Page images
PDF
EPUB

vrait suffire, et nous en supprimerions d'autant plus volontiers les autres détails, qu'à quelques petites différences près, ces détails ne sont que trop souvent ramenés dans l'éloge historique des sujets que la mort enlève à l'académie. Mais nous ne pouvons nous dispenser de dire encore qu'étudiant en rhétorique au Plessis, sous le célèbre M. Hersan, qui redoublait volontiers l'ardeur de ses disciples par d'honorables épithètes, M. Hersan disait publiquement qu'il n'en trouvait point qui distinguât assez le jeune Rollin, qu'il était quelquefois tenté de le qualifier de divin. Il lui renvoyait presque tous ceux qui lui demandaient des pièces de vers ou de prose: Adressezvous à lui, leur disait-il, il fera encore mieux que moi.

Aquelque temps de là, un ministre à qui l'on ne pouvait rien refuser, M. de Louvois, engagea M. Hersan à quitter le collége du Plessis pour s'attacher à M. l'abbé de Louvois, son fils, qu'il faisait élever avec soin, et qui de lui-même donnait de grandes espérances. M. Rollin n'avait alors que vingt-deux à vingt-trois ans, et déja on le regardait dans l'université comme digne de succéder à M. Hersan. Il fut le seul qui pensât différemment, et ce ne fut pas sans lui faire violence qu'on le détermina à être professeur de seconde, comme M. Hersan l'avait été avant que de passer à la chaire de rhétorique, qu'il eut aussi comme lui quelques années après : et ce qui acheva de rendre la conformité parfaite, c'est que M. Hersan, qui avait de plus la survivance d'une chaire d'éloquence au college Royal, s'en démit' encore, avec l'agrément du roi, en faveur de M. Rollin.

La nécessité de composer des tragédies pour la distribution des prix à la fin de chaque année était l'unique

En 1688.

chose qui embarrassait un peu M. Rollin. Quelque sensible qu'il fût d'ailleurs aux beautés des anciens poètes dramatiques, il était trop persuadé que ces sortes de représentations ne convenaient point dans les colléges, où elles faisaient seulement perdre un temps précieux aux maîtres et aux écoliers: et on se rappela à ce sujet que, M. Le Pelletier en ayant voulu faire représenter chez lui par messieurs ses fils et les jeunes gens qu'il avait associés à leurs études, M. Rollin était le seul qu'on ne put jamais y charger d'aucun rôle. Un certain fonds d'ingénuité attaché à toutes les parties de son caractère l'empêchait de se revêtir un instant du moindre personnage étranger.

A cet article près, aucun professeur n'exerçait ses fonctions d'une manière plus brillante. Il faisait souvent des harangues latines où il célébrait les événements du temps, tels que les premières victoires de Monseigneur, la prise de Philisbourg, et les campagnes suivantes. Mais le grec lui sembla toujours mériter une sorte de préférence. On commençait à le négliger dans les écoles de l'université : il en ranima l'étude, et il en fut pour ainsi dire le véritable restaurateur. Il regrettait fort qu'on eût abandonné l'usage de soutenir des thèses en grec. M. Boivin le cadet, et lui, en avaient donné le dernier exemple: et n'ayant pas assez d'autorité pour rétablir cet usage, il en introduisit un autre encore plus utile, celui des exercices publics sur des anciens auteurs grecs et latins. Il choisit les plus jeunes des fils de M. Le Pelletier pour le premier de ces exercices et les applaudissements qu'ils recurent excitèrent dans les autres colléges une émulation qui s'y soutient encore, M. Rollin en augmentait ordinairement l'éclat par des pièces de vers qu'il adressait, tantôt à ceux-mêmes qui faisaient ces exercices, tantôt à

:

leurs parents; et plusieurs de ces pièces sont imprimées. M.Le Pelletier conservait précieusement l'original de celle que M. Rollin lui avait adressée sur l'exercice de messieurs ses fils. Il en composa trois sur ceux de M. l'abbé de Louvois: et la troisième a cela de singulier, qu'elle explique, avec une netteté et des graces inimitables, l'estampe de cette thèse fameuse que M. le marquis de Louvois, son père, lui fit dédier au roi, à son retour de la prise de Mons. Il joignait à ces talents un zèle infatigable, et un tel discernement des esprits, qu'il voyait tout d'un coup ce dont ils pouvaient être capables, et la route qui devait les y conduire. Habile à réprimer l'impétuosité et à élever le courage, à ménager la délicatesse et à dompter l'indolence, c'est ainsi qu'il a formé quantité de gens de lettres, d'excellents professeurs, et qu'il a donné au clergé, à la magistrature, au métier même des armes, des sujets d'un grand mérite. M. le premier président Portail se plaisait quelquefois à faire semblant de lui reprocher qu'il l'avait excédé de travail; et M. Rollin lui répondait sérieusement : « Il vous sied bien, monsieur, de vous en plaindre! C'est cette habitude au travail qui vous a distingué dans la place d'avocat-général, qui vous a élevé à celle de premier président : vous me devez votre fortune. » Après avoir professé huit ou dix années de suite au Plessis, M. Rollin en sortit pour se livrer entièrement à l'étude de l'histoire ancienne, ne retenant de ses fonctions publiques que celle de la chaire d'éloquence du collége Royal, qu'il n'exerçait encore qu'à titre de survivance sans aucun émolument; mais il avait six à sept cents livres de rente, et il se croyait extrêmement riche.

[ocr errors]
[ocr errors]

L'université, qui sentit le vide qu'y laissait la retraite de M. Rollin, ne fut pas long-temps sans le rappeler. Elle le nomma recteur à la fin de 1694, et elle le continua

deux ans; ce qui était alors une grande distinction. En cette qualité, il fit deux fois, aux écoles de Sorbonne, le panégyrique du roi, que la ville venait de fonder. On n'y vit jamais un auditoire plus nombreux et plus choisi. Ces deux discours furent regardés comme autant de chefsd'oeuvre; le dernier surtout, qui avait pour objet l'établissement des Invalides. Et cependant, comme cet objet n'avait pas rempli toute la fécondité du génie de M. Rollin, il fit distribuer le même jour dans l'assemblée une ode sur les autres embellissements de Paris. La description de ses portes en arcs de triomphe formait seule dans cette ode un nouveau panégyrique encore plus digne du héros.

C'est au même temps qu'il faut rapporter ce que l'on trouve dans les Mémoires du sieur Amelot de La Houssaye, à l'article des préséances. Il y marque qu'à une thèse de droit, le recteur Charles Rollin ne souffrit jamais que l'archevêque de Sens (Fortin de La Hoguette) prit le pas sur lui. Il n'est pas nécessaire d'ajouter qu'en tout autre temps, et en toute autre occasion, il ne l'aurait jamais disputé à personne.

La fin du rectorat de M. Rollin ne lui rendit pas toute sa liberté. M. le cardinal de Noailles l'engagea à se charger de l'inspection des études de messieurs ses neveux, qui étaient au collège de Laon : et il s'en occupait avec plaisir quand M. Vittement, appelé à l'éducation des enfants de France, souhaita, avant tout, pouvoir lui remettre sa coadjutorerie de la principalité du collège de Beauvais. M. Rollin eut toutes les peines du monde à l'accepter : et il paraît, par quelques lettres imprimées de M. l'abbé Duguet, que ce fut lui qui l'y détermina.

Le college de Beauvais, aujourd'hui si florissant, était alors une espèce de désert, où il n'y avait que très-peu

d'écoliers, et point du tout de discipline; et ce qui semblait ôter l'espérance de pouvoir jamais y rétablir l'ordre et le travail, c'est qu'il était uni à un autre collége de même nature. Nous ne dirons point comment M. Rollin vint à bout de le mettre en honneur et de le peupler presque au-delà de ce au-delà de ce qu'il peut contenir. On s'imagine bien qu'il fallut y employer tous les talents qu'il exige luimême d'un bon principal, dans son Traité des Études. C'est assez la coutume des grands maîtres, de ne prescrire les véritables devoirs d'un état qu'en décrivant sans y penser la manière dont ils ont rempli les leurs.

Aussi rien n'égalait la confiance qu'on avait en lui. Un homme de province, homme riche, et qui ne le connaissait que de réputation, lui amena son fils pour être pensionnaire à Beauvais, ne croyant pas que cela pût souffrir quelque difficulté. M. Rollin se défendit de le recevoir, sur ce qu'il n'avait pas un pouce de terrain qui ne fût occupé : et, pour l'en convaincre, il lui fit parcourir tous les logements. Ce père, au désespoir, ne chercha point à l'exprimer par de vaines exclamations. Je suis venu, lui dit-il, exprès à Paris; je partirai demain: je vous enverrai mon fils avec un lit. Je n'ai que lui. Vous le mettrez dans la cour, à la cave, si vous voulez; mais il sera dans votre college, et de ce moment-là je n'en aurai aucune inquiétude. Il le fit comme il l'avait dit. M. Rollin fut obligé de recueillir le jeune homme, et de l'établir dans son propre cabinet, jusqu'à ce qu'il lui eût ménagé une place ordinaire.

En 1712, il quitta la principalité de Beauvais pour reprendre plus tranquillement le premier projet de ses études. Il commença par travailler sur Quintilien, dont il faisait grand cas, et dont il voyait avec peine qu'on faisait trop pen d'usage. Il en retrancha tout ce qu'il y

« PreviousContinue »