe: Ridendo dicere verum quid vetat? Robespierre n'oublia pas de dire, en passant, quelques rudes vérités à Pétion et de retracer pour son enseignement l'histoire des derniers événements de la Révolution, leçon d'autant plus sanglante qu'elle était donnée sous les formes d'une raillerie impitoyable. Rappelant cette scène de haute comédie où, pendant l'insurrection du mois d'août, le maire de Paris avait été consigné et gardé à vue chez lui sur sa propre demande, comme pour mettre, en cas de besoin, sa responsabilité à couvert, il le comparait à Ulysse se faisant attacher au mât de son vaisseau de peur d'être tenté d'aller heurter contre les écueils des sirènes. Il répondait ensuite au reproche d'avoir riposté avec peu de ménagement et priait son ancien ami de comparer les vérités qu'il lui avait dites avec les calomnies gratuites dont lui-même avait été abreuvé. Et quel moment avez-vous choisi, pour me lancer cette flèche du Parthe, ajoutait Robespierre? Le moment même où, en butte aux persécutions d'une foule d'ennemis puissants et innombrables, je venais de confondre à la tribune la rage de mes accusateurs et où la Convention leur avait fermé la bouche par un décret. Et c'est vous qui réveillez des inculpations flétries par le mépris de tous les gens de bien, et qui vous plaisez à rallumer la discorde, la haine et la vengeance, au lieu de chercher à les étouffer!

Quelle était donc la cause de tant d'acharnement contre un ancien frère d'armes? Maximilien ne pouvait l'attribuer qu'au ressentiment qu'avait éprouvé Pétion de n'avoir pas été nommé le premier par l'assemblée électorale de Paris. Le jour de cet échec il avait promis, en effet, de diner avec Robespierre chez un homme très-connu dans la République, peut-être Danton, pour s'entendre sur un objet intéressant essentiellement la concorde publique. Mais on l'avait vainement attendu; de dépit et de douleur, il s'était abstenu. Durant l'élection du premier député, chacun avait pu remarquer avec étonnement, påraît-il, les couleurs de son teint se flétrir à mesure que la balance penchait d'un autre côté (1).

Parfois, dans cette vive riposte, l'indignation éclatait au milieu des

(1) Lettres de M. Robespierre à ses commettans, numéro 10, p. 460.

phrases ironiques. Ainsi, à Pétion qui, se traînant dans l'ornière des calomnies de Louvet, l'accusait à son tour d'avoir voulu compromettre la sûreté de quelques députés en les dénonçant au sein du conseil général de la commune, Robespierre répondait : « Vous ne devrez plus désormais ma modération qu'à mon mépris. Je vous abandonne à celui de tous les citoyens qui m'ont vu, entendu à la commune, et qui vous démentent. Je vous abandonne à celui de tous les hommes judicieux qui, dans vos expressions, aussi vagues qu'artificieuses, aperçoivent à la fois la haine, le mensonge, l'invraisemblance, la contradiction, l'injure faite en même temps au public, aux magistrats patriotes, autant qu'à moi-même. Pétion, oui, vous êtes maintenant digne de vos maîtres; vous êtes digne de coopérer avec eux à ce vaste plan de calomnie et de persécution, dirigé contre le patriotisme et contre l'égalité. » Mais bientôt la satire reprenait ses droits. Pétion, dans son deuxième discours, ayant fait assez naïvement allusion à la possibilité où il aurait été d'accepter le pouvoir suprême, fournit à Robespierre l'occasion de terminer sa lettre par un chef-d'œuvre d'ironie. « Bon Dieu! nous aurions donc eu un roi nommé Jérôme l*! Quelle félicité! » Alors, dans une humble requête, il le suppliai! d'ordonner à son ministre de l'intérieur, fût-il le vertueux Roland lui-même, de supprimer le bureau de calomnie entretenu à si grands frais, et qui seul suffirait à ruiner l'État. Peut-être, ajoutait-il, le duc de La Vrillière m'eût-il jadis envoyé une lettre de cachet; mais il n'auroit jamais dépensé des millions pour me déshonorer: il n'auroit pas payé quarante journaux et plus de cent commis pour faire circuler la calomnie dans tous les départemens, dans toutes les municipalités, dans toutes les sociétés populaires, pour persuader à tous mes concitoyens et à tous les hommes dont j'ai défendu la cause que j'étois un monstre digne de l'exécration générale; » ce qui aux yeux de Robespierre équivalait à un assassinat lâche et cruel; et il se croyait en droit de s'écrier avec Cicéron :« O miseram conditionem eorum qui de Repu blicâ benè merentur ! » Il faudrait tout citer; mais cette lettre est infiniment longue, et nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur (1). Pétion, qui si maladroitement était venu se jeter dans les jambes de Robespierre, fut écrasé du coup. De ce jour s'évanouit la popularite qu'il avait un moment partagée avec Maximilien; il cessa d'être pris au sérieux. On continua seulement de l'appeler le roi Jérôme Pétion. Juste châtiment d'une conduite déloyale et inconsidérée!

(1) Cette seconde lettre à Jérôme Pétion remplit tout le numéro 10 des Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettans, p. 433 à 484. On la trouve aussi dans les OEuvres publiées par Laponneraye, t. III, p. 58 et suiv.

XXIII

Sourds à cet appel à la conciliation qui était comme le couronnement de la réponse de Robespierre à Louvet, les Girondins redoublèrent de fureur, exaspérés par le triomphe de leur adversaire. Il est indispensable, pour l'enseignement des générations futures, de tracer avec quelque soin le tableau des incroyables menées auxquelles ils se livrèrent tant que Roland resta au ministère de l'intérieur et qu'ils purent, dans un vil intérêt de coterie, disposer des fonds mis à la disposition de leur minis.. tre chéri. Les moyens ne leur manquaient pas : presque tous les journaux leur appartenaient; quelques-uns gardaient une sorte de neutralité entre eux et ce qu'on appelait la Montagne, pour laquelle un très-petit nombre seulement avaient pris hautement parti. Il ne faut pas demander s'ils cherchèrent à acheter les feuilles publiques qui, depuis le commencement de la Révolution, avaient acquis le plus d'influence: nous en avons la preuve dans une note des Révolutions de Paris. Ce journal refusa fièrement de se vendre, mais il ne se prononça ouvertement ni pour ni contre les Girondins auxquels il s'efforça quelquefois d'ètre agréable (1). Hébert lui-même, le journaliste de la démagogie, le rédacteur à jamais fameux du Père Duchesne, ne fut pas, si l'on peut s'en rapporter à sa parole, à l'abri des sollicitations girondines; lui aussi, on essaya de le corrompre et de l'enrôler dans le parti. Il vint avec indignation déclarer à la Société fraternelle que le ministre Roland lui avait fait proposer de rédiger son journal dans les principes ministériels, s'engageant à en prendre chaque jour mille à quinze cents exemplaires (2). Dubois-Crancé affirma de son côté, dans une lettre adressée à ses commettants, lettre qu'il avait lue au sein de la société des Jacobins, et dans laquelle il prenait chaudement la défense de Robespierre contre tous ses calomniateurs, affirma, dis-je, tenir d'Hébert que le ministre de l'intérieur avait offert au Père Duchesne de prendre chaque

(1) Révolutions de Paris, numéro 169. Voici en quels termes Prudhomme s'exprima au sujet de la tentative dont son journal fut l'objet : « Plusieurs membres de la Convention, redoutant déjà pour eux et leur parti la sévérité du Journal des Révolutions, et se disant autorisés par une portion du pouvoir exécutif provisoire, ont osé me proposer de céder mon journal sous la condition qu'il porteroit toujours mon nom. On ne m'eût pas fait un plus grand outrage si on fût venu me proposer de me vendre moi-même en personne.» (Voyez cette citation dans l'Histoire parlementaire, t. XX, p. 52.)

(2) Déclaration de Dufourny au club des Jacobins. (Journal des débats et de la correspondance,... numéro 297.)

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