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Londs et mendiants de la veille, se donner l'orgueil et revendiquer insolemment l'odieux de ces deux conquêtes; voir d'affreuses persécutions éclater jusque dans la plus paisible, et de tout temps la moins révolutionnaire de nos provinces, contre quiconque n'avait pas refusé un gîte et du pain à nos tristes vaincus de Waterloo; il n'y avait pas d'animosité contre Bonaparte, pas de ressentiment contre la tyrannie militaire, pas d'amour du repos et de préférence studieuse, qui pût tenir à un pareil spectacle, chez un homme aussi droit, aussi impressionnable que l'était Courier. Aussi, bientôt se montra-t-il parmi les adversaires du nouvel ordre de choses. Alors seulement il éprouva quelque fierté d'avoir autrefois combattu l'étranger dans les armées de la république; alors aussi il cessa de se désavouer lui-même comme soldat de l'empire; car à Florence, à Mayence, à Marengo, à Wagram, c'était le même drapeau, c'était la même nécessité révolutionnaire: vaincre pour n'être pas enchainés, conquérir pour n'être pas conquis.

En se déterminant à élever la voix et à dire au public son avis sur les affaires, Courier avait senti, comme un autre, le besoin d'arranger son personnage; et, par un bonheur peu commun, tout dans sa vie passée prenait sans effort le caractère du patriotisme le plus désintéressé. La singularité si rare d'avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l'émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d'aucun des partis qui s'étaient disputé le pouvoir, lui devenait d'un merveilleux secours pour l'autorité de ses paroles. Ce qui parfois était le fait d'une humeur un peu bizarre, d'un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l'ancien canonnier à cheval. Ce n'était plus par hasard, mais par amour du pays, qu'il était allé à la frontière en 1792. Ce n'était plus par insouciance qu'il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D'ailleurs ne voulant de la charte qu'autant que le gouvernement en voulaiî, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu'une opposition trop polie voulait bien leur accorder : l'attitude était vraiment unique.

En tout cela Courier n'obéissait pas moins à l'instinct de son ta

ient qu'à son indignation d'honnête homme et de citoyen, contre un système de persécution qui atteignait autour de lui quiconque ne voulait point être persécuteur. Son début ne se fit pas longtemps attendre. Au mois de décembre 1816, il adressa aux chambres, pour les habitants de Luynes, la fameuse pétition Messieurs, je suis Tourangeau la sensation fut des plus vives. Ce n'était que le tableau de la réaction royaliste dans un village de Touraine; mais la France entière s'y pouvait reconnaître, car partout la situation était la même, avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux mêmes qui, s'intéressant moins aux victimes qu'aux persécuteurs, se piquaient d'aimer l'esprit en gens de cour. Or, c'était là le point : tout dire dans une feuille d'impression, et savoir se faire lire. Courier y avait réussi ; aucune porte fermée n'avait pu empêcher cette vérité d'arriver à son adresse. M. Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu'il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s'attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu'auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris; poussant un procès contre l'un, demandant inutilement justice contre l'autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d'envie de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d'un ministre, au moins pour obtenir dans son village, repos du côté des autorités, et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela seul suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C'était là tout ce qu'il voulait ; il remercia, salua, et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d'être l'objet depuis la pétition de Luynes. Ses amis avaient tous blamé l'apreté de ce nouvel écrit. Lui s'étonnait qu'on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l'histoire de cette lettre. Courier s'était présenté pour succéder, à l'Académie

des Inscriptions, à Clavier, son beau-père. A l'en croire, il avait parole du plus grand nombre des académiciens, et cependant, au jour de l'élection, il avait été unaniment rejeté. Il s'en fàcha, et fit la lettre. On remarqua que, puisqu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable pour la vouloir occuper après lui, il s'était fustigé lui-même sur cette prétention en voulant humilier le corps entier des académiciens; qu'il était peu conséquent à lui d'avoir frappé à la porte d'une académie, uniquement fondée, d'après son dire actuel, << pour composer des devises aux tapisseries du roi et, en un besoin, << aux bonbons de la reine. » Si Courier était coupable ici de quelque légèreté, il en fut puni dans le temps par l'endroit le plus sensible à un auteur. Sa lettre, aujourd'hui si admirée, n'eut d'abord point de succès. Ce qu'on appelait la méchanceté et la vanité blessée de l'académicien aspirant ferma beaucoup d'yeux sur l'art infini avec lequel était composé ce petit écrit, ou plutôt on fut sciemment injuste, parce que la personnalité maniée si cruellement effraye jusqu'aux rieurs, pour peu qu'ils soient exposés à rencontrer un si terrible homme et à lui déplaire. « Nulle part cependant Courier n'a répandu << avec plus de bonheur les traits d'une satire à la fois bouffonne et « sérieuse, qui excite le rire en même temps qu'elle soulève l'indi gnation et le mépris, telle qu'on l'admire dans les immortelles Pro«<vinciales. » C'est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits, qui n'a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le mécon naître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui'. S'il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui, dans les biographies et dans les journaux, se sont chargés de parler d'eux-mêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amour-propre tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si con nue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonnement, franchement, avec la plus naïve conviction, ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier lui

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'L'opinion de Madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très-particulièrement Courier, est que cette notice n'est point de lui. L'auteur de cet Essai a cru pouvoir, malgré des autorités si respectables, persister dans l'assertion qu'il a émise ici.

même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres, mais au peu de façon et de déguisement avec lequel il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne conscience.

Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges sont, littérairement parlant, l'exacte mesure de l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de Corneille, de la Fontaine, de Montesquieu, de Molière, si ces grands écrivains avaient été capables de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt cette ingénuité de bonne opinion. N'estce point, par exemple, une bonne fortune de trouver sur les Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opinion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous vengea par ces hardis opuscules? « La petite « collection des Lettres au Censeur, dit Courier, commença à popu« lariser le nom de l'auteur. Jusque-là, les éloquentes et courageuses « dénonciations dont il avait poursuivi les magistrats iniques qui faisaient peser leur despotime sur la population timide et muette << des campagnes, n'avaient guère retenti au delà du département « d'Indre-et-Loire. Il était l'écrivain patriote de sa commune, de << son canton; il n'était pas encore l'homme populaire de toute la « France. Les Lettres au Censeur, assez répandues, révélèrent au pu«blic ce talent et ce courage nouveau d'un sincère ami du pays, « dont l'esprit élevé au-dessus de tous les préjugés voit partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la dit de manière à la rendre ⚫ accessible à tous, vulgaire, et, si l'on veut même, triviale et villageoise. Ajoutez à cela que, par un prodige tout à fait inouï, cet écrivain, qui semble ne chercher que le bon sens, s'exprime avet

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<< une pureté et une élégance de langage entièrement perdues de nos jours, et qui empreint ses écrits d'un caractère inimitable. »

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Tout le monde assurément aura reconnu ici la plume du maître, et s'il est impossible de rien ajouter à cet éloge des Lettres au Censeur, on conviendra aussi qu'il n'y a rien à en òter. C'est de ce mėme ton, avec cette même absence de pruderie littéraire, que la notice, dont l'anonyme est assez dévoilé, continue l'histoire et l'examen des écrits du vigneron de la Chavonnière. Cette notice est postérieure au Pamphlet des pamphlets, et conséquemment le dernier écrit de Courier, comme s'il eût dû terminer sa carrière par ce rapide et glorieux coup d'œil jeté sur elle avec un sentiment si juste de sa valeur d'écrivain. Il est bien impossible de ne pas s'aider de cette curieuse pièce quand on l'a sous les yeux, et ce serait faire au lecteur un véritable tort, que de ne pas laisser parler Courier toutes les

fois qu'on est de son avis sur lui-même. On accepte bien un grand capitaine ou un politique fameux pour historien de ses propres actions: on trouve même qu'il est trop peu de tels historiens; que le plus capable de faire de grandes choses est aussi le plus capable d'en bien parler. Pourquoi un grand écrivain ne serait-il pas aussi quelquefois le meilleur commentateur de ses propres ouvrages? Courier, par exemple, l'homme de son temps qui sut le mieux l'histoire de notre langue, le seul qui ait possédé le génie particulier de chacun des åges de cette langue, quel serait aujourd'hui le critique compétent à le juger sur toutes ses parties d'écrivain? Boileau, le grand critique du dix-septième siècle, n'osa point parler de la Fontaine ; Voltaire en déraisonna; et jusqu'à ces derniers temps, c'est-à-dire jusqu'à Paul Courier, le bonhomme, dont Molière seul comprit la supériorité, n'avait peut-être rencontré ni biographe, ni commentateur qui en sût assez pour parler de lui.

Entre la dernière Lettre au Censeur, et le Simple discours sur la souscription pour Chambord, il y eut un immense progrès dans la réputation de Courier; cependant le talent est le même dans ces deux opuscules. Tout l'avantage du Simple discours est dans l'àpropos, aussi heureux que hardi, de ce fer chaud appliqué sur l'épaule des courtisans, dans le temps même où ils s'agitaient pour donner à un tribut imposé à la faiblesse de beaucoup de gens la couleur d'une amoureuse offrande nationale. Courier fut condamné pour cette brochure à deux mois de prison et à trois cents francs d'amende. On trouva qu'en disant tout haut: Je ne souscrirai point pour donner Chambord au duc de Bordeaux, il avait offensé la morale. « Or, le Simple discours, comme dit très-bien le biographe anonyme, est un des plus éloquents plaidoyers qu'on ait parlés jamais en faveur de la morale, non publique et telle qu'on l'inscrit dans nos lois, mais de la morale véritable, telle que les croyances populaires l'ont reconnue. >> On ne s'étonnera point de voir ce mot d'éloquence appliqué à une production en apparence toute simple, toute naïve. Le vigneron de la Chavonnière semble ne parler qu'à des paysans comme lui; mais tout en s'accommodant à leur intelligence, il trouve moyen de faire entendre sur la cour, sur les courtisans, sur les mœurs de l'ancien régime, naturellement rappelées par Chambord, ce lieu témoin de tant d'illustres débauches, des choses à faire frémir les intéressés. La brochure dans laquelle Courier rend compte de son procès est elle-même un délicieux pamphlet. Quant à l'admirable plaidoyer qui le termine, on ne pense pas que Courier ait jamais sérieusement

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