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cruauté le rendirent à juste titre l'objet de la haine et de l'exécration publique.

Il mourut accablé d'années et d'ennui. Il se voyait dans une ville étrangère, seul, abandonné, sans considération, sans consolation; reconnaissant, disait-il. combien les amitiés sont infidèles. De telles plaintes lui convenaient bien mal. Outre que la plupart des riches et des grands3, s'ils ont des amis, n'en ont que pour la montre et la parade, un tyran qui n'aime que soi a-t-il droit de prétendre à avoir jamais de véritables amis? Il lui faut des adulateurs, qui par de basses flatteries le précipitent de vices en vices, qui dans des conseils qu'ils lui donnent ne lui parlent jamais selon leur sentiment, et qui disputent entre eux à qui réussira le mieux à le tromper par des discours séducteurs.

La nouvelle de la mort de Tarquin causa une grande joie à Rome, et dans le sénat, et parmi le peuple: mais les premiers de la ville en abusèrent étrangement. Jusque-là ils avaient ménagé avec grand soin la multitude 5, dans l'appréhension qu'elle ne rappelât les Tar

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quins. Dès qu'ils se virent délivrés de cette crainte, ils commencèrent à la traiter d'une manière très-haute et très-injuste, s'arrogeant toute l'autorité du gouvernement sans en vouloir laisser aucune part au peuple. Les créanciers surtout exerçaient sur leurs débiteurs une dureté, ou plutôt une cruauté qui causa un mécontentement général dans toute la ville, et qui prépara les esprits à une rupture ouverte.

Postumius s'étant démis de la dictature, on procéda à l'élection des consuls, et on nomma Ap. Claudius et P. Servilius.

§ IV. Guerre des Volsques. Nouveaux troubles.
Sur la parole du consul Servilius, les citoyens
s'enrôlent. Les Volsques sont vaincus, et punis
sévèrement. Servilius triomphe malgré le sénat.
Troubles plus violents que jamais. Valère est
nommé dictateur. Il défait les ennemis. N'ayant
pu
obtenir pour
le peuple la remise des dettes,
il se démet de la dictature. Retraite du peuple sur
le mont Sacré. Réunion du sénat et du peuple.
Établissement des tribuns du peuple et des édiles
plébéiens. Réflexions sur la conduite du sénat.

AP. CLAUDIUS.

P. SERVILIUS

AN. R. 259. Av. J.C. 493.

Guerre des
Liv. lib. 2,

Volsques.

Les Volsques, informés de ce qui se passait à Rome, crurent que c'était pour eux une occasion favorable de reprendre les armes, qu'ils n'avaient quittées qu'à regret. Quelque bon traitement qu'ils eussent reçu de la P. 361-367. part des Romains, ils ne pouvaient souffrir de se voir

c. 22-26. Dionys. 1. 6,

assujettis à leur empire, et ils croyaient qu'il était de leur honneur de faire tous leurs efforts pour secouer le joug d'une domination étrangère. Ils commencent par gagner les Herniques; puis ils députent vers les Latins pour les attirer aussi dans leur parti. Mais ceux-ci, pour qui le souvenir encore récent de leur défaite auprès du lac Régille était une forte leçon, sans avoir égard au droit des gens, livrent les ambassadeurs aux Romains, et leur donnent avis que les Volsques et les Herniques travaillent de concert aux préparatifs de la guerre. Ce service fut si agréable aux Romains, qu'ils rendirent sur-le-champ aux Latins les six mille prisonniers qu'ils avaient à Rome; et l'affaire du traité d'aillance, sur laquelle on avait affecté jusque-là de ne leur donner aucune bonne parole, fut remise sur le tapis, et renvoyée aux prochains consuls. Ce fut un grand sujet de joie pour les Latins, et ils ne pouvaient se lasser de louer ceux qui leur avaient donné un conseil si salutaire. Ils envoyèrent au Capitole une couronne d'or pour être offerte à Jupiter. Plusieurs des prisonniers qu'on avait renvoyés de Rome accompagnèrent les ambassadeurs, et se répandirent en différents quartiers de la ville, dans les maisons où ils avaient été en servitude, remerciant leurs anciens maîtres du bon traitement qu'ils en avaient reçu pendant leur captivité, et demandant à se lier avec eux par les droits de l'hospitalité et d'une amitié particulière. Jamais l'union des Latins avec Rome ne parut plus tendre, plus sincère, plus cordiale qu'en cette

occasion.

La guerre des Volsques, qui paraissait assurée et prochaine, était le moindre mal que Rome eût à

Nouveaux

troubles. Sur la

parole du lius, les cirolent. Les

toyens s'en

et punis sé

raindre. La discorde qui se préparait sourdement deuis quelque temps dans l'intérieur de la ville, et qui ommença pour-lors à éclater, en était un bien plus langereux. Ce qui y donna lieu, fut la manière dure t inhumaine dont les créanciers, comme je l'ai déja lit, traitaient leurs débiteurs qui n'étaient point en sontvaincus, état de s'acquitter, et qui par cette raison leur étaient vèrement. ivrés entre les mains. Ils les tenaient renfermés, les mettaient aux fers, et leur faisaient souffrir toutes sortes de mauvais traitements. Ces infortunés citoyens, s'il leur arrivait de s'échapper de leur prison, faisaient entendre partout leurs plaintes, et tenaient en public des discours tout-à-fait capables d'exciter la compassion et d'allumer dans les esprits le feu de la révolte. Un d'entre eux, fort âgé, s'avança vers la place publique dans l'état du monde le plus triste et le plus pitoyable. Il avait un habit sale et déchiré, le visage pâle et défait de maigreur. Une longue barbe et des cheveux négligés et en mauvais ordre lui donnaient un air hagard et farouche. On le reconnaissait pourtant à travers tout cet extérieur si difforme, et l'on disait qu'il avait été centurion, et avait mérité par sa bravoure plusieurs récompenses militaires. Lui-même montrait les cicatrices honorables des blessures qu'il avait reçues dans plusieurs combats. Comme la multitude s'attroupait autour de lui, et qu'on lui demandait d'où lui venait donc cet état de misère où il paraissait, il dit «que, son champ ayant été ravagé pendant la « guerre contre les Sabins, où il servait, non-scule<«ment il avait perdu le revenu de l'année, mais que <«<sa métairie avait été brûlée, tous ses biens pillés, << tous ses troupeaux enlevés : que, pour surcroît de

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malheur, on avait exigé de lui le paiement du tribut <«< dans un temps où il était sans argent, et qu'il avait « été obligé d'en emprunter : que, les intérêts s'étant «< accumulés, il lui avait fallu vendre d'abord son

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champ qu'il avait reçu de ses pères, puis le reste de <«< ses biens qu'enfin cette espèce de gangrène avait gagné jusqu'à son corps et jusqu'à sa personne : que << son créancier l'avait emmené chez lui pour y être «< traité, non comme un esclave, mais comme un cri<«< minel condamné au supplice ». En disant cela, il montrait sur son dos les vestiges encore récents qu'y avaient laissés les verges et les fouets dont on l'avait déchiré.

Sur ce qu'on voyait et ce qu'on entendait, il s'élève un grand cri. Le tumulte passe de la place dans tous les quartiers de la ville. Tous ceux qui étaient ou qui avaient été arrêtés pour dettes paraissent en public, et implorent le secours du peuple. La troupe se grossit de moment en moment. On se rend de toutes les rues dans la place publique avec de grandes clameurs. Ceux des sénateurs qui s'y trouvèrent par hasard auraient été en danger de leur vie, si les consuls n'étaient accourus pour apaiser le tumulte. Toute la multitude aussitôt se tourne vers ces magistrats. Les infortunés débiteurs leur montrent leurs chaînes, triste récompense des années de service où ils avaient porté les armes. Ils demandent, plutôt avec menaces que d'un air suppliant, que l'on convoque le sénat; et ils s'attroupent autour du lieu de l'assemblée, comme pour se rendre les maîtres de la délibération.

Un petit nombre de sénateurs que le hasard y avait conduits se joignent aux consuls; la crainte empêchait

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