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gloire l'appelle à Toulon, il ne peut contenir ses ressentimens, et il exige impérieusement son départ au Luxembourg. Dans une de ces conférences orageuses, il menace de donner sa démission, et le directeur Rewbell, lui présentant une plume, lui dit froidement: Signez-la, général. Telle était la position respective du Directoire et de Bonaparte, quand arriva la nouvelle du tumulte de Vienne et de l'outrage fait à l'ambassadeur Bernadotte.

Cette misérable aventure pouvait tout à coup anéantir le grand ouvrage de Campo-Formio, acheté au prix de tant de victoires et de tant de sacrifices, et annuler le projet de la conquête de l'Égypte. Cependant la fortune de Bonaparte veut que le Directoire se décide à opposer tout à coup à la cour de Vienne ce même général dont il bravait l'impatiente ardeur tout en redoutant également sa vengeance et son éclatante renommée. On ne voit que Bonaparte pour demander raison à l'orgueilleuse maison d'Autriche de l'injure reçue par celui qui était déjà l'ennemi du héros d'Italie. Bonaparte, presque disgracié la veille, se retrouva, dans un jour, l'arbitre de la destinée de son pays. Investi de pouvoirs sans bornes, il dut rêver alors cette souveraineté que le Directoire semble prêt à abdiquer pour lui dans les momens du péril. Mais toutefois le Directoire entoure encore cette grande confiance de toutes les précautions d'un mandat inquiet et jaloux. La correspondance de Bonaparte avec le comte de Cobentzel offrait un caractère de suprématie qui devait sans doute moins étonner la politique de la cour impériale que les membres du Directoire. Aussi le

gouvernement français, alarmé de la nature des communications dont il surprend la confidence, loin de songer davantage à mettre Bonaparte à la tête d'une armée contre l'Autriche, se hâte d'accepter les satisfactions de cette puissance, et donne au général en chef de l'armée d'Égypte l'ordre de se mettre en route pour Toulon.

CHAPITRE II

(Du 9 mai 1798 au 9 octobre 1799.)

EXPÉDITION D'ÉGYPTE.

PENDANT SOn séjour à Passeriano, où fut convenu le traité signé ensuite à Campo-Formio, Bonaparte avait adressé à l'escadre de l'amiral Brueys, stationnée dans la mer Adriatique, cette courte et expressive proclamation: « Camarades, dès que nous au<< rons pacifié le continent, nous nous réunirons à « vous pour conquérir la liberté des mers. Sans vous « nous ne pouvons porter la gloire du nom français «< que dans un petit coin du continent. Avec vous, <«< nous traverserons les mers, et la gloire nationale « verra les régions les plus éloignées. » Ces paroles formaient un ordre du jour menaçant pour l'Angle

terre; elles exprimaient énergiquement le dessein d'aller renouveler dans l'Inde la gloire d'Alexandre, ou plutôt d'aller y détruire la puissance britannique. Sa proclamation du camp de Bassano, le 9 mars 1797, l'avait déjà, en termes précis, révélé à son armée. Le vainqueur de l'Italie demandait un théâtre plus étendu que celui sur lequel il avait brillé jusqu'à cet instant; car, malgré les grandes choses que Bonaparte, consul et empereur, exécuta depuis par la force des armes et par la toute-puissance de sa domination sur l'Europe continentale, jamais sa pensée ne fut aussi vaste qu'à cette époque de ses triomphes d'Italie, où il n'avait d'autre politique que son génie; la toge consulaire, la pourpre impériale, renfermèrent plus tard cette passion des hautes entreprises dans cette petite partie de la terre qu'alors il dédaignait. Arrêté tout à coup devant une forte citadelle turque, au milieu de sa course asiatique, et condamné à replier son ambition de conquérant, bientôt il devra soumettre au joug des vieilles traditions de la société européenne l'indépendance démesurée de ses premiers projets, lui qui avait conçu l'idée de devenir le héros du monde sur les ruines britanniques de l'Asie! C'était sous l'empire de cette inspiration gigantesque que Bonaparte entrait dans Toulon, le 9 mai 1798. Il descendit à l'hôtel de la Marine. L'armée, son armée l'attendait. Un discours brusque et énergique salua ses braves d'Italie. Dix jours après, au moment de mettre à la voile, il leur dit : « Soldats, vous êtes une des ailes de l'armée d'Angleterre; vous avez fait la guerre des monta

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gnes, des plaines et des siéges, il nous reste à faire

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a la guerre maritime. Les légions romaines que vous << avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, <«< combattaient. Carthage, tour à tour sur cette «< même mer et aux plaines de Zama; la victoire ne <«<les abandonna jamais, parce que constamment « elles furent braves, patientes à supporter la fatigue, disciplinées et unies entre elles.... Soldats, matelots, vous avez été jusqu'à ce jour négligés; aujourd'hui la plus grande sollicitude de la répu«blique est pour vous; le génie de la liberté, qui a « rendu dès sa naissance la république arbitre de l'Europe, veut qu'elle le sott des mers et des na«<tions les plus lointaines. » Voilà comment l'armée apprit de son général qu'elle allait se battre et cueil lir de nouveaux lauriers au-delà des mers; mais quelles mers devait-elle franchir, de quelles régions devait-elle s'emparer pour obtenir ce que le général lui avait annoncé en ces termes, le jour de son arrivée à Toulon : « Je promets à chaque soldat qu'au « retour de l'expédition il aura à sa disposition de <«<quoi acheter six arpens de terre. » Les troupes, indifférentes sur les promesses, n'acceptèrent que la part du danger et de la gloire, et s'embarquèrent pleines de joie, avec le chef qui les avait conduites tant de fois à la victoire. Par un de ces hasards singuliers attachés aux grandes fortunes humaines, le nom du vaisseau amiral, que montait Bonaparte, contenait tout le secret de l'expédition, il se nommait l'Orient; et le 19 mai, le soleil, qu'on appela si souvent le soleil de Bonaparte, éclaira le majestueux départ de la flotte française. La traversée ne fut pas exempte d'alarmes; on craignait à chaque

instant l'apparition des Anglais qui sillonnaient la mer en tous sens pour nous rencontrer. Une fois, Nelson ne se trouva séparé de nos vaisseaux que par une distance de six lieues; une brume favorable déroba les Français à la vue de l'ennemi. Bonaparte mesurait toute l'étendue des conséquences d'un combat naval qui, malheureux, détruirait tous les fruits de nos succès en Italie, ferait avorter l'entreprise, et peser sur son auteur une responsabilité immense; mais, confiant en son génie, soutenu par une espérance pareille à celle de César, il s'occupait dès lors, avec les généraux, du gouvernement de l'Égypte, comme si elle était conquise, ou se livrait aux plus vives discussions avec les littérateurs et les savans qui l'accompagnaient. On eût dit qu'il siégeait déjà au milieu de son nouvel Institut, dans Alexandrie.

Le 9 juin, l'armée parut devant Malte. Le convoi de Civita-Vecchia l'y avait précédé de trois jours: la veille de son arrivée, l'escadre maltaise était revenue d'une croisière sur les côtes de Barbarie; composée d'un vaisseau de 74 et de plusieurs bâtimens de guerre, elle pouvait facilement détruire le convoi escorté par une seule frégate. Une telle imprévoyance donnait Malte aux Français.

Cependant Bonaparte crut devoir tenter d'abord les voies d'accommodement. Il fit demander au grandmaître l'entrée du port pour notre armée navale. La réponse portait que les statuts et les lois de l'Ordre ne permettaient pas à plus de quatre vaisseaux de pénétrer à la fois dans les mouillages de l'ile. Bonaparte écrivit que la réponse du conseil équivalait à

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