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ARTICLE VII.

REGNE DE TARQUIN LE SUPERBE.

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Tarquin gouverne en tyran. Il se fait ami des Latins: il fait périr Turnus Herdonius, qui était opposé à ses vues: il conclut un traité avec les Latins: il établit le temple de Jupiter Latial. Il fait la guerre contre les Sabins; prend sur eux la ville de Gabies. Tarquin profite de la paix pour travailler au bâtiment du Capitole. Livres des sibylles. Brutus accompagne deux des fils de Tarquin à Delphes. Caractère de ce Romain. Siége d'Ardée. Mort funeste de Lucrèce, qui donne lieu à l'expulsion des rois. État de Rome.

Tarquin était monté sur le trône sans observer aucune des lois qui avaient été en usage jusqu'alors, et sans que ni le peuple ni le sénat lui eussent conféré la royauté. La conduite qu'il y garda répondit à de tels commencements, et lui fit donner, à juste titre, le surnom de Superbe; terme qui, dans la langue latine, réunit l'idée de cruauté à celle d'orgueil.

Dès son entrée à l'empire, il commença par affecter un air de faste et de hauteur, non-seulement à l'égard du peuple, mais par rapport à la noblesse même qui avait favorisé son élévation. Il changea toute la discipline des rois ses prédécesseurs : il renversa les plus sages établissements; et, foulant aux pieds les droits de l'équité, il ne suivit d'autre règle, dans toutes ses

actions, que celle d'un pouvoir arbitraire et tyrannique. Il se choisit une garde composée de tout ce qu'il put trouver d'hommes plus déterminés, soit parmi les Romains, soit parmi les étrangers. Il les arma d'épées et de lances. Leurs fonctions étaient de faire sentinelle la nuit autour du palais, de l'accompagner le jour quelque part où il allât, et de veiller continuellement à sa sûreté. Il paraissait peu au-dehors, et jamais à des temps réglés. Il tenait ses conseils en particulier avec ses plus affidés amis, rarement en public, et ne consultait le sénat sur aucune affaire. Ses gardes ne souffraient personne approcher de lui qu'il n'eût été appelé; et ceux qui étaient admis à son audience, loin d'y être reçus avec un favorable accueil, ne trouvaient dans son abord qu'un regard farouche et des paroles menacantes, capables d'inspirer la terreur : encore se trouvait-on heureux d'en être quitte pour la crainte.

Quand Tarquin crut sa puissance bien affermie, il suborna les plus scélérats de ses confidents pour intenter accusation contre un grand nombre d'illustres citoyens qu'il voulait faire périr. Il commença par ceux qu'il savait n'être pas dans ses intérêts, et qui avaient fait paraître de l'indignation de la mort de Servius. Il vint ensuite aux mécontents du nouveau gouvernement puis il attaqua les plus riches de Rome; car, sous un tel prince, les richesses deviennent un crime. Il se faisait déférer ceux dont il avait envie de se défaire, comme coupables de différentes sortes de crimes, et de celui principalement d'avoir attenté à sa personne. Sur des accusations vagues, et qui n'étaient nullement prouvées, il condamnait les uns à la mort et les autres à l'exil. Il s'emparait de tous leurs biens,

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Tarquin se fait ami des Latins.

et en laissait pour récompense une légère portion aux délateurs. La crainte de ces injustes poursuites fit abandonner Rome à plusieurs des principaux citoyens. Il en fit mourir quelques-uns sans éclat :"d'autres furent enlevés de leurs maisons avec violence, ou bien arrêtés dans la campagne, et cruellement assassinés, sans qu'on pût retrouver leurs corps après leur mort. Par ces injustices et ces cruautés, il détruisit la meilleure partie du sénat; et il ne songea point à en remplir le vide, pour rendre ce corps plus méprisable par le petit nombre, et pour le mettre hors d'état de se plaindre de n'être consulté en rien: car, guerrė, paix, traités, alliance, Tarquin faisait tout par lui-même, sans prendre l'avis ni du peuple ni du sénat.

Il défendit par un édit, tant à la ville qu'à la campagne, toutes les assemblées où ceux d'une même curie, ou des villages circonvoisins, avaient coutume de se trouver pour célébrer des fêtes et des sacrifices, de peur que les citoyens, ainsi réunis, ne formassent quelque dessein contre sa personne ou contre le gouvernement. Outre cela, il avait des espions de tous côtés qui se glissaient dans les compagnies et dans les entretiens, pour observer et recueillir tout curieusement; et qui souvent commençaient les premiers à dire du mal du prince, pour mieux découvrir les sentiments de chacun. Ils ne manquaient pas de faire aussitôt leur rapport au tyran; et ceux à qui il avait échappé quelque mot contre l'état présent des affaires étaient immanquablement condamnés aux peines les plus rigoureuses.

Quelque bien affermie que fût l'autorité de Tarquin, il fit réflexion néanmoins qu'une puissance établie par

p. 246-249.

cap. 49-52.

la seule force des armes, au mépris des plus saintes Dionys. 1. 4. lois, était sujette à d'étranges révolutions, si elle ne se Liv.lib. 1, soutenait par l'appui de l'étranger contre les mécontentements et les troubles qui pourraient naître audedans. C'est ce qui l'obligea à rechercher l'alliance d'un des principaux du pays latin, qui s'appelait Octavius Mamilius, auquel il fit épouser sa fille. Celui-ci faisait sa demeure à Tusculum, où il tenait le premier rang par sa haute naissance, dont il faisait remonter l'origine jusqu'à Télégonus, fils d'Ulysse et de Circé. Il passait d'ailleurs pour un homme fort habile dans le métier de la guerre, et très-capable de commander une armée. Cette alliance lui procura des liaisons avec tout ce qu'il y avait d'hommes puissants et considérables parmi les Latins.

Comptant donc tirer d'eux de puissants secours, il songea à porter la guerre contre les Sabins, qui avaient secoué le joug depuis la mort de Servius. Pour cela il convoqua une assemblée des villes latines à Férentin. Tous les députés s'y rendirent de fort bonne heure au jour marqué. Tarquin se fit attendre jusqu'au soir. La plupart des députés étaient fort offensés de ce retardement. Mais surtout celui d'Aricie, appelé Turnus Herdonius, homme puissant par ses richesses et par ses amis, invectiva violemment contre Tarquin, dont il fit remarquer l'arrogance et la fierté par plusieurs traits de sa conduite, et surtout par le mépris qu'il faisait paraître de l'assemblée, à laquelle il ne se trouvait pas lui-même après les y avoir appelés. Dans le temps précisément qu'il parlait, Tarquin arriva. Il se fit un grand silence, et tous les députés se levèrent pour le saluer. Le roi commença par s'excuser de ce

I fait périr
Herdonius.

Turans

qu'il était venu si tard, et apporta pour raison de ce long délai un arbitrage entre un père et un fils qui l'avait retenu jusqu'à ce moment. Un tel arbitrage, reprit Turnus, n'est pas de nature à durer si longtemps. Quand un fils refuse d'obéir à son père, on le punit. En disant ces paroles, il se retira de l'assemblée. Comme il était déja tard, elle fut remise au lendemain.

Tarquin n'était pas d'humeur à souffrir tranquillement l'insulte qu'on venait de lui faire. Il forme surle-champ un projet de vengeance qui ne serait venu dans l'esprit d'aucun autre. Il vient à bout de corrompre, à force d'argent, les domestiques de Turnus qui conduisaient son équipage: il les engage à souffrir qu'on portât pendant la nuit des armes dans la maison où logeait leur maître, et à les glisser adroitement parmi son bagage. La chose fut exécutée promptement et sans bruit.

Le lendemain, avant le jour, Tarquin mande les députés chez lui pour une affaire pressante et de la dernière importance. Il leur marque que c'était par une providence particulière des dieux que, la veille, il était arrivé si tard à l'assemblée : que ce délai leur avait sauvé à tous la vie : que Turnus avait formé le complot d'égorger tous les députés, pour se rendre maître par leur mort de tout le pays latin : qu'il aurait exécuté son projet le jour précédent, si celui à qui il en voulait le plus n'eût tardé à venir que c'était le dépit d'avoir manqué son coup qui l'avait mis de si mauvaise humeur contre lui; mais que ce dessein criminel n'était que différé qu'il ne doutait point qu'il ne dût venir le matin même à l'assemblée avec les conjurés en armes qu'il avait eu avis qu'on avait fait des amas

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