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quand le conseil général se sépara. Paris s'était couché ce jour-là en proie à une sorte de stupeur, et au milieu d'inexprimables angoisses. On avait appris dans la soirée l'investissement de Verdun; les sanglantes menaces des puissances coalisées étaient présentes à tous les esprits; deux jours encore, et elles pouvaient se réaliser. Une sorte de vertige s'empara de toutes les têtes. Nous sommes à la veille des plus terribles journées de la Révolution.

XXVIII

De ces affreuses journées de Septembre, nous n'aurions nullement à nous occuper, tant Robespierre y fut complétement étranger, si un certain nombre d'écrivains royalistes et même quelques historiens libéraux, avec un aveuglement difficile à expliquer, ne s'étaient ingéniés à rejeter sur lui une part de la responsabilité de ces événements. Que les royalistes cherchent à flétrir la Révolution dans son plus intègre représentant, que, pour atteindre leur but, ils ne reculent pas devant des moyens peu honnêtes, cela se comprend jusqu'à un certain point, l'esprit de parti égare tellement les hommes! Mais il y a de quoi confondre l'imagination quand on voit des écrivains réputés démocrates joindre leurs accusations à celles des contre-révolutionnaires, et entasser hypothèse sur hypothèse, suppositions sur suppositions pour essayer de couvrir du sang de Septembre un homme qui

de la Ville. V. 22. Carton 0. 7. 0. Ce discours de Robespierre publié sous ce titre : Adresse des représentans de la commune de Paris à leurs concitoyens (in-8° de 15 pages), est devenu rarissime. Il ne nous a pas été possible de nous en procurer un exemplaire; la Bibliothèque impériale elle-même ne le possède pas. Nous avons donc dû nous contenter du résumé très-succinct fourni par le procès-verbal de la commune.

M. Mortimer Ternaux, qui a le génie inventif, présente Robespierre comme ayant ce jour-là dénoncé une conspiration en faveur du duc de Brunswick, ce qu'il ne fit que le lendemain, et il lui prête des paroles qu'il a trouvées dans un pamphlet de Louvet, c'est-à-dire d'un des plus cyniques menteurs que l'imagination puisse concevoir, dans un pamphlet dont la Convention, de dégoût, refusa d'entendre la lecture, paroles par lesquelles se trouvent accusés en masse tous les membres de la Gironde. C'est encore là une erreur historique importante à dévoiler. Robespierre désigna en effet nommément, dans la nuit du 2 au 3 septembre, deux membres de la Gironde, et cela des raisons très-faciles à comprendre comme on verra, et non pas la Gironde en masse. L'auteur de l'Histoire de la Terreur a-t-il cru que ces supercheries passeraient inaperçues? Mais ce qu'il y a de bizarre, c'est qu'ayant, j'imagine, le procès-verbal de la commune sous les yeux, il écrit : « Les deux cent quatre-vingt-huit adoptent avec enthousiasme les conclusions de Manuel et de Robespierre » (t. III, p. 206). Ce qui, à l'égard de ce dernier, est précisément le contraire de la vérité.

par

n'apprit ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et cela plus tard que la plus grande partie de ses concitoyens (1).

Tous les écrivains ennemis de la Révolution ont vu dans les massacres de Septembre un plan concerté, le résultat d'une froide et atroce préméditation; et pour mieux concentrer leurs accusations calomnieuses, ils ont,-quelques-uns du moins,-complétement innocenté la population parisienne. Or, c'est là un système tout à fait inadmissible. Comment admettre, en effet, que soixante mille hommes de garde nationale eussent permis à quelques centaines d'égorgeurs de massacrer dans les prisons, s'ils n'avaient pas eux-mêmes été complices, moralement au moins, de ces exécutions? On sait combien furent vaines les réquisitions du commandant général Santerre. La population, la garde nationale, assistèrent impassibles, l'arme au bras pour ainsi dire, aux scènes d'horreur qui se déroulaient sous leurs yeux (2. Est-ce que, dans de pareilles occasions, laisser faire ce n'est pas être complice? Ces massacres, cela est certain, ont été le produit d'une épouvantable explosion populaire. Qu'ils aient paru, à quelques hommes, d'une affreuse mais indispensable nécessité, je le crois sans peine; mais jamais ils n'eussent été commis si la conscience publique, prise de vertige, n'y eût pas souscrit elle-même. Quant au conseil général de la commune, auquel on a voulu les imputer, il tenta au contraire, pour les arrêter, plus d'efforts que n'en fit l'Assemblée législative. Robespierre d'ailleurs, on le sait de reste maintenant, parut à peine à la commune durant les jours qui précédèrent et suivirent les exécutions, retenu qu'il était soit à l'assemblée primaire de sa section dont les opérations se terminèrent le 31 août à onze heures du soir, soit à l'assemblée électorale dont les séances s'ouvrirent dans la matinée du 2 septembre. Le comité de surveillance est-il davantage responsable de ces massacres? Ses rapports constants avec les prisons, placées dans ses attributions, permettraient de le supposer; cependant aucune des pièces sur lesquelles se sont appuyés les écrivains royalistes pour établir sa préméditation ne m'a paru concluante, et je dirai avec Pétion: « Ces assassinats furent-ils commandés, furent-ils dirigés par quelques hommes? J'ai eu des listes sous les yeux; j'ai reçu des rapports;

(1) Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettaus, no 4, p. 116. (2) Dans la séance du 29 octobre 1792, aux Jacobins, Chabot, qui s'était joint sux commissaires désignés par l'Assemblée législative pour calmer l'effervescence popalaire, affirma qu'il avait passé sous une voûte d'acier de dix mille sabres, et que depuis la cour des Moines jusqu'à la prison de l'Abbaye, on était obligé de se serrer pour faire passage aux envoyés de la Convention. Il invoqua le témoignage de ses collègues Bazire, Calon, et autres qui l'accompagnaient, et personne ne le contredit (Journać des debats et de la correspondance de la Sociele des Jacobins, numéro 293).

j'ai recueilli quelques faits; si j'avois à prononcer comme juge, je ne pourrois pas dire: Voilà le coupable (1). »

Du reste, le comité de surveillance, sorte de pouvoir exécutif, n'avait, en réalité, aucun rapport avec le conseil général, pouvoir législatif de la commune; il siégeait dans un local séparé, non pas à l'Hôtel-de-Ville, mais à la mairie. Autorisé par le conseil général à se recruter de quelques membres supplémentaires, son grand tort fut de s'adjoindre, dans la matinée du 2 septembre, le sombre journaliste qui avait érigé le meurtre en système politique. Panis, membre de ce comité de surveillance, et qui y avait introduit Marat, fut vivement attaqué pour ce fait, le 18 septembre suivant, au sein du conseil général. Panis se défendit en alléguant que Marat était un homme extraordinaire, qu'il n'avait jamais eu d'influence particulière dans le comité, et que jamais son avis n'y avait prévalu sur celui des autres membres. Or, l'éloignement de Robespierre pour la personne de Marat est chose parfaitement connue; ce fut un des grands griefs des Thermidoriens contre lui. On n'a oublié ni leur attitude respective dans l'unique entrevue qu'ils aient eue ensemble ni ce que répondit Marat à Robespierre quand celui-ci lui reprocha de revenir éternellement dans ses écrits « sur certaines propositions absurdes et violentes qui REVOLTAIENT LES AMIS DE LA LIBERTÉ autant que les partisans de l'aristocratie (2). » Marat ne trouvait à Maximilien ni les vues ni l'audace d'un homme d'État. Tout récemment encore ne l'avait-il pas accusé de feuillantisme pour n'avoir pas déclaré assez hautement qu'il fallait déchirer la constitution? Ces deux hommes étaient donc les antipodes l'un de l'autre (3). Eh bien!

(1) Discours de Pétion sur l'accusation intentée à Robespierre, p. 14.

(2) Ce sont les propres expressions de Robespierre. Voyez la réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettans, numéro 4 et le numéro 648 de l'Ami du peuple. (3) Ce qui n'empêche pas M. Michelet, voulant par la plus étonnante des aberrations rendre Robespierre solidaire de ce que Marat put faire en septembre, d'écrire que Panis diminua son éloignement naturel pour Marat (t. IV, p. 124). « Selon toute apparence,» a-t-il soin d'ajouter. Et pourquoi selon touté apparence? M. Michelet est tout à fait dans l'erreur quand il présente Panis comme un servile disciple de Robespierre, et quand, emporté par sa rage de fantaisie, il nous le montre allant chaque matin rue Saint-Honoré, à la porte de son directeur, demander ce qu'il devait penser, faire et dire (p. 124). Aucun témoignage, et M. Michelet se garde bien d'en invoquer de sérieux, ne saurait ici prévaloir contre les faits. Panis aimait et estimait Robespierre, cela n'est pas douteux; mais son dieu, son idole, c'était Danton. Les deux familles étaient étroitement liées, et nous verrons plus tard Panis, le cœur ulcéré de la mort de Danton, figurer parmi les ennemis de Robespierre. Puisque M. Michelet, dans l'intérêt de sa thèse, a cru devoir rappeler qu'un jour, selon Barbaroux, Panis aurait dit qu'il fallait un dictateur, un homme comme Robespierre; encore auraitil dû rappeler aussi, dans l'intérêt de la vérité, le démenti sanglant qu'en pleine Convention reçut, sans le relever, ce député de Marseille. C'est triste à dire, mais rien n'est embrouillé, rien n'est faux, rien n'est perfide comme les pages confuses où

nous verrons bientôt les Girondins essayer, par les plus perfides manœuvres, d'établir entre ces deux noms une sorte de solidarité. Et pourtant, si du sang de Septembre quelqu'un pouvait être particulièrement coupable devant l'histoire, ce seraient eux, comme on va en juger. Robespierre, d'ailleurs, ne chercha jamais à rejeter sur personne la responsabilité d'événements qu'il attribua à un moment de délire et d'ivresse de la nation, et il était certainement dans le vrai quand il disait : « Ce fut un mouvement populaire, et non, comme on l'a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables; et s'il n'en eût pas été ainsi, comment le peuple ne l'aurait-il pas empêché? Comment la garde nationale, comment les fédérés n'auraient-ils fait aucun mouvement pour s'y opposer? (1) » L'exaspération populaire, hélas! n'avait pas besoin d'être excitée. Mais que diraient donc les historiens qui se mettent martel en tête pour attribuer à quelques paroles de Robespierre un sens qu'elles n'ont jamais eu, si le 2 septembre il avait dit, comme La Source : « Il faut battre la générale dans l'opinion publique; » si, comme Vergniaud, il s'était écrié « Il n'est plus temps de discourir, il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu'ils font en avant pioche la nôtre (2)? » Et pourtant, qui oserait accuser sérieusement de complicité dans les massacres ces deux membres de l'Assemblée législative?

XXIX

Et maintenant, transportons-nous à la commune au moment où Manuel, dans la matinée du 2 septembre, annonça officiellement l'investissement de Verdun. Or, à l'heure même où Manuel parlait,

l'éminent écrivain essaie de donner un rôle à Robespierre dans le lugubre drame de Septembre. En vérité, j'aime autant les Mémoires publiés sous le nom de Weber, frère de lait de la reine. Au moins celui-ci n'y va pas par quatre chemins, et il nous dépeint Robespierre « excitant le peuple à massacrer tous les prisonniers » (t. II, p. 252). Voilà ce que sous la Restauration MM. Barrière et Berville publiaient comme des Mémoires sur la Révolution.

(1) Réponse à Louvet. Quatrième lettre de M. Robespierre à ses commettans, p. 170. (2) Voyez le compte rendu de la séance du 2 septembre au matin, à l'Assemblée nationale, dans le Moniteur du 4 septembre 1792. Admirez l'empire des préventions! M. Michelet trouve ces paroles simplement hardies (t. IV, p. 135), tandis que, comme ns l'avons fait remarquer, il attribue un sens sinistre aux paroles de Robespierre noncées la veille : Il faut remettre le pouvoir au peuple, paroles dont le sens est air et si naturel.

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cette ville était à la veille d'être livrée aux Prussiens par la plus infâme des trahisons. Il faut être entièrement aveuglé par l'esprit de parti pour ne pas admirer l'attitude et l'énergie de la commune à cette grave nouvelle. Dans une proclamation brûlante de patriotisme, elle invita tous les citoyens en état de porter les armes à se réunir au Champ-de-Mars sous les drapeaux. Qu'une armée de soixante mille hommes se forme sans délai, s'écriait-elle, et marchons aussitôt à l'ennemi, ou pour succomber sous ses coups, ou pour l'exterminer sous les nôtres. En même temps, elle nommait un comité militaire permanent, composé de huit de ses membres, arrêtait qu'à l'instant même le canon d'alarme serait tiré, le tocsin sonné, la générale battue, et chargeait deux commissaires de se rendré sur-le-champ à l'Assemblée législative pour la prévenir des mesures prises par le conseil général (1).

L'Assemblée applaudit vivement à ces vigoureuses mesures; tous dissentiments entre elle et la commune semblèrent s'effacer en présence du danger suprême de la patrie, et le président (c'était Lacroix), s'adressant aux députés de la commune, prononça ces propres paroles: « Les représentants de la nation, prêts à mourir avec vous, rendent justice à votre patriotisme; ils vous remercient au nom de la France entière, et vous invitent à la séance. » Puis, après avoir eu connaissance d'une lettre de Roland annonçant la découverte d'une conspiration royaliste dans le Morbihan, et avoir entendu la grande voix de Danton sonnant la charge, elle décrétait que tous ceux qui refuseraient de servir personnellement ou de remettre leurs armes, que tous ceux qui entraveraient, de quelque manière que ce fût, les ordres donnés et les mesures prises par le pouvoir exécutif, seraient déclarés infàmes, traîtres à la patrie, et punis de mort (2). Mais avant de marcher contre l'ennemi du dehors, fallait-il laisser femmes et enfants exposés aux coups de l'ennemi du dedans? Telle fut la question agitée dans un certain nombre de sections. Ce fut alors que dans Paris, saisi de vertige, on entendit ce cri sinistre Courons aux prisons! et que commença un des plus épouvantables massacres dont l'humanité ait à gémir.

Toutes les mesures prises par la commune de Paris et par l'Assemblée nationale étaient assurément d'une indispensable nécessité, mais elles n'étaient guère de nature à diminuer l'exaspération populaire. Or, à ces mesures, qu'il approuva, je n'en doute pas, Robespierre ne prit aucune espèce de part directe ou indirecte, même comme membre du

(1) Procès-verbaux de la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton 0.7.0. (2) Voyez le Moniteur du 4 septembre 1792.

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