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le juge accorde au condamné pour se préparer à mourir. Bonaparte exigeait le châtiment des trois inquisiteurs d'État et du commandant du Lido, pour venger le sang des Français et le meurtre du capitaine de vaisseau Laugier. Le grand conseil consentit d'abord à faire des changemens à la constitution. Le 8, il consentit également à la reddition de la capitale, et fit embarquer ses douze mille Esclavons pour la Dalmatie. Les commissaires vénitiens se transportèrent à Milan, où Bonaparte prononça, le 10 mai, comme première clause du traité, l'abdication du grand conseil et la reconnaissance de la souveraineté dans la réunion des citoyens. Ce traité devança aussi la résolution prise, le 12 suivant, par le conseil, effrayé de la révolution qui venait d'éclater dans Venise, d'adopter un gouvernement représentatif provisoire. Le jour même, Baraguay d'Hilliers entra dans la ville sur la flottille qui alla le chercher au-delà des lagunes, et il débarqua sur la place Saint-Marc, aux acclamations du peuple. La municipalité provisoire, de soixante membres, tous patriciens, nommée en vertu de la résolution du 12, fut tout à coup remplacée par une municipalité toute démocratique, qui confirma la convention de Milan. Ce singulier gouvernement n'avait aucune attribution suprême pour faire ou ratifier des traités; il fut méconnu de la Terre-Ferme, qui refusa toute relation avec lui; il était présidé par l'avocat Dandolo, descendant de ce fameux Dandolo qui ravit les chevaux de Corinthe à Constantinople: ce monument, après avoir suivi deux fois la victoire romaine

à Rome et à Constantinople, devint, comme le lion de Saint-Marc, un trophée de la victoire française, et partit pour Paris. On brûla publiquement le livre d'or, ainsi que le bonnet ducal du doge, et tous les. insignes de l'oligarchie renversée. La marine de Venise, forte de douze vaisseaux de 64, et d'autant de frégates, fut envoyée à Toulon. Les Iles Ioniennes passèrent aussi sous la domination, de la France. Le général Gentili, de retour de la Corse, alla, sur l'escadre vénitienne chargée de bataillons français, planter le drapeau tricolore à Corfou. Ainsi l'on dut encore la conquête de l'Adriatique à l'armée d'Italie. Jamais il n'y eut de possession plus complète; car il ne resta dans l'État vénitien que les palais, les anciens sujets et l'armée victorieuse. Tous les membres du gouvernement souverain avaient disparu, et s'étaient réfugiés sur la terre d'Autriche. Le secrétaire de légation Vittelard avait été l'instigateur du mouvement démocratique, qui venait de faire disparaître les derniers débris de l'oligarchie. Cette contre-révolution domestique ne fut pas une des opérations les moins heureuses de la guerre d'Italie; elle ouvrit sans coup férir à nos troupes les inexpugnables accès de la maritime Venise, qui pouvait devenir pour elles une autre Mantoue si l'avis de Pesaro eût prévalu. La cour de Vienne, qui avait excité l'insurrection des Vénitiens, et qui venait de la sanctionner par un traité, ne refusait pas sans dessein de les comprendre dans celui qu'elle négociait avec la France. Dès ce jour, Venise n'eut plus ni amis, ni ennemis; ellé cessa d'ètre, et elle entra dans le grand cadre répu blicain de l'Italie, comme dans un dépôt d'où la

politique devait malheureusement la faire sortir, sous la condition d'une simple indemnité concédée à l'allié qui l'avait abandonnée!

CHAPITRE XII

(Du 12 mai au 1" septembre 1797.)

BONAPARTE AU quartier-générAL DE MONTEBELLO.—RÉVOLUTION DE GÊNES. RÉVOLUTION DANS LA VALTELINE. — - RÉPU

RÉPUBLIQUE LIGURIENNE.

BLIQUE CISALPINE.

APRES avoir provisoirement réglé le sort de Venise, dont l'existence ne pouvait être décidée alors, Bonaparte porta son quartier-général de Milan à Montebello. Les grandes affaires dont sa propre gloire, bien plus que la confiance déjà inquiète du Directoire, lui avait commis le soin, appelèrent dans cette petite ville les ministres d'Autriche, du pape, des rois de Naples et de Sardaigne, des républiques de Gênes et de Venise, du duc de Parme, des cantons suisses et de plusieurs princes d'Allemagne, indépendamment des premières autorités de la république lombarde, que d'importantes circonstances, résultat de la paix d'Autriche et de celle de Venise, fixaient auprès de son fondateur. Le château de Montebello était devenu une véritable résidence

royale. On eût dit une cour au lieu d'un quartiergénéral. Bonaparte avait dès-lors contracté, en sa qualité de général en chef, l'habitude du commandement absolu; pendant les loisirs de Milan, de Montebello, de Passeriano, il contracta les mœurs d'un monarque. Là, madame Bonaparte reprenait les souvenirs de sa jeunesse. Entourée de tant de personnages des cours étrangères, elle servait ainsi les intérêts nouveaux que son mari était chargé de défendre, et, sans le savoir, ceux qu'il prévoyait pour l'avenir. Depuis la première entrée à Milan, avait cessé de la part de ses compagnons d'armes cette fraternité des camps, qu'il avait recherchée habilement en arrivant à Nice. Ce fut à cette époque que le vainqueur de l'Autriche fit le premier apprentissage du pouvoir souverain. Une partie de sa cour française, celle qui formait sa famille militaire, était déjà soumise quant à l'autre, composée des généraux qui, tels que Masséna, Augereau, Bernadotte, Serrurier, commandaient des divisions, elle resta rebelle à ces nouvelles habitudes jusqu'au temps où la révolution, la république et la liberté passèrent au service de l'empereur Napoléon. Un corps diplomatique était accrédité de fait auprès du général, qui ne portait plus d'autre titre que celui de libérateur. Il se trouvait habituellement en présence de l'Europe, et malgré le caractère républicain qui constituait toute sa position, il se laissait aller à afficher une sorte de majesté dans sa représentation, en échange des respects de toute nature dont les envoyés de tant de puissances différentes lui apportaient chaque jour l'hommage. Cependant cette vie de pa

lais, bien loin d'être oisive, dut une véritable grandeur à la gravité des opérations de haute politique qui changèrent pour le moment la face de l'Italie.

La première fut la révolution qui donna à la république de Gènes le nom de république ligurienne. Cette fois encore un Doria l'appela à la liberté; cette fois aussi la légation française avait, comme à Venise, préparé le mouvement populaire. Philippe Doria commença l'insurrection le 22 mai, à la tête de douze mille ouvriers qui demandèrent l'abolition du gouvernement aristocratique. Les inquisiteurs d'État, prêts à repousser les patriotes par les mêmes moyens, lancèrent contre eux les charbonniers et les portefaix. Le succès, d'abord incertain, se décida le 24 en faveur de l'aristocratie, et de grands excès, dont plusieurs Français furent les victimes, signalèrent la fureur de ces deux populaces. La bourgeoisie resta neutre: mais il lui appartenait de consommer une révolution qui devait l'affranchir du joug des nobles. Aussitôt que le général en chef apprit que le sang français avait coulé à Gênes, il y dépêcha son aidede-camp Lavalette, avec la mission d'exiger la mise en liberté de tous les Français que, sous le nom de jacobins, l'inquisition d'État avait fait arrêter, le désarmement des charbonniers et de la populace, et l'arrestation des inquisiteurs. Lavalette arriva le 29 mai, et se rendit au sénat, qui prescrivit l'élargissement des Français. La bourgeoisie, se voyant soutenue par le grand libérateur, se réveille et veut aussi le désarmement des sicaires de l'oligarchie. Le soir, quatre mille fusils revinrent à l'arsenal. La bourgeoisie avait la majorité dans le petit conseil,

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