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peuple, mettant leur gloire à abaisser et à mortifier le sénat autant qu'il était en eux.

Le pouvoir de ces magistrats du peuple devint si formidable, qu'ils se crurent assez autorisés pour arrêter les consuls mêmes, et pour les faire conduire en prison.

En un mot, il n'y eut rien qu'ils n'entreprissent, et dont, par une invincible opiniâtreté, ils ne vinssent à bout. Nous allons voir régner, par la faction de ces tribuns, artisans perpétuels de discordes, comme une guerre déclarée entre le sénat et le peuple, laquelle se poussera de part et d'autre avec beaucoup de vivacité et de violence, qui aura de temps en temps des trèves, quelquefois assez longues et assez tranquilles, mais qui pendant long-temps n'en viendra jamais jusqu'à prendre les armes et jusqu'à répandre le sang des citoyens.

Avant que de finir cette matière, je dois faire observer que la puissance des tribuns était renfermée dans la ville, et que le droit d'appel même n'avait lieu que jusqu'à mille pas de distance de Rome.

LIVRE TROISIÈME.

Ce troisième livre renferme à peu près l'espace de rente ans, depuis l'histoire de Coriolan, qui suit imnédiatement l'établissement des tribuns du peuple, usqu'à la loi proposée par le tribun Térentillus, qui prépare à l'établissement des décemvirs; c'est-à-dire, depuis l'an de Rome 261 jusqu'à 290.

§ I. Siége et prise de Corioles, où se distingue Marcius, surnommé depuis Coriolan. Son caractère. Renouvellement du traité avec les Latins. Mort de Ménénius Agrippa. Honneurs rendus à sa pauvreté. Famine extrême à Rome. Nouveaux troubles. Coriolan demande le consulat, et est refusé. Il s'emporte avec violence contre le peuple au sujet de la distribution du blé. Il conseille de profiter de la misère du peuple pour abolir le tribunat. Il est appelé en jugement devant le peuple, et condamné à l'exil. Il se retire chez les Volsques, qu'il engage à la guerre. Il forme le siége de Rome. Il rejette l'ambassade des sénateurs et celle des prétres. Il lève le siége à la prière de sa mère, et retourne à son exil. Sa

mort.

La paix étant rétablie dans Rome, on ne songea Av. J.C.491. plus qu'à lever des troupes pour porter la guerre au- p. 411-416.

Dionys. 1.6,

Liv. lib. 2, c. 34.

Plut.

in Coriol.

p. 216-218.

Siége

dehors. On avait nommé pour consuls, pendant les troubles de la république, Sp. Cassius et Postumus Cominius. Le commandement de l'armée échut par le sort au dernier. Elle était composée de troupes romaines fort nombreuses, et d'un secours assez considérable de Latins. Le consul marcha contre les Volsques, prit d'emblée deux petites villes, Longule et de Corioles. Polusque, puis s'attacha au siége de Corioles, une des plus fortes places du pays. Les habitants s'y étaient préparés de longue main: aussi firent-ils une vigoureuse défense. Les premières attaques, qui durèrent jusqu'à la nuit, ne réussirent pas au consul; il fut repoussé avec beaucoup de perte des siens. Résolu de recommencer l'assaut le lendemain, il fit préparer les béliers, les mantelets et les échelles. Mais ayant appris que les Antiates venaient au secours des Coriolans leurs compatriotes et leurs alliés, et qu'ils s'approchaient avec un puissant renfort, il partagea son armée en deux corps, dont il laissa l'un pour continuer le siége sous le commandement de T. Lartius, et il marcha avec l'autre à la rencontre de l'ennemi.

Caractère de Marcius, surnommé depuis

Plut.

Il y avait dans le corps de troupes resté devant Corioles un jeune officier nommé Marcius, de race Con patricienne, généralement estimé pour son courage et in Coriol. pour sa prudence, qui jouera un grand rôle dans la suite. Ayant perdu son père dans son bas âge, il fut élevé sous la conduite de sa mère appelée Véturie, femme d'une austère vertu, et fit voir par son exemple que, si l'état2 d'orphelin est fâcheux par bien des

pag. 214.

I

1 «Consilio et manu promptus. ›

2

Ημαρ δ ̓ ὀρφανικὸν παναφήλικα παῖδα τίθησι.

(Hon. Iliad. lib. 22, v.

490.)

endroits, il n'empêche pas néanmoins celui qui s'y trouve de devenir un grand homme. Mais comme cet état fait ordinairement que l'éducation est négligée, il en arrive souvent que les caractères nés pour les plus grandes vertus se trouvent accompagnés de grands vices qui n'ont pas été corrigés dans la jeunesse. Marcius avait un caractère de fermeté et de constance dans ses résolutions qui lui fit faire dans la suite beaucoup de grandes et belles actions, mais qui, faute d'avoir été manié et conduit dans le temps, lui fit aussi commettre un grand nombre de fautes considérables, à peu près comme une terre naturellement forte et, féconde, quand elle n'est pas cultivée, produit beaucoup de mauvaises plantes avec les bonnes. En effet, cette fermeté et cette constance dégénérait souvent en des emportements dont il n'était pas maître, et en une opiniâtreté inflexible, qui ne savait pas ce que c'était que de se rendre par déférence au sentiment des autres. Aussi, pendant que d'un côté l'on admirait en lui une supériorité d'ame qui le rendait inaccessible aux attraits de la volupté et des richesses, et invincible aux plus durs travaux; d'un autre côté, son caractère altier et impérieux le faisait paraître difficile et intraitable dans le commerce de la vie : tant il est vrai, dit Plutarque après avoir tracé ce portrait, que le plus grand fruit que les hommes puissent tirer de la familiarité des muses, c'est d'acquérir par le commerce des lettres une douceur qui les rende aimables.

Marcius donc se signala d'une manière éclatante dans le siége de Corioles. Les assiégés, pleins de confiance sur les secours que les Antiates leur amenaient, ouvrent toutes leurs portes, et font une sortie générale

Prise

de Corioles.

Défaite des Antiates.

sur les assiégeants. Les Romains tiennent ferme d'abord, et leur tuent beaucoup de monde; mais, obligés ensuite de céder aux nouvelles forces qui sortaient continuellement de la ville, et dont ils étaient accablés, ils lâchent le pied, et se retirent. Marcius, au désespoir de voir une telle déroute, fait face avec une · poignée de gens, et soutient tout l'effort de l'ennemi. Les Volsques, arrêtés d'abord, puis forcés par la perte de leurs plus vaillants hommes de plier à leur tour, regagnent leurs murailles. Marcius les poursuit à toute outrance, et tombe sur les fuyards avec une nouvelle ardeur, criant à ses camarades qui fuyaient de revenir à la charge, et de reprendre cœur. Ceux-ci, honteux de leur lâcheté, se rallient à sa voix, le joignent, et, profitant du désordre de l'ennemi, ils achèvent de le déconcerter. Ils entrent tous ensemble, pêle-mêle avec les Volsques, dans la ville, qui est obligée de se rendre à discrétion, et qui est livrée au pillage.

Marcius, insatiable de gloire, dès que la place fut réduite, accourt avec un petit nombre de braves gens d'élite vers l'armée du consul. C'était la coutume des Romains, quand ils étaient près de donner une bataille, de faire leur testament sans rien écrire 1, en nommant seulement leur héritier devant trois ou quatre témoins. Marcius, en arrivant, trouva les soldats de Cominius dans cette occupation, les deux armées étant en présence. Il lui apprend la prise de Corioles. Cette nouvelle répand l'allégresse et l'ardeur dans les troupes du consul, l'alarme et l'abattement dans celles des Antiates. Dès qu'on eut sonné la charge, Marcius fond

'C'est ce qu'on appelait facere testamentum in procinctu.

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