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pouvait pas tout d'un coup prendre une forme stable et permanente. Le premier de ces rois, conquérant par inclination et par nécessité, ne songca qu'à former un peuple de soldats. Son successeur, porté naturellement à la paix, s'appliqua à adoucir et à humaniser, par de sages lois et par un culte religieux de la Divinité, les mœurs encore dures et féroces de ces premiers Romains. Quelques-uns, par un heureux mélange de ces deux caractères, guerriers en même temps et pacifiques, firent marcher de compagnie les établissements et les vues que les deux premiers rois semblaient s'être partagés. Enfin l'on vit dans les derniers temps, sous Servius Tullius, se former un nouveau plan de gouvernement, qui fixa les droits et les priviléges de chaque corps de l'état, et qui dura autant que la république, tant les maximes en parurent concertées avec sagesse et maturité.

Tarquin le Superbe n'avait d'autre droit pour régner que la force. Il n'était monté sur le trône qu'en foulant aux pieds tous les droits de l'humanité et toutes les lois de l'état. Brutus mérita donc beaucoup de gloire en chassant du trône un usurpateur qui usait tyranniquement d'une puissance injustement acquise: mais on convient que, s'il s'était trouvé sous quelqu'un des premiers rois, et que, par un zèle prématuré pour la liberté, il eût entrepris de lui arracher le sceptre, outre l'injustice de l'entreprise, il aurait rendu un fort mauvais service au public. Que serait-il arrivé, en effet, si cette troupe de pâtres et de gens ramassés, qui, par l'attrait de la liberté ou de l'impunité, était venue chercher à Rome un asile, sans être retenue par la crainte d'une autorité souveraine, se fût vue exposée aux orages

qu'excitèrent dans la suite les tribuns? Que n'auraiton point eu à craindre, si cette multitude, dans une ville qui lui était encore en quelque sorte étrangère, eût eu à entreprendre et à soutenir des querelles trèsvives contre les sénateurs, avant que l'attachement pour une femme et des enfants, l'amour du sol même et du pays, auquel on ne s'affectionne que par succession de temps, et plus que cela encore de sages lois cimentées par un intérêt commun et fortifiées par une longue habitude, eussent serré les nœuds d'une étroite union entre les citoyens! La discorde sans doute aurait dissipé et ruiné la puissance de cet état encore faible et vacillant; au lieu qu'à l'ombre d'un gouvernement monarchique, mais modéré, elle parvint peu à peu, et par des accroissements insensibles, à un point de maturité et de force capable de faire un bon usage de la liberté, et d'en supporter avec avantage tout le poids.

En effet, comme le remarque Cicéron 2, quand on considère d'un même coup-d'oeil les sages établissements et les lois salutaires émanées de la puissance royale; les auspices, les cérémonies de religion, l'ordre des assemblées, le pouvoir du peuple déja reconnu et respecté, l'auguste compagnie du sénat regardée comme le conseil de la nation, la discipline militaire et le courage guerrier portés à un point qui surprend et qui

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AN. R. 244.

Brutus et

nommés

Dionys. Ha

1.5

étonne, toutes les parties de la république paraissent dans un état de consistance qui ne laisse presque rien, ce semble, à désirer. Cependant cette même répu blique, quand elle eut secoué le joug de la domination des rois, et qu'elle se fut mise en liberté, parut encore tout autre, et, par un progrès rapide, s'éleva en tout genre à une perfection et à une excellence qu'on a peine à concevoir.

§. I. Brutus et Collatin sont nommés consuls. On jure de ne jamais souffrir de rois à Rome. On rend le nombre des sénateurs complet. Les ambassadeurs de Tarquin demandent qu'on lui res· titue ses biens. Cependant ils cabalent dans Rome. Plusieurs jeunes gens de la plus haute noblesse conspirent de rétablir Tarquin. Leur dessein est découvert. Ils sont condamnés et mis à mort. Triste fermeté de Brutus. Les biens de Tarquin sont abandonnés au pillage. Collatin, devenu suspect, abdique le consulat. Valère lui est substitué. Examen de la conduite de Brutus qui fait mourir ses fils.

Quand Tarquin, et la royauté avec lui, eurent été Av. J.C. 508. bannis de Rome, il s'agit d'y établir un nouveau gouCollatin sont vernement. Après quelques difficultés, tous les suffrages consuls. se réunirent pour créer à la place des rois deux consuls, dont l'autorité serait annuelle, conformément au plan qu'on en trouva tracé dans les mémoires de Servius Tullius. On laissa au peuple le droit de les élire; mais il ne les pouvait prendre qu'entre les patriciens. Ces magistrats eurent par leur institution un pouvoir

P. 277, 278.

Liv. lib. 2,

C. I et 2.

Plut. in Po

plic. p. 97,

98.

presque égal à celui des rois. Ils étaient les chefs du sénat et du peuple, et toute autre magistrature leur était subordonnée. Ils avaient l'administration générale et particulière de la justice, et celle des fonds publics. Ils convoquaient le sénat, et assemblaient le peuple à leur gré. Ils levaient des armées; ils nommaient les officiers; ils traitaient avec les étrangers et avec leurs ministres. Le titre modeste de 'consuls les avertissait pourtant qu'ils étaient moins les souverains de la république que ses conseillers, et qu'ils ne devaient avoir pour objet que sa conservation et sa gloire.

Le peuple romain, assemblé par centuries, nomma pour consuls L. Junius Brutus et L. Tarquinius Collatinus. Valère, qui avait le plus contribué après Brutus à l'établissement de la liberté, comptait de lui être donné pour collègue dans le consulat. Frustré de son espérance, et fort mécontent, il se retira du sénat, ne parut plus dans la place publique, et renonça absolument au soin des affaires d'état. Sa retraite causa beaucoup de douleur au peuple, et lui fit craindre qu'il ne se réconciliât avec les Tarquins. On lui avait préféré Collatin, mari de Lucrèce, non que l'on crût à celui-ci plus de mérite, mais parce qu'on le regardait comme intéressé personnellement à la vengeance de l'outrage qu'elle avait reçu, et comme devant être, par cette raison, l'ennemi le plus irréconciliable de la maison royale. Valère ne lui cédait en rien par cet endroit, et il en donna bientôt la preuve. Quand Brutus voulut lier le sénat par un serment contre les rois et la royauté, et qu'il eut assigné un jour pour la prestation de ce serment, Valère descendit dans la place avec un visage gai, et jura le premier qu'il n'écouterait jamais aucune

Tome XIII. Hist. Rom.

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proposition de Tarquin, et qu'il lui ferait une guerre immortelle pour la défense de la liberté : ce qui fit grand plaisir au sénat, et donna courage aux consuls.

Il paraît, selon Denys d'Halicarnasse, que les premiers consuls entrèrent en exercice de leur charge vers le commencement de juin, et que cette première année du consulat comprit seize mois : savoir, les quatre derniers de l'an 244 de Rome, et les douze de 245, jusqu'au mois d'octobre, où commençait ordinairement le consulat dans ces anciens temps, quoique pour-lors il n'y eut encore rien de bien réglé sur ce sujet. Ce ne fut que l'an 599 que les consuls commencèrent à prendre possession du consulat le premier jour de janvier.

Les consuls avaient les mêmes marques de dignité que les rois, à l'exception de la couronne d'or et du sceptre; savoir, la robe de pourpre, la chaise curule qui était d'ivoire, les faisceaux et les haches, avec les douze licteurs. On craignit que le peuple ne prît ombrage de la nouvelle forme de gouvernement, et qu'il ne s'imaginât qu'au lieu d'un roi on lui en eût donné deux, si l'on portait également devant l'un et l'autre consul les douze faisceaux surmontés de haches, qui marquaient le pouvoir de vie et de mort qu'ils avaient sur les citoyens. Pour remédier à cet inconvénient, il fut arrêté que l'un des deux consuls seulement aurait droit aux faisceaux armés de haches, et que les licteurs qui précéderaient l'autre ne porteraient que des faisceaux sans haches, en sorte néanmoins que, pour éviter tout air de supériorité entre les deux consuls, ils partageraient chaque mois l'un après l'autre cette marque d'autorité. Brutus en usa d'abord, son collègue

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