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porter les armes, apprenait le métier de la guerre en s'exerçant dans le camp aux plus rudes travaux. Elle se piquait, non de donner des repas, ou de se livrer à la débauche, mais d'avoir de belles armes et de beaux chevaux. Aussi, nulles fatigues ne lassaient de tels hommes, nulles difficultés ne les rebutaient, nul ennemi ne leur inspirait de la frayeur. Leur courage les rendait supérieurs à tout. Nul combat plus vif et plus animé pour eux que celui de l'émulation, qui les portait à se disputer les uns aux autres le prix de la gloire. Frapper l'ennemi, escalader une muraille, se faire distinguer par quelque action hardie, c'était là toute leur ambition, c'est par où ils cherchaient à se faire estimer, c'est en quoi ils croyaient que consistait la véritable noblesse.

Les soldats endurcis de la sorte jouissaient ordinairement d'une santé robuste. On ne remarque pas dans les auteurs que les armées romaines, qui faisaient la guerre en tant de climats différents, périssent beaucoup par les maladies: au lieu qu'il arrive souvent aujourd'hui que des armées, sans avoir combattu, se fondent, pour ainsi dire, dans une campagne.

viviis, lubidinem habebat. Igitur talibus viris non labos insolitus, non locus ullus asper aut arduus erat, non armatus hostis formidolosus : virtus omnia domuerat. Sed gloriæ maxumum certamen inter ipsos erat.

Quisque hostem ferire, murum adscendere, conspici dum tale facinus faceret, properabat. Eas divitias, eam bonam famam, magnamque nobilitatem putabant. » (SALLUST. in Bello catil.)

Émulation jetée parmi

par les

On ne se contentait pas d'endurcir les corps,

les troupes, on songeait encore plus à inspirer du courage. Les louanges et actions militaires, comme le remarque M. Bossuet, compenses. avaient mille récompenses qui ne coûtaient rien

par les ré

l'Hist. univ.

au public, et qui étaient infiniment précieuses Discours sur aux particuliers, parce qu'on y avait attaché la gloire, si chère à ce peuple belliqueux. Une couronne d'or très-mince, et le plus souvent une couronne de feuilles de chêne, ou de laurier, ou de quelque herbage plus vil encore, devenait inestimable parmi les soldats, qui ne connaissaient de plus belles marques que celles de la vertu, ni de plus noble distinction que celle qui venait des actions glorieuses.

Quel effet pense-t-on que produisissent dans l'esprit des soldats et des officiers des louanges données à la tête de l'armée, par le général, après un combat où ils s'étaient distingués d'une manière particulière? Et ces louanges étaient accompagnées de monuments glorieux et de preuves sensibles et permanentes de leur mérite, qu'ils laissaient à leur postérité comme un précieux héritage. C'étaient là pour eux de véritables lettres de noblesse : c'étaient d'ailleurs des titres assurés pour monter à des places plus avantageuses et plus honorables, qui n'étaient accordées qu'au mérite, et non enlevées par la brigue et par la cabale. De simple soldat on pouvait, en passant successivement par différents degrés, arriver jusqu'au consulat. Quelle

agréable perspective pour un bas - officier d'envisager dans le lointain les premières charges de l'état et de l'armée comme autant de récompenses auxquelles il pouvait aspirer!

C'est par lå que l'on relève le courage des moindres soldats, qu'on les intéresse à la gloire et au succès des entreprises, et qu'on en fait, j'oserais presque dire, autant de héros. C'est par là qu'on se dispense des récompenses pécuniaires qui chargent un état et l'épuisent, et qui, ne suffisant jamais pour récompenser tous les services, font nécessairement des mécontents, et causent un découragement presque général. Ce soin industrieux de mettre la vertu et le mérite en honneur est le véritable caractère de la république romaine, et le moyen qui a contribué le plus efficacement et en même temps le plus gratuitement à sa grandeur. Quelques branches de chêne ou de laurier, comme je l'ai déja observé, lui ont suffi pour payer les services de ceux qui lui ont procuré la conquête de l'univers.

Pour ce qui regarde les généraux, quelle impression l'honneur du triomphe ne devait-il pas faire sur l'ame d'un particulier, au-devant duquel venait le sénat en corps avec tous les ordres de l'état, pour qui tous les temples fumaient des sacrifices offerts aux dieux en action de graces de sa victoire, et qui, montré en spectacle sur un char superbe, voyait marcher devant lui les glo

Tome XIII. Hist. Rom.

4

Sévérité de la discipline.

cap. 35.

rieuses dépouilles qu'il avait remportées, et était suivi de l'armée victorieuse, qui faisait retenti toute ville de louanges non suspectes et justement méritées! Une si auguste cérémonie semblait élever le triomphateur au-dessus de l'humanité.

Les Romains, dans la guerre, savaient faire Liv. lib. 8, usage des châtiments aussi-bien que des récompenses. La fermeté d'un dictateur à l'égard de son général de la cavalerie, qui ne put être sauvé de la mort que par les prières et les instantes supplications du peuple entier; l'inexorable sévérité Ibid. c. 7. du consul Manlius contre son propre fils, qu'il fit

impitoyablement mourir, quoique victorieux, parce qu'il avait combattu contre son ordre ces exemples firent sur les esprits une terrible impression de crainte, qui devint pour toujours le ferme lien de la discipline militaire. Aussi n'a-t-elle jamais été observée chez aucun peuple aussi inviolablement que chez les Romains; et c'est ce qui contribua plus que toute autre chose à les rendre victorieux de tous leurs ennemis 1.

Comment ne l'auraient-ils pas été avec des troupes formées comme nous l'avons vu, et surConstance tout dirigées dans leurs opérations par les principes dans les plus les plus propres à faire des conquérants? C'en était

grands dan

gers et les

plus grands un chez les Romains de ne connaître d'autre terme de la guerre que la victoire, et pour cela de sur

malheurs.

I « Disciplinam militarem, quâ stetit ad hanc diem romana res. »

( Liv. lib. 8, cap. 7. )

2 « Nec finem ullum alium belli

Dionys. Ha

pag.1509.

monter avec une persévérance infatigable tous les dangers qui la pouvaient retarder. Les plus grands malheurs, les pertes les plus désespérantes n'étaient point capables d'abattre leur courage, ni de leur faire admettre aucune condition de paix basse et déshonorante. C'était une loi fondamentale de la politique romaine, dont jamais le sénat ne s'est départi, de ne rien accorder par force; et, dans les conjonctures les plus tristes, les faibles conseils, loin de prévaloir, n'étaient pas même écoutés. Dès le temps de Coriolan, le sénat déclara qu'on ne pouvait faire d'accord avec les Vols- licarn. lib. 8, ques tant qu'ils resteraient sur les terres des Romains. Il en usa de même à l'égard de Pyrrhus. Après la sanglante bataille de Cannes, où plus de cinquante mille Romains demeurèrent sur la place, il fut résolu qu'on ne prêterait l'oreille à aucune proposition de paix. Le consul Varron, qui avait été cause de la défaite, fut reçu à Rome comme ⚫s'il eût été victorieux, parce que, dans un si grand malheur, il n'avait point désespéré des affaires de la république. C'est ainsi qu'au lieu de décourager le peuple par un exemple de sévérité placé mal à propos, ces généreux sénateurs lui apprenaient par leur exemple à se roidir contre la mauvaise fortune, et à prendre dans les disgraces la fierté qu'inspire aux autres la prospérité 2.

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