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le meilleur par conséquent, sur la différence qu'il y a de l'historien au pamphlétaire, qu'il appelle aussi libelliste. L'un peut dire la vérité, parce qu'il fait de gros volumes qu'on ne lit pas. L'autre ne doit pas dire vrai, parce qu'on le lit en petit volume. L'auteur de la brochure va vous conter qu'il a copié les historiens; mensonge, messieurs, mensonge odieux, aussi dangereux que coupable; car l'histoire n'est pas toute dans sa brochure. Il devait copier tout, ou rien. Il montre le laid, cache le beau. Louis eût des bâtards; mensonge; car ce n'est pas le beau de son histoire. Il y avait bien d'autres choses à vous dire de Louis le Grand. Ne les pas dire toutes, selon maître Broë, c'est mentir, et de plus insulter la nation. Qui ne sent, dit-il, qui ne sent...? Il croit que tout le monde sent cela. Vengez, messieurs, vengez la nation, la morale.

Outre les historiens, Paul-Louis cite les Pères et les prédicateurs, morts il y a longtemps. Maître de Broë lui répond par une autorité vivante; c'est celle de monseigneur le garde des sceaux actuel, dont il rapporte (en s'inclinant) les propres paroles extraites d'un de ses discours, page 10, sans songer que peut-être ailleurs monseigneur a dit le contraire.

Et puis l'Écriture, et les Pères, et les sermons de Massillon appartiennent aux honnêtes gens. Les écrivains ne doivent pas s'en servir pour se justifier. Développement de cette proposition, appliquée à l'auteur d'un roman condamné, qui osa dernièrement alléguer l'Évangile.

Nota que cet épisode sur les horribles phrases dont on ne parle pas occupe deux colonnes entières du Moniteur.

Troisième passage :

<< Sachez qu'il n'y a pas en France une seule famille noble, << mais je dis noble de race et d'antique origine, qui ne doive sa <«< fortune aux femmes'; vous m'entendez. Les femmes ont fait <«< les grandes maisons; ce n'est pas, comme vous croyez bien,

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en cousant les chemises de leurs époux, ni en allaitant leurs << enfants. Ce que nous appelons, nous autres, honnête femme, mère de famille, à quoi nous attachons tant de prix, trésor « pour nous, serait la ruine du courtisan. Que voudriez-vous qu'il fît d'une dame Honesta, sans amant, sans intrigue, qui, « sous prétexte de vertu, claquemurée dans son ménage, s’at

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« tacherait à son mari? Le pauvre homme verrait pleuvoir les grâces autour de lui, et n'attraperait jamais rien. De la fortune « des familles nobles, il en paraît bien d'autres causes, telles « que le pillage, les concussions, l'assassinat, les proscriptions, << et surtout les confiscations. Mais qu'on y regarde, et on verra qu'aucun de ces moyens n'eût pu être mis en œuvre sans la « faveur d'un grand, obtenue par quelque femme; car, pour piller, il faut avoir commandements, gouvernements, qui ne s'obtiennent que par les femmes ; et ce n'était pas tout d'assas«< siner Jacques Coeur ou le maréchal d'Ancre, il fallait, pour « avoir leurs biens, le bon plaisir, l'agrément du roi, c'est-à-dire, « des femmes qui gouvernaient alors le roi ou son ministre. Les « dépouilles des huguenots, des frondeurs, des traitants, autres faveurs, bienfaits qui coulaient, se répandaient par les mêmes « canaux aussi purs que la source. Bref, comme il n'est, ne fut, << ni ne sera jamais, pour nous autres vilains, qu'un moyen de fortune, c'est le travail; pour la noblesse non plus il n'y en a qu'un, et c'est........ c'est la prostitution, puisqu'il faut, mes amis, l'appeler par son nom. »>

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Quatrième exorde pour fixer encore le terrain.

La Charte fait des nobles qui descendent de leurs pères, et d'autres nobles qui ne descendent de personne, et puis de grands magistrats qui sont nobles aussi. Longue dissertation, à la fin de laquelle il déclare qu'il ne s'agit pas de la noblesse, qu'il ne la défend pas.

Mais l'auteur outrage une classe, une généralité d'individus. Il offense la morale évidemment. L'honneur de certaines fɑmilles fait partie de la morale; et l'auteur blesse ces familles, quand il répète mot à mot ce que l'histoire en dit, et qui est imprimé partout. Il blesse la morale; et le pis, c'est qu'il empêche toutes les autres familles d'imiter celles-là, de vivre noblement. Réprimez, messieurs, réprimez. Oui, punissons, punissons. Ne souffrons pas, ne permettons pas, etc.

Maître Jean, qui appelle toujours l'auteur de la brochure libelliste, et l'associe, dans sa réplique, aux écrivains les plus déshonorés en ce genre, ajoute que c'est l'avidité qui a fait écrire Paul-Louis, qu'il écrit par spéculation, qu'il est fabricant et · marchand de libelles diffamatoires : et quand il disait cela, maî

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tre Jean de Broë venait de lire à haute voix une déclaration de l'imprimeur Bobée, portant que jamais Paul-Louis n'a tiré nulle rétribution des ouvrages par lui publiés. N'importe, c'est un compte à régler du libelliste à l'imprimeur. Eh quoi! maître Jean, selon vous rien ne se fait gratis au monde, rien par amour? tout est payé? Je vous crois; même les réquisitoires, même le zèle et le dévouement.

suite; il s'agit à présent de la belle harangue de maître de Broe. Ce discours, m'a-t-on dit, n'est pas extraordinaire au barreau, où l'on entend des choses pareilles, chaque jour, en plein tribunal, prononcées avec l'assurance que n'avaient pas les d'Aguesseau. Nous en sommes surpris, nous à qui cela est nouveau, et concevons malaisément qu'un homme siégeant, comme on dit, sur les fleurs de lis, sachant lire, un homme ayant reçu l'éducation commune, puisse manquer assez de sens, d'instruction, de goût, pour ne trouver dans ces paroles d'un paysan à un grand prince, ton mélier sera de régner, qu'une injure, et ne pas sentir que ce mot vulgaire de métier relève, ennoblit l'expression, par cela même qu'il est vulgaire; tellement qu'elle ne serait pas déplacée dans un poëme, une composition du genre le plus élevé, une ode à la louange du prince. Si on n'en saurait dire autant des autres termes employés par l'auteur dans le même endroit, ils ont tous du moins le ton de simplicité naïve, convenable au personnage qui parle; et le public ne s'y est pas trompé, souverain juge en ces matières. Personne, ayant le sens commun, n'a vu là dedans rien d'offensant pour le jeune prince, auquel il serait à souhaiter qu'on fit entendre ce langage de bonne heure, et toute sa vie. Mais il ne faut pas l'espérer; car tous les courtisans sont des Jean de Broë, qui croient ou font semblant de croire qu'on outrage un grand, quand d'abord, pour lui parler, on ne se met pas la face dans la boue. Ils ont leurs bonnes raisons, comme dit la brochure, pour prétendre cela, et trouvent leur compte à empêcher que jamais front d'homme n'apparaisse à ceux qu'ils obsèdent. Cependant, il faut l'avouer, quelques-uns peuvent être de bonne foi, qui, habitués comme tous le sont aux sottes exagérations de la plus épaisse flagornerie, finissent par croire insultant tout ce qui est simple et uni, insolent tout ce qui n'est pas vil. C'est par là, je crois, qu'on pourrait excuser maître de Broë; car il n'était pas né peut-être avec cette bassesse de sentiments. Mais une place, Une cour à faire......

Le même jour qui met un homme libre aux fers

Lui ravit la moitié de sa vertu première.

Et voilà comme généralement on explique la persécution éle

vée contre cette brochure, au grand étonnement des gens les plus sensés du parti même qu'elle attaque. Répandue dans le public, elle est venue aux mains de quelques personnages comme Jean de Broë, mais placés au-dessus et en pouvoir de nuire, qui, aux seuls mots de métier, de layette, de bavette, sans examiner autre chose, aussi incapables d'ailleurs de goût et de discernement que d'aucune pensée tant soit peu généreuse, crurent l'occasion belle pour déployer du zèle, et crièrent outrage aux personnes sacrées. Mais on se moqua d'eux, il fallut renoncer à cette accusation. Un duc, homme d'esprit, quoique infatué de son nom, trouva ce pamphlet piquant, le relut plus d'une fois, et dit : Voilà un écrivain qui ne nous flatte point du tout. Mais d'autres ducs ou comtes, et le sieur Siméon, qui ne sont pas gens à rien lire, ayant ouï parler seulement du peu d'étiquette observée dans cette brochure, prirent feu là-dessus, tonnèrent contre l'auteur, comme ce président qui jadis voulut faire prendre un poëte pour avoir tutoyé le prince dans ses vers. Si maître Jean a des aïeux, s'il descend de quelqu'un, c'est de ce bon président; et si vous n'en sortez, vous en devez sortir 1, maître Jean Broë.

Mais qu'est-ce donc que la cour, où des mots comme ceux-là soulèvent, font explosion? et quelle condition que celle des souverains entourés, dès le berceau, de pareilles gens? Pauvre enfant! O mon fils, né le même jour, que ton sort est plus heureux! Tu entendras le vrai, vivras avec les hommes; tu connaîtras qui t'aime; ni fourbes ni flatteurs n'approcheront de toi.

Après l'avocat général, Me Berville parla pour son client, et dit :

MESSIEURS LES JURÉS,

Si, revêtus du ministère de la parole sacrée, vous veniez annoncer aux hommes les vérités de la morale, on ne vous verrait point sans doute, timides censeurs, faciles moralistes, composer avec la corruption, et dégrader, par des ménagements prévaricateurs, votre auguste caractère. Vous sauriez vous armer, pour remplir vos devoirs, d'indépendance et d'austérité. La haine du vice ne se cacherait point sous les frivoles délicatesses d'un lan

1 Boileau.

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