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lorsqu'on faisait certains sacrifices, le héraut criait à haute voix: hoc age, c'est-à-dire, occupez-vous de ce que vous faites actuellement, pour avertir les assistants de se tenir dans le respect, et de donner toute leur attention à ce qui se passait. Combien les chrétiens peuvent-ils profiter de ces exemples que leur donnent les païens!

Numa, qui, en montant sur le trône, avait trouvé les Romains, comme nous l'avons déja observé, grossiers, féroces, violents, et ne respirant que la guerre et les combats, crut ne pouvoir les tirer de cet état que par de fréquents exercices de religion.

cap. 21.

Temple Liv. lib. 1, Dionys. 1.2,

de la foi.

cap. 21.

pl. in Num.

pag. 134.

pag. 70.

On dit qu'il fut le premier qui établit un temple à la Foi, qui lui fit rendre un culte public, et qui apprit aux Romains que le plus grand serment qu'ils pussent faire, c'était de jurer leur foi. Sa vue était de faire en sorte que ce qu'ils promettaient sans écritures et sans témoins fût aussi assuré et aussi stable que ce qui aurait été promis et juré avec toutes les formalités observées dans les contrats; et il fut assez heureux pour réussir dans ce dessein. Polybe rend ce glorieux témoignage aux Romains, qu'ils gardaient inviolable- pag. 498. ment leur foi, c'est-à-dire la parole qu'ils avaient donnée, sans qu'on eût besoin de témoins ou de cautions au lieu que rien ne pouvait obliger les Grecs à y être fidèles.

Afin que chacun se contentât des terres qu'il possédait sans envier ni envahir celles d'autrui, il établit des lois touchant les bornes des possessions, et institua une fête des plus solennelles en l'honneur du dieu qui y présidait. Il s'appelait Terminus, et sa fète Terminalia. Denys d'Halicarnasse remarque que de son temps les

Lib. 6,

Le dieu
Terme.

Ibid.

Respect

pour la re

bli à Rome.

cérémonies extérieures de cette fête s'observaient encore très-religieusement, mais que l'esprit et l'essence en étaient ouvertement méprisés. En effet, nous verrons que l'avarice des riches les portera à s'emparer de la plupart des terres des particuliers et de l'état, ce qui sera une source continuelle de divisions dans la république; et que le peuple romain lui-même, en général, toujours avide de nouvelles conquêtes, ne mettra aucune borne à son ambition. Ainsi le dieu Terme sera toujours extérieurement honoré à Rome, et toujours véritablement méprisé et insulté.

Numa sut inspirer de si profonds sentiments de religion, éta ligion aux Romains de son temps', qu'il fit tomber les armes des mains de ce peuple guerrier, qui ne s'occupa plus désormais, pendant tout son règne, que du soin de se rendre les dieux favorables. Le souvenir de la Divinité, toujours présent à leur esprit, les avait pénétrés d'une telle piété, que c'était moins la crainte des lois et des peines qu'elles imposent aux crimes qui contenait les citoyens dans le devoir, que la bonne foi toute seule et la religion du serment. Tous, dit TiteLive, formaient leurs mœurs sur celles de leur roi, qu'ils prenaient pour leur unique modèle. Et ce qui fait voir jusqu'à quel point allait en eux l'impression

I Ad hæc consultanda procurandaque multitudine omni a vi et armis conversa, et animi aliquid agendo occupati erant, et deorum assidua insidens cura, quum interesse rebus humanis cœleste numen videretur, eâ pietate omnium pectora imbuerat, ut fides ac jusjurandum próximè legum ac pœnarum metum, civitatem regerent. Et quum ipsi se

homines in regis, velut unici exempli, mores formarent, tum finitimi etiam populi, qui antè castra non urbem positam in medio ad sollicitandam omnium pacem crediderant, in eam verecundiam adducti sunt, ut civitatem totam in cultum versam deorum violari ducerent nefas, » (Lrv.)

d'une religion, quoique fausse, c'est qu'elle les rendait même respectables à leurs voisins de manière que les peuples des environs, qui auparavant avaient regardé Rome moins comme une ville que comme un camp placé au milieu d'eux pour troubler la tranquillité publique, concurent pour eux une telle vénération, qu'ils auraient cru commettre une espèce d'impiété d'attaquer un peuple dont tout le soin et toute l'application était de servir les dieux. Quel bonheur pour les peuples quand le prince qui les gouverne est plein d'une sincère et solide piété, puisque la seule image de cette piété produit de si grands biens!

J'ai dit que la religion, quoique fausse, avait un grand pouvoir sur l'esprit des Romains; et l'on ne doit pas en être étonné. Il y a dans les hommes une religion naturelle qui vient de Dieu, et l'impression en est très-utile quand elle porte à garder la bonne foi et à s'acquitter inviolablement des serments; ce qui était le capital et le précis de la religion que Numa voulait introduire. Tout cela était bon, vrai, juste, conforme à la nature, et à l'institution de l'auteur de la nature. Le faux consistait en ce qu'ils rendaient ces devoirs à de faux dieux. Ils usaient mal d'un bien. Ils le gâtaient par la fin à laquelle ils le rapportaient : et c'est le jugement qu'il faut porter de toutes les actions des païens les plus éclatantes.

Tome XIII. Hist. Rom.

14

du peuple

par arts et métiers.

pag. 71.

§ II. Numa s'applique à établir le bon ordre dans la ville et à la campagne. Il inspire à ses sujets l'amour du travail, de la frugalité, de la pauvreté. Il meurt regretté de tout le peuple. Fausse opinion qu'il avait été disciple de Pythagore. Livres sacrés enfermés dans son tombeau.

On voit bien, par tout ce que j'ai rapporté jusqu'ici, que la religion faisait le premier et le principal soin de Numa. Mais les nobles vues qu'il avait sur ce sujet ne l'empêchaient pas de descendre dans un grand détail de tout ce qui concernait la police et le bon ordre, soit pour la ville, soit pour la campagne ; et il ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer à entretenir parmi les citoyens un esprit de paix, d'union et de justice.

Plutarque dit que, parmi tous les établissements Distribution de Numa, un des plus estimés était la distribution du peuple par arts et métiers. Rome était originairement Pl. in Num. composée de deux nations, Romains et Sabins; ou, pour mieux dire, elle était divisée en deux factions presque toujours opposées par cette différence d'origine, qui les rendait comme étrangers les uns à l'égard des autres, et qui faisait naître tous les jours entre eux des querelles et des disputes. Numa comprit combien il était important de bannir de sa ville cet esprit de parti, qui faisait dire et penser à l'un, je suis Sabin; à l'autre, je suis Romain; à celui-là, je suis sujet de Tatius; et à celui-ci, je suis sujet de Romulus. Il crut donc que, comme les corps solides, qui ne peuvent se mêler ensemble pendant qu'ils sont entiers, s'incorporent très-facilement quand on les a brisés et ré

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duits en poudre, la petitesse des parties facilitant ce mélange, il fallait de même diviser ces deux grands corps de Romains et de Sabins en plusieurs petites parties, qui feraient disparaître cette différence et cette diversité de nations et d'origine qui les empêchait de s'unir parfaitement. Dans cette vue, il partagea le peuple par métiers, comme de joueurs d'instruments', d'orfèvres, de charpentiers, de teinturiers, et d'autres pareils artisans, les rangeant, selon les professions, en diverses classes; réunissant tous ceux d'un même état dans un seul et même corps; ordonnant des confréries, des fêtes, des assemblées; accordant à chacune de ces communautés des priviléges particuliers; et par ce moyen établissant entre eux une union qui leur faisait oublier qu'ils étaient Romains ou Sabins.

L'attention au soulagement des citoyens, en empêchant qu'ils ne tombent dans la pauvreté, ou en les en tirant, est une des belles opérations d'une saine politique. Numa, dès le commencement de son règne, y apporta un soin particulier. Il savait que les indigents sont plus disposés que tous les autres aux séditions, parce que, mécontents de leur fortune présente, ils n'ont rien à perdre, et tout à gagner au changement. Ils sont moins bons pères de famille. Ils négligent la nourriture, l'éducation et la discipline de leurs enfants, et songent moins à les établir et à perpétuer leur postérité; ce qui fait la force et la richesse d'un état. Numa, pour obvier à cet inconvénient, partagea entre les pauvres citoyens les terres conquises, afin de les éloigner de l'oisiveté, et de l'injustice qui

1 Ils étaient employés dans les sacrifices et dans les autres cérémonies de religion.

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