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part, sans aucun terme de comparaison dans les fastes du monde. Quant à moi, je déclare que je n'aurais pas entrepris d'écrire cette grande histoire, si je ne m'étais senti également possédé du besoin de rendre hommage à la vérité, et du désir d'honorer la France.

HISTOIRE

DE

NAPOLÉON.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA CORSE ANCIENNE ET MODERNE.

-

ÉTAT POLITIQUE DE LA CORSE AVANT

LA CONQUÊTE DES FRANÇAIS. LES GÉNOIS S'ADRESSENT A LA FRANCE POUR LES AIDER A CONQUÉRIR LA CORSE.-LA FRANCE Y ENVOIE DES TROUPES ET S'EN EMPARE. LA CORSE PASSE SOUS LA DOMINATION DE LA FRANCE AU MOIS DE JUIN 1769.

A noblesse historique de l'île de Corse remonte aux temps fabuleux, c'est-à-dire aux premiers âges de la civilisation. Cadmus, fils d'Agénor, dit Hérodote, cherchant Europe par toute la terre, s'arrêta dans cette île, et y laissa

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son parent Membliarius avec des Phéniciens; ceuxci la nommèrent Callisto. Théras, de la famille royale de Sparte, continue le père de l'histoire, chargé d'aller établir une colonie de Lacédémoniens, partit avec trois vaisseaux, et aborda dans l'île de Callisto, habitée par des Phéniciens depuis huit générations. Elle s'appela Théra, de Théras qui lui donna son nom. Sur la foi d'un oracle de Delphes, Grinnus, l'un des descendans de Théras, envoya dans l'île de Platée en Libye, une colonie d'habitans des sept villes de Théra. Pline nous apprend que Mariana fut fondée par Marius, et Aléria par Sylla. Tite-Live donne à la ville d'Aléria une origine phocéenne. Les ruines de cette ville subsistent encore à huit lieues de Corté, sur le bord de la mer. La ville de Nicée fut, d'après le même historien, bâtie par les Étrusques. Ainsi les Phéniciens, qui négociaient dans tout le monde connu; les Grecs, qui l'instruisaient par leurs arts et leurs vertus; les Phocéens, fondateurs de notre ville de Marseille; et les Étrusques, qui civilisèrent l'Ausonie, furent les premiers habitans de la Corse. Les Grecs lui donnèrent aussi le nom de Cyrnos.

On voit que les peuples les plus illustres de la terre sont les ancêtres de ces Corses que Rome appelait barbares. Tite-Live parle ainsi de la Corse et de ses habitans: « La Corse est une terre âpre et monta«gneuse, et presque partout impraticable; elle << nourrit un peuple qui lui ressemble. Les Corses, << sans aucune civilisation, sont à peu de chose près plus indomptés que les bêtes sauvages. Emmenés << en captivité, à peine s'ils s'adoucissent dans les fers.

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« Au contraire, soit horreur du travail ou de l'esclavage, ils s'arrachent la vie; soit opiniâtreté ou stupidité, ils sont insupportables à leurs maîtres! » Tite-Live ne pouvait faire un plus bel éloge des Corses, ni une satire plus cruelle des Romains. C'est sans doute à cause de ce caractère indomptable des Corses, que les Romains disaient qu'ils n'en voulaient pas pour esclaves; ce qui signifie que les Corses ne voulaient point des Romains pour

maitres.

Il est facile d'expliquer cette horreur des Corses pour la servitude, sentiment qui n'est peut-être pas encore affaibli en eux. Séparé de toutes les nations par la mer, et sans cesse obligé de se défendre contre leurs agressions, ce peuple dut se réfugier dans cette sauvage indépendance qui faisait sa sûreté. Ce fut pour elle qu'il combattit si généreusement pendant tant de siècles, et presque depuis son origine, contre les nations les plus belliqueuses, les Carthaginois, les Romains, les Goths, les Sarrasins, les Lombards, les Génois, et enfin les Français.

L'état politique de la Corse avant la perte de son indépendance mérite quelque attention; il était déterminé par la nature elle-même. L'ile n'est qu'une vaste agrégation de montagnes sillonnées par deş vallées plus ou moins profondes qui possèdent seules la terre végétale, source de toute population, et divisent la contrée par cantons nommés pièves. Chaque canton renfermait des familles influentes, toujours rivales, souvent en guerre, et donnait assez exactement l'idée des clans de l'Écosse. A la menace d'un danger public, elles suspendaient leurs querelles, et

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se réunissaient pour la défense commune. C'était sur
la valeur des propriétés que se mesurait l'impor-
tance des familles et de leur clientèle. Un pareil
ordre de choses divisait la Corse en aristocraties pa-
trimoniales, toutefois combinées avec l'indépendance
des habitans; car dans la guerre étrangère ou dans
la guerre civile,
civile, chacun d'eux s'armait à ses frais,
et venait de lui-même combattre sous la bannière
de l'une des familles les plus considérables de sa
piève. La confédération des pièves formait la patrie

corse.

Les villes maritimes devaient à leur position, comme à la nature de leur population, une destinée particulière et toute différente. En effet, constamment occupées depuis plusieurs siècles par des garnisons génoises, et habitées par des familles italiennes déportées par leurs propres gouvernemens ou chassées par des factions victorieuses, elles se trouvaient en quelque sorte hors de l'association nationale. Leurs habitans ne pouvaient y entrer et exercer de l'influence dans l'intérieur du pays que par des établissemens et des acquisitions dans les pièves.

En 1757, l'illustre Pascal Paoli avait levé l'étendard de l'indépendance contre les Génois; ceux-ci, qui, désespérant depuis le x11° siècle d'assujétir les Corses à leur république, n'en avaient pas moins poursuivi cette vaine entreprise, implorèrent l'appui de la France contre leurs ennemis. Le duc de Choiseul saisit avec empressement l'occasion de donner une possession aussi importante au royaume, et envoya dans la Méditerranée des troupes commandées par le marquis de Chauvelin et le comte de Marbeuf qui

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