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<< insinuations douces et persuasives, des sentiments << de religion : car les sujets se conforment toujours aux « mœurs de leurs princes. Les Romains savent respecter « le mérite. Ils ont aimé Tatius, quoiqu'il fût étranger, <<< et ils ont consacré par des honneurs divins la mé<< moire de Romulus. Que sait-on si ce peuple victorieux « ne se lassera pas de guerres, et si, plein de triom«phes et de dépouilles, il ne désire pas maintenant <«< un chef rempli de douceur et de justice, qui le gou<«< verne en paix sous de bonnes lois et sous une bonne police? Mais quand vous trouveriez encore en lui ce «< même penchant, ou plutôt cette même fureur pour la « guerre, ne serait-il pas beau d'en prendre en main les rênes, pour tourner d'un autre côté cette fougue impétueuse, et pour unir par des nœuds d'amitié et << de bienveillance votre patrie et toute la nation des <«< Sabins, avec une ville si puissante et si florissante?» A ces réflexions se joignirent, à ce qu'on dit, des présages fort heureux, qui furent encore fortifiés par le zèle des habitants de Cures: car, dès qu'ils eurent appris le sujet de cette ambassade, ils allèrent en foule le conjurer de partir et d'accepter la royauté, pour les allier parfaitement et les incorporer avec les Ro

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mains.

Numa, s'étant enfin laissé fléchir, sacrifia aux dieux, et se mit en marche. Le sénat et le peuple, pressés d'un merveilleux désir de le voir, sortirent de Rome, et allèrent au-devant de lui. Ce fut une joie universelle. Les hommes, les femmes mêlèrent les vœux aux acclamations. L'encens fumait dans les temples. Lorsqu'on fut arrivé au milieu de la grande place, Spurius Vettius, qui ce jour-là gouvernait comme interroi,

voulut, pour la forme, que le peuple procédât à son élection. Il eut tous les suffrages, et, sur l'heure même, on lui apporta les ornements royaux : mais il ne voulut pas les recevoir, disant qu'il fallait auparavant que cette élection fût confirmée par les dieux ; et en même temps, prenant avec lui les augures et les prêtres, il monta au Capitole, qu'on appelait dans ce temps-là

le mont Tarpéien. Les auspices furent prompts et AN. de R. 39. favorables. Alors Numa, prenant la robe royale, des- Av.J.C. 713. cendit du mont Tarpéien dans la place, où se renouvelèrent les acclamations de tout le peuple, qui l'appelait le plus religieux de tous les hommes, et le plus cher aux dieux.

ARTICLE II.

RÈGNE DE NUMA POMPILIUS.

§I. Numa s'applique à adoucir les mœurs des Romains, et à leur inspirer un esprit pacifique par les exercices de la religion. Il construit le temple de Janus. Ses entretiens avec la nymphe Egérie. Il réforme le calendrier. Il crée des prétres et des pontifes. Il règle les fonctions des vestales. Il établit les Saliens, puis des hérauts d'armes, appelés féciaux, et d'autres hérauts pour les cérémonies de la religion. Effets merveilleux de tous ces établissements.

L'inclination naturelle de Romulus, et les besoins Numaétablit d'une république naissante, l'avaient obligé d'avoir cices de reli

Tome XIII. Hist. Rom.

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divers exer

gion.

pag. 123.

Dionys. 1.2, toujours les armes à la main; et, sous son règne, les Romains, toujours en guerre, avaient encore augmenté par les combats et le carnage la férocité naturelle à un amas de pâtres et d'aventuriers. Numa, appelé au trône de la manière qui a été marquée, comprit que la grandeur, l'ornement et la félicité de Rome, dépendaient de deux choses qu'on ne pouvait assez solidement établir (c'est un auteur païen qui parle ainsi): premièrement, d'une piété sincère envers les dieux, qui les fait regarder par les mortels, avec respect et reconnaissance, comme auteurs et conservateurs de tout bien; et en second lieu, du zèle de la justice, par laquelle chaque particulier jouit en paix des faveurs qu'il a reçues de leurs mains. En effet, voilà les deux bases de tout sage gouvernement, et l'abrégé de tous-les devoirs de la royauté faire rendre, premièrement à Dieu, ensuite aux hommes, tout ce qui leur est dû. Les rois ne sont rois que pour cela uniquement.

Liv. lib. I,

cap. 19.

:

Numa sentit bien que, pour réussir dans l'exécution de ce plan, et pour inspirer de tels sentiments aux Romains, son premier soin devait être de travailler à adoucir et à apprivoiser les esprits, à amortir peu à peu la vivacité de cette humeur guerrière qui les dominait, et à les tourner insensiblement vers des exercices doux et pacifiques, qui leur fissent oublier et Temple perdre leur première inclination. C'est par où il commença. Pour remercier les dieux de l'état tranquille où il avait trouvé Rome en montant sur le trône, il bâtit en l'honneur de Janus un temple qui devait être un indice et un témoignage public de la guerre et de la paix de la guerre, quand il serait ouvert; de la paix, quand il demeurerait fermé. Il fut fermé pen

de Janus.

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dant tout son règne; mais dans la suite il ne le fut que deux fois, depuis ce temps jusqu'à celui où Tite-Live écrivait son histoire : premièrement sous le consulat de T. Manlius, quelques années après que la première guerre punique fut terminée; en second lieu, sous Auguste, après la bataille d'Actium, qui donna la paix à l'univers avantage, dit l'historien, que les dieux ont accordé à notre siècle : Iterùm, quòd nostræ ætati dii dederunt ut videremus, post bellum actiacum, ab imperatore Cæsare Augusto pace terra marique partá. Je prie le lecteur de remarquer en passant avec quelle modestie Tite-Live, dans la première occasion qu'il a de faire mention de l'empereur, parle d'un événement qui lui était si glorieux, et combien les anciens étaient éloignés de cette rampante flatterie, qui souvent avilit et déshonore nos écrits. Numa eut seul l'honneur de tenir ce temple fermé pendant un très-long espace de temps, c'est-à-dire, pendant quarante-trois ans que dura son règne, tant le respect qu'on avait pour sa vertu contenait même les peuples voisins de Rome dans la paix et la tranquillité.

de Numa

avec Egérie.

Le bruit qui se répandit, auquel sans doute lui- Entretiens même avait donné lieu, qu'il avait des entretiens secrets avec la nymphe Égérie, disposa merveilleusement le peuple à bien recevoir tous les nouveaux réglements qu'il jugea à propos d'établir, comme lui étant inspirés par la Divinité même. On a dit quelque chose de pareil de Minos, de Lycurgue, et, dans la suite, du premier Scipion l'Africain. Ces grands hommes, qui savaient que l'idée de la Divinité est profondément gravée dans le cœur humain, et qu'elle y fait naturellement une forte impression de respect et de sou

Numa

-réforme le

mission, pour adoucir et plier sous le joug de la raison et des lois des esprits difficiles à manier, croyaient pouvoir, même en employant la fourberie et l'imposture, s'appuyer de l'autorité des dieux, et se couvrir de leur nom, moyen puissant et efficace sur les peuples. Ils ne faisaient pas attention que toute dissimulation, tout mensonge est contraire au respect qu'on doit à la divinité, et que, sans ce respect, il ne peut y avoir ni sainteté, ni religion'.

Avant que de prescrire l'ordre des sacrifices, il était calendrier. nécessaire de régler celui des jours et des mois de Liv. lib. 1, l'année; et c'est à quoi Numa donna ses premiers soins.

cap. 19. Plut. in Num.

Romulus, peu versé dans l'astronomie, n'avait compag. 72. posé l'année que de dix mois, et il appela mars le premier, du nom de son père. Cette manière de compter l'année, qui n'était fondée ni sur le cours du soleil, ni sur celui de la lune, causait une grande confusion. Numa corrigea cette erreur grossière, et ajouta deux mois au commencement de l'année, janvier et février, la composant de trois cent cinquante-cinq jours seulement, qui sont douze mois lunaires, et mettant en usage les intercalations qui ramenaient au bout de vingt-quatre ans les années à leur juste point. Jules César, reconnaissant encore de l'erreur dans ce calcul, y ajouta dix jours et plus, faisant l'année de trois cent soixante-cinq jours et six heures juste, et réservant les six heures jusqu'au bout de quatre ans pour en faire un jour entier, qu'on insérait devant le six des calen

1. In specie fictæ simulationis, sicut reliquæ virtutes, ita pietas inesse non potest, cum quâ simul et sanctitatem et religionem tolli necesse est. » (Cic. 1. de Nat. Deor.n.3.)

2 Les douze mois lunaires ne font que 354 jours: mais Numa avait ajouté un jour à son année, par prédilection pour le nombre impair.

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