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CHAPITRE XIII.

(Du 1" septembre au 15 novembre 1797.)

CONSPIRATIONS

ROYALISTES. JOURNÉES DES 18 ET 19 FRUCTIDOR. PICHEGRU ET MOREAU. — RUPTURE DES NÉGOCIATIONS A LILLE AVEC L'ANGLETERRE.— PAIX DE CAMPO-FORMIO.— DÉPART DU GÉNÉRAL BONAPARTE

POUR RADSTADT.

LE Directoire imposait la forme de son gouvernement aux États d'Italie, et Bonaparte, pour attacher davantage au système de la France la nouvelle République cisalpine, avait fixé au 14 juillet la solennelle fédération qui devait en sanctionner l'établissement. Mais il n'avait pas négligé de célébrer également l'anniversaire de la prise de la Bastille et de la première Fédération française: il profita de cette grande fête pour éclairer militairement ses soldats sur les agitations politiques dont la capitale était le théâtre; et, dans le dessein de confondre les deux fédérations dans un même sentiment, il avait encore choisi ce jour pour donner des drapeaux aux troupes des deux peuples. Elles étaient rangées en carré autour d'une pyramide où on lisait les noms des guerriers moissonnés sur le champ de bataille. C'est alors que, passant devant les carabiniers de

la 11 demi-brigade légère, Bonaparte leur dit : « Braves carabiniers, vous valez trois mille hommes. » Arrivé à la 13o, qui formait la garnison du château de Vérone: « Vous voyez, leur dit-il, les noms de vos camarades assassinés sous vos yeux dans Vérone ; mais leurs mánes doivent être satisfaits; les tyrans ont péri avec la tyrannie. » Après avoir ainsi parlé aux Cisalpins, le général en chef dit aux soldats français :

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« SOLDAT

« C'est aujourd'hui l'anniversaire du 14 juillet : « vous voyez devant vous les noms de nos compagnons d'armes morts au champ d'honneur pour la « liberté de la patrie. Ils vous ont donné l'exemple: << vous vous devez tout entiers à la république : vous « vous devez tout entiers au bonheur de trente mil<«<lions de Français; vous vous devez tout entiers à la gloire de ce nom, qui a reçu un nouvel éclat par « vos victoires.

«

<< Soldats! je sais que vous êtes profondément af«<fectés des malheurs qui menacent la patrie; mais << la patrie ne peut courir de dangers réels. Les mê<< mes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe a coalisée sont là. Des montagnes vous séparent de la <«< France vous les franchiriez avec la rapidité de <«<l'aigle, s'il le fallait, pour maintenir la constitution, défendre la liberté, protéger le gouvernement et « les républicains.

<< Soldats! le gouvernement veille sur le dépôt des « lois qui lui est confié. Les royalistes, dès l'instant

<< qu'ils se montreront, auront vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par les mânes des héros morts « à côté de nous pour la liberté, jurons sur nos nou<< veaux drapeaux, guerre implacable aux ennemis « de la République et de la constitution de l'an 1. »

Bonaparte fit entrer ainsi l'armée dans les intérêts politiques de la patrie; ce fut le premier pas vers le gouvernement militaire. Dans l'enthousiasme qu'avait inspiré cette proclamation, on vota et on signa par divisions une foule d'adresses énergiques au Directoire et aux Conseils. L'étincelle électrique se communiqua avec la rapidité de l'éclair aux armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse. Hoche osa franchir le rayon établi par l'art. 69 de la constitution de 1795, avec une division qu'il portait sur Paris et qui dut être arrêtée dans sa marche par le conseil des Cinq-Cents. Dès ce moment, l'armée devint un pouvoir de l'État, et Bonaparte un souverain dans l'armée.

Le Directoire formait le point de mire de ces trois conspirations, qui, pendant tout le cours de son existence, n'ont cessé de lutter contre lui; l'une, celle des hommes de 93; l'autre, celle des royalistes ; une troisième, née de la cendre des Girondins: celle-ci, composée des philosophes politiques de Clichy, prétendait conserver l'arche sainte de la liberté établie par l'Assemblée législative. Le renouvellement du tiers dans les deux conseils v introduisit de nouy veaux ennemis légaux du Directoire. Pichegru, dont Moreau connaissait bien les trahisons, avait été porté par acclamation à la présidence des Cinq-Cents; il dirigeait la faction contre-révolutionnaire. Les géné

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raux Willot et Lajolais, les complices de Pichegru, s'étaient également fait nommer députés. Les conventionnels, en travaillant à leur propre élimination, avaient commis la faute de ne pas se recruter parmi leurs pairs. La division siégeait dans le Directoire même, et Letourneur venait d'y être remplacé par Barthélemy. Les tribunes du corps législatif, et les feuilles périodiques, ne discontinuaient pas de harceler le gouvernement et d'appeler les esprits à un grand changement, en renouvelant avec audace le procès de la révolution. Les orateurs, les écrivains du parti, étaient à la solde de l'Angleterre. La conspiration de Duverne de Presle, Brottier, LavilleHeurnois, comprimée dans le mois d'avril précédent, avait donné d'importantes révélations. A celles-ci se joignirent les aveux que d'Antraigues, ministre du prétendant, à Venise, fit au général Bonaparte, à qui il devait la vie et la liberté. Les royalistes marchèrent sans prudence dans leurs hostilités. Ils attaquèrent à la fois le Directoire, la révolution et le général Bonaparte. On osa calomnier jusqu'à ses succès; c'était ontrager ce qu'il y a de plus irritable, une armée française triomphante. On a vu avec quel à-propos Bonaparte, s'emparant du ressentiment qu'une telle ingratitude inspirait à ses soldats, les avait représentés comme une puissance qui n'attendait que son signal pour aller venger à Paris la liberté et la victoire, outragées par les propres mandataires de la nation. Cependant ce n'était pas dans la seule intention de le sauver qu'il faisait ainsi déclarer son armée en faveur du Directoire; il voulait surtout combattre la contre-révolution, dont la conspiration,

élaborée par le cabinet britannique, retenait encore, malgré les préliminaires de Léoben, le cabinet autrichien dans des délais plus que suspects pour la conclusion de la paix. Le refus de M. de Thugut, de signer les bases arrêtées à Montebello par Bonaparte et le marquis de Gallo, n'avait ni une autre cause ni un autre objet. En effet, Augereau manda de Paris, le 16 août, au général en chef: « L'électeur de Hesse « écrit confidentiellement à son neveu que l'empe<«< reur ne fera pas la paix, par la raison qu'elle ne paraît pas être du goût de messieurs de Clichy, et qu'il croit tenir la haute main sur Paris et les deux << Conseils. >>

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Dans de telles circonstances, il était naturel que des vœux et même des propositions fussent adressés à celui qui occupait alors toutes les trompettes de la Renommée, et qu'on le pressât même de venir remplacer un pouvoir dont la chute semblait prochaine. Ces instances, et le désir qu'elles exprimaient, peut-être partagé un moment, ne furent pas inconnus au directeur Carnot, dont la lettre du 17 août au général Bonaparte se terminait ainsi: «On vous prête mille projets plus absurdes les uns que les << autres: on ne peut pas croire qu'un homme qui a <«< fait de si grandes choses puisse se réduire à vivre <en simple citoyen. Quant à moi, je crois qu'il n'y « a que Bonaparte, redevenu simple citoyen, qu' puisse laisser voir le général Bonaparte dans <<< toute sa grandeur. » On ne saurait affirmer que ce dernier eût trouvé sa sûreté dans une condition privée. Toutefois il sentit qu'il fallait être le héros de la France entière, et non le chef d'une faction,

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