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qui connaissait toute la puissance des anciens souvenirs, et aspirait sans cesse à semer sa vie de glorieuses comparaisons avec les grandes choses, voulut donner à cette brillante journée le nom de bataille des Pyramides.

Les divisions Desaix, Reynier et Dugua, après avoir poursuivi les ennemis jusqu'à la nuit, reviennent à Gizeh. Déjà les troupes françaises étaient établies dans cette ville, ainsi que dans le camp retranché d'Embabeh, où les divisions Bon et Menou nageaient au sein de l'abondance. Bonaparte habite la maison de campagne de Mourad-Bey. Bientôt il reçoit à son quartier - général une députation des cheicks et des notables du Caire, que le passage des Mamelucks échappés au glaive, et la fuite du pacha Seïd-Aboudeker et d'Ibrahim-Bey, le prudent compétiteur de Mourad, avaient livrés à tous les excès populaires. Déjà, par une proclamation expédiée dans cette ville, on avait cherché à prévenir ce malheur et à répandre la confiance parmi les habitans. Les députés venaient traiter de la reddition des janissaires et de la place, et implorer la clémence du vainqueur. Bonaparte les accueille avec bienveillance, et les congédie sous l'escorte de deux compagnies d'élite aux ordres de l'intrépide Dupuy, nommé général de brigade sur le champ de bataille. La rive droite du Nil, où brillaient les flammes de soixante bâtimens chargés de richesses, auxquels les Mamelucks ont mis le feu, éclaire la marche de nos soldats, qui pénètrent la nuit dans les murs de la capitale et s'égarent dans ses rues étroites, longues et silencieuses. Toutes les portes sont fermées, toutes les

lumières éteintes. On n'entend pas le bruit d'un homme; les chiens dont cette ville immense est remplie, répondent seuls, par de longs hurlemens, au tambour des Français.

Le 25 juillet, le général en chef fait son entrée au Caire, au milieu de la foule du peuple accouru pour contempler les vainqueurs des Mamelucks. Son premier soin, après avoir donné le commandement de la place au général Dupuy, est d'organiser définitivement le divan provisoire institué par les habitans, et de régler l'administration des pays que nous allons occuper. Kléber réside à Alexandrie, Menou à Rosette, Dugua à Damanhour; Zayonscheck est envoyé dans le Menoufieh, Murat dans le Kélioub, Vial dans les provinces de Mansourah et de Damiette, Fugières dans celles de Garbyeh, et Belliard à Gizeh. Desaix a reçu l'ordre de construire un camp retranché à quatre lieues de cette ville, afin de maintenir toute la contrée. On prend position au vieux Caire et à Boulaq; un corps d'observation se porte sur El Khankah pour surveiller Ibrahim. Ce corps forme bientôt l'avant-garde de l'armée, qui se met en mouvement pour chasser ce bey de l'Égypte. Bonaparte la commande; il rencontre en avant de Belbeis les débris de la caravane des pèlerins de la Mecque, dont la plus forte partie est emmenée par Ibrahim; il délivre les marchands des Arabes qu'ils ont pris pour escorte, et qui les pillent; il les fait ensuite accompagner jusqu'au Caire par des Français. Ibrahim avait fui sur Salahieh ; il sortait de cette ville au moment de notre arrivée; on voyait défiler avec ses trésors et ses femmes une grande quantité de bagages. Envi

ron mille Mamelucks composaient son arrière-garde. Des détachemens de cavalerie française, emportés par leur fougue, et sans doute aussi par l'espoir du butin, fondent avec impétuosité sur les Mamelucks, et s'ouvrent un passage dans leurs rangs; ils y sont enveloppés. On vole à leur secours; la charge devient générale: les guides de Bonaparte suivent les hussards; les aides-de-camp, les généraux, se jettent dans la mêlée : Bonaparte reste presque seul. Enfin le 3o de dragons s'avance, et par une fusillade bien dirigée force les Mamelucks à la retraite : ceux-ci se battirent avec le courage le plus ardent. Le chef d'escadron d'Estrée, l'aide-de-camp Sulkowski, reçurent, l'un quatorze coups de sabre, l'autre sept, et plusieurs coups de feu; Lasalle, chef de brigade, le général Murat, Duroc, aide-de-camp de Bonaparte, Arrighi, son parent, l'adjudant-général Leturcq, se distinguèrent par des prodiges d'audace et de valeur. Ibrahim fut rejeté dans le désert. Bonaparte, débarrassé d'un dangereux adversaire, s'occupe des moyens de l'empêcher de reparaître en Égypte, et de faire marcher l'armée sur la Syrie, si un ennemi se présente de ce côté. Il donne aux officiers du génie les ordres nécessaires pour la construction d'une forteresse; en attendant, il laisse Reynier à Salahieh avec sa division, et revient au Caire.

On a vu plus haut que Brueys avait trois partis à prendre pour répondre aux vives sollicitudes du général en chef touchant le salut de l'escadre; il choisit le second de ces partis, c'est-à-dire qu'il décida de s'embosser dans la rade d'Aboukir. Cette résolution offrait sans doute des périls; mais on aurait

tort de juger, d'après l'évènement, que si l'amiral conçut l'espérance de résister aux Anglais dans sa position, cette espérance manquait de fondement. Cependant Bonaparte, resté sans nouvelles de la flotte pendant treize jours, parce que la correspondance se trouvait interceptée, croyant au succès des sondes, d'après des avis récens d'Alexandrie, se hâta d'expédier, le 30 juillet, son aide-de-camp Julien, chargé de transmettre à l'amiral, dont on venait enfin de recevoir des lettres, l'injonction d'entrer dans le vieux port d'Alexandrie, ou de partir au moment même pour Corfou. L'officier rencontra dans la route un parti d'Arabes, et périt massacré avec ses quinze hommes d'escorte; au reste, malgré toute la diligence possible, il n'aurait pu arriver à temps pour prévenir le désastre d'Aboukir.

Le 1er août, vers trois heures après midi, on signala l'escadre anglaise, forte de quatorze vaisseaux de ligne et deux bricks. Le contre-amiral BlanquetDuchayla commandait notre aile gauche, où se trouvaient le Guerrier, le Conquérant, le Spartiate, l'Aquilon, le Peuple Souverain et le Franklin. L'Orient, de 120 canons, monté par l'amiral Brueys, était au centre; venait ensuite le Tonnant, commandé par du Petit-Thouars; et enfin, à l'aile droite, le contreamiral Villeneuve avait sous ses ordres l'Heureux, le Mercure, le Guillaume Tell, le Généreux, le Timoléon. Le 30 juillet, l'amiral avait appelé ses capitaines à son bord, pour tenir conseil et décider si l'on devait combattre embossé ou à la voile. La majorité fut de l'opinion du capitaine du Petit-Thouars, qui se prononça pour combattre à la voile. Brueys.

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