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effet, désignée sous le nom général de philosophie, réunit à la fois la rhétorique, la morale et la politique. Tout le discours est d'ailleurs plein de réminiscences isocratiques, et, d'autre part, il ne trahit aucune influence des doctrines philosophiques de l'âge suivant.

5. La dernière étude, relative au discours pseudo-isocratique à Démonicos, ne vise pas principalement une attribution précise. C'est surtout une esquisse historique du développement du genre parénétique, esquisse qui sert de cadre à une analyse des sources du discours. Nous ne pouvons que renvoyer à cette analyse, qu'il serait impossible de résumer ici. Elle met en relief les points de contact du discours avec les sentences attribuées aux Sept Sages, avec Démocrite, avec la Comédie nouvelle, avec la philosophie socratique, avec Isocrate, avec le Protreptikos d'Aristote, enfin avec la Rhétorique à Alexandre. M. Wendland ne se croit pas autorisé à considérer Anaximène comme l'auteur du discours, mais il note la possibilité de cette attribution.

En somme, ces cinq dissertations apportent à l'histoire littéraire du Iv siècle une contribution intéressante. Anaximène doit être désormais reconnu comme l'auteur du Discours sur la lettre de Philippe et de la Rhétorique à Alexandre. Il a très probablement remanié et inséré dans son Histoire de Philippe la lettre du roi aux Athéniens, en même temps que la réponse qu'il avait composée sous le nom de Démosthène. Quant à l'Erotikos et au Discours à Démonikos, s'il n'est nullement certain qu'ils soient de lui, ils datent en tout cas du même temps et se rattachent à la même école. Maurice CROISet.

ERNEST DE WITT BURTON. Principles of litterary criticism and the synoptic problem. 1 vol, in-4°. Chicago. The University of Chicago press, 1904. (Extrait du v volume des Decennial Publications» de l'Université de Chicago.)

Le problème de l'origine de nos évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc), d'une importance capitale pour l'historien des origines du Christianisme aussi bien que pour les chrétiens soucieux de retrouver la teneur primitive de l'enseignement de Jésus, est l'un de ceux que la critique biblique n'a pas encore résolus d'une manière entièrement satisfaisante, malgré le grand nombre des travaux qui y ont été consacrés. On est généralement d'accord pour reconnaitre que ces évangiles ne sont pas simplement des rédactions, indépendantes l'une à l'égard de l'autre, de la tradition orale et qu'ils ne sont pas davantage de simples remaniements l'un de l'autre. Ils ont été composés à l'aide de textes écrits antérieurs que nous ne possédons plus. L'hypothèse d'un évangile primitif unique, complété dans chacun des synoptiques à l'aide de sources orales particulières, est également abandonnée. Il parait bien établi qu'il y a plusieurs documents antérieurs. D'autre part, l'utilisation de ces documents par nos évangélistes canoniques n'exclut en aucune façon la possibilité qu'ils se soient inspirés de leurs écrits respectifs. C'est ainsi que la majorité des critiques actuels pensent que Matthieu et Luc ont connu et utilisé l'évangile de Marc, soit sous la forme où nous le lisons, soit dans une rédaction antérieure.

M. Ernest de Witt-Burton apporte, de la part du département des études bibliques de l'Université de Chicago, une nouvelle contribution à l'examen de cette question si complexe de critique littéraire. Son travail se distingue par les qualités de précision, de clarté et de distribution pratique qui caractérisent les publications scientifiques américaines. Il n'y a pas de phrases, pas de considérations littéraires; l'auteur se contente chaque fois des arguments qui lui paraissent décisifs; il

n'éprouve pas le besoin d'en ajouter toute une série d'autres qui compliqueraient la discussion déjà bien suffisamment embrouillée par suite de la nature du sujet. Il s'efforce d'appliquer à cette étude de critique littéraire les méthodes qui ont donné de si beaux résultats dans la critique textuelle et se plaît à figurer les diverses relations possibles de nos évangiles synoptiques ou de leurs sources, par des diagrammes analogues à ceux par lesquels on représente les relations réciproques des manuscrits d'un même texte. Cette disposition risque de faire illusion au lecteur; la précision y est parfois plus apparente que réelle. Mais elle contribue beaucoup à la clarté de l'exposition. Quelqu'un qui voudrait s'initier aux multiples solutions possibles du problème des synoptiques aurait avantage à se servir de la dissertation de M. de Witt-Burton.

Ajoute-t-elle grand'chose à notre connaissance de la question? Je n'oserais l'affirmer. L'auteur lui-même, du reste, est le premier à reconnaître que son étude a besoin d'être complétée par d'autres recherches. Voici ses principales conclusions, telles qu'il les résume lui-même :

1° Notre Marc, ou un document en grande partie identique, a été utilisé par Matthieu et Luc;

2° Matthieu et Luc ont possédé en commun un document que l'on peut appeler Galiléen, correspondant à Luc, III, 7-15, 17, 18; IV, 2-13 [14-15], 16-30; V, 1-11; VI, 20-49; VII, 1 à VIII, 3;

3° Ils ont utilisé aussi, mais de manières très différentes, un autre document, que M. de Witt-Burton qualifie de Péréen et qui correspond à ce que l'on appelle ordinairement le document samaritain de Luc, IX, 51 à XVIII, 14 et XIX, 1-28;

4° Matthieu s'est servi d'un document que Luc n'a pas employé et qui comprenait surtout des discours. Ce sont peut-être les Logia de Matthieu, mentionnés au 11° siècle par Papias;

5° Matthieu et Luc ont dû avoir à leur disposition d'autres sources secondaires, par exemple pour ce qui concerne les récits de la naissance de Jésus, de son enfance et de sa résurrection.

L'auteur reconnait que ses hypothèses ne rendent pas compte de tous les points où Luc s'accorde avec Matthieu contre Marc et qu'il reste à rechercher quelles ont pu être les sources de Marc et du document Péréen.

Les thèses 2, 3 et 4 sont discutables. Si Luc, par exemple, n'a pas connu les Logia, il a dù connaître un ou plusieurs documents qui avaient, en grande partie, le même contenu avec une autre disposition. M. de Witt-Burton attribue au document qu'il appelle Galiléen des morceaux que l'on rattacherait plutôt aux Logia, par exemple Luc, VI, 20-49. L'utilisation du document Péréen par Matthieu est sujette à caution, au moins sous la forme où l'a connu Luc.

La grosse difficulté dans cet ordre de recherches, c'est le caractère vraisemblablement amorphe et inorganique des sources, recueils de récits ou de paroles, de gesta et de dicta Jesu, qui pouvaient s'augmenter, se diviser, se modifier en teneur, suivant les besoins de l'évangélisation et suivant les milieux. Un même document primitif a donc fort bien pu parvenir à nos évangélistes sous des formes assez différentes l'une de l'autre. Les identités verbales de Matthieu et de Luc, par exemple, impliquent l'unité d'une rédaction grecque primitive; leurs divergences peuvent provenir aussi bien des variations que cette rédaction a subies avant de leur parvenir que de la manière libre dont ils ont utilise leurs documents. Il faut, en effet, ne jamais perdre de vue que ces textes, qui ont pris pour les chrétiens un carac

tère sacré et dont nous commentons aujourd'hui la moindre parole, n'avaient pas ce caractère à l'époque où se formèrent nos évangiles canoniques. Il suffit de voir avec quelle extraordinaire liberté les auteurs chrétiens du II° siècle traitent les textes évangéliques (par exemple, Marcion, Justin Martyr) pour s'assurer que les rédacteurs de recueils de récits ou de discours de Jésus n'ont pu éprouver aucun scrupule à les disposer d'après leurs convenances. C'est pour cela qu'il sera sans doute très difficile d'arriver jamais à une précision beaucoup plus grande dans la détermination exacte des documents dont chacun des évangélistes devenus canoniques a fait usage. Jean REVILLE.

LOUIS JACOB. Le royaume de Bourgogne sous les empereurs franconiens (10381125). Essai sur la domination impériale dans l'est et le sud-est de la France aux xr et XII siècles, 1 vol. in-8°. Paris, Champion, 1906.

Depuis une quinzaine d'années, l'histoire des pays arrosés par la Saône et le Rhône a fourni la matière de travaux justement estimés. Tous ceux qui s'intéressent au moyen âge connaissent le beau livre de M. Paul Fournier sur le royaume d'Arles et de Vienne, au XIII° et au XIV siècle; après lui, M. Poupardin a raconté les destinées du royaume de Provence sous les Carolingiens; il a marqué comme terme de ses études sur cette question le moment où le premier empereur de la dynastie franconienne, Conrad le Salique, devenu roi de Bourgogne, établit sa maison dans l'ancien royaume de Boson et des Rodolphiens. La période comprise entre les dernières années de ce prince et la mort d'Henri V n'avait pas encore été l'objet d'une étude générale; en prenant à tâche de combler cette lacune, M. Jacob vient de rendre un service qui lui donne des titres à notre reconnaissance.

Entré en possession de ce bel héritage en 1038, du vivant de son père Conrad II, Henri III fait pendant tout son règne de constants efforts pour assurer sa domination dans le royaume légué à sa famille par Rodolphe III, mais dès les premiers jours de la domination franconienne, les dispositions des grands seigneurs bourguignons à l'égard de leurs nouveaux maîtres ne sont guère encourageantes; l'indifférence ou l'hostilité de presque tous les vassaux laïques est à peine compensée par le dévouement temporaire et intéressé du haut clergé. Aussi Conrad II prend-if le parti d'élever son fils Henri au trône de Bourgogne; c'est à la diète de Soleure, en 1038, qu'il donne cette satisfaction aux aspirations séparatistes de ses nouveaux sujets. Il meurt l'année suivante, et c'est seulement alors que l'action de la dynastie franconienne se fait sentir dans une partie du royaume.

A cet égard, la politique d'Henri III est nette et bien suivie; il s'appuie sur l'épiscopat, sur les abbayes, et cherche à gagner la noblesse, en particulier les maisons de Bourgogne et de Maurienne; il se rapproche de Renaud, comte de Bourgogne, l'adversaire acharné de Conrad II, en épousant sa nièce la princesse Agnès d'Aquitaine; pour empêcher ses feudataires bourguignons de se coaliser avec le roi de France, il s'arrange avec Henri I à l'entrevue d'Ivoy; il fait des séjours en Bourgogne, vient trois fois à Besançon, et sur la fin de son règne, il crée entre l'empire et la maison de Savoie un lien nouveau par les fiançailles de son fils avec Berthe de Maurienne. Mais il se fonde surtout sur le clergé, dont la puissance est considérable. Il comble de privilèges et de dignités l'archevêque Hugues de Besançon, contraint à la retraite Burchard, archevêque de Lyon, hostile à sa maison, et lui donne des successeurs dévoués à l'empire, en dernier lieu le célèbre Halinard, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, son partisan déclaré : les autres représentants de l'épiscopat ne lui sont pas moins favorables. Malgré tout, son influence est moins

dominante qu'on ne pourrait le croire, et M. Jacob insiste sur ce fait qu'Henri III ne paraît pas avoir joué de rôle dans l'établissement de la Trêve de Dieu, à l'institution de laquelle le haut clergé du royaume de Bourgogne a pris une si grande part. Quant aux seigneurs laïques, lorsqu'ils mentionnent dans leurs actes les années de l'empereur, ils le font avec une incorrection qui est la marque de leur indifférence; or, s'il faut en croire M. Jacob, le règne d'Henri III « est peut-être la période du moyen âge au cours de laquelle l'autorité impériale a été la plus respectée et la mieux établie dans le royaume de Bourgogne ».

Depuis la mort de ce grand prince, les liens qui rattachent le royaume à l'empire ne font que se relacher. Rodolphe de Rheinfelden, nommé recteur ou vice-roi en Bourgogne par l'impératrice Agnès d'Aquitaine, pendant la minorité d'Henri IV, n'a pas d'influence sur la noblesse; et cependant il est le propre beau-frère du jeune souverain, en attendant de devenir son compétiteur. A partir de 1065, le nom d'Henri se rencontre dans les actes de certains seigneurs, dans les cartulaires de certaines abbayes, Saint-Victor de Marseille, Saint-Barnard de Romans; et voilà tout. Les choses se gåtent bien davantage à partir du moment où éclate la querelle des Investitures; le royaume tout entier prend alors fait et cause pour Grégoire VII, et quand Henri IV se rend en Italie pour se soumettre à la douloureuse humiliation de Canossa, la maison de Savoie elle-même ne lui livre le passage des Alpes qu'au prix d'onéreuses concessions. Sous Henri V, dans tout le royaume, les nobles comme le clergé sont pour le pape; Calixte II y reçoit un accueil que jamais les empereurs n'y ont trouvé; en même temps on voit poindre dans le royaume de Bourgogne une influence nouvelle, celle du roi de France.

Les textes narratifs étant peu nombreux, c'est surtout sur l'examen des chartes et de leurs souscriptions que M. Jacob se fonde pour arriver à des conclusions qui nous paraissent justes. Mais puisqu'il fait ici œuvre de diplomatiste, pourquoi n'at-il pas pris la peine d'éviter certaines erreurs matérielles qu'on s'étonne de rencontrer dans un bon livre? Sans compter de nombreuses fautes d'impression, qu'il a laissé passer comme à plaisir, on peut lui reprocher de n'avoir pas toujours donné aux termes les mieux définis leur sens exact; l'expression de filia karissima, dont les papes se servaient en général quand ils écrivaient à une femme, ne prouve nullement qu'Adélaïde de Maurienne ait été très bien vue du Saint-Siège, et ses rapports avec la papauté, s'ils ont été confiants ou intimes, doivent s'établir par d'autres arguments. Cette critique et d'autres du même genre, que nous ne tenons pas à faire ici, n'enlèvent pas à ce livre sa valeur et son intérêt.

Dans une série d'appendices, l'auteur étudie les rapports du Vivarais avec le royaume de Bourgogne, dont il faisait encore partie, soit dit en passant, à la fin du XIIIe siècle, le rattachement de Bale à l'empire, le passage des Alpes par Henri IV en 1077, la nature des concessions faites en cette occasion par l'empereur à la comtesse Adélaïde. Il termine son ouvrage en démontrant que le royaume de Bourgogne était rattaché à l'empire par l'union personnelle, et qu'en fait, les raisons pour lesquelles la maison de Souabe en hérita sont tirées de bien loin; cela peut être vrai, mais le royaume d'Arles qui, à part la Franche-Comté, était fort éloigné de l'empire, n'avait pas alors intérêt à se séparer de princes qui ne le gènaient. guère. Elie BERGER.

KARL WENCK. Philipp der Schöne von Frankreich, seine Persönlichkeit und das Urteil der Zeitgenossen. 1 broch. in-4°. Marburg, 1905. Même après les travaux de Ch.-V. Langlois et de Heinrich Finke sur Philippe le

SAVANTS.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

Bel, celui de M. Wenck est une contribution utile et importante à l'étude de cette grande figure royale qui appartient presque à l'histoire moderne. Par un examen approfondi des chroniques et des documents d'archives, l'auteur a essayé de résoudre ce problème difficile entre tous, savoir si Philippe le Bel a eu une valeur per sonnelle et une influence directrice comme chef de Gouvernement, ou s'il n'a été que l'instrument docile des légistes qui composaient son conseil. La conclusion de M. Wenck est que l'histoire doit prendre à son compte le jugement des contemporains impartiaux. Philippe le Bel a été un grand roi. Non pas qu'il ait rien fait de durable pour l'avenir prochain et immédiat de sa dynastie, mais il a montré à ses descendants éloignés dans quelles voies la France devait s'engager pour atteindre le premier rang parmi les nations. L'auteur affirme même qu'à regarder cette physionomie de roi, telle qu'il a essayé de la retracer d'après les sources, on se sent involontairement amené à le comparer à Louis XIV. Il semble que le Roi Soleil, pour sa politique ecclésiastique comme pour sa politique étrangère, ait pris modèle sur le grand Capétien. » L'idée est soutenable, bien qu'à mon sens ces comparaisons à longue portée, entre personnages d'époques si différentes, pêchent toujours par quelque côté. Achille LUCHAIRE.

F. HENRY. Les Sonnets portugais d'Élisabeth Barrett Browning tradaits en sonnets français. 1 vol. in-8°. Paris, Guilmoto, 1905.

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Quels poèmes étrangers modernes ont été, comme les Sonnets portugais, traduits à trois reprises en vers français, sans parler d'une version en prose? Fortune plus exceptionnelle encore, ils rencontrent dans leur dernier traducteur, M. Henry, le rare interprète qui, à la fois maître de son art et respectueux de son modèle, peut donner de ce modèle une copie assez souple et assez aisée dans sa fidelité pour qu'elle semble un original. Point de version en vers qui soit plus que celle-ci littérale et littéraire tout ensemble; point qui conserve davantage l'allure, les nuances, les intentions du poète imité, qui perde moins de la précieuse liqueur transvasée d'une langue dans une autre; seuls à notre connaissance, dans les dernières années, les sonnets de Shakespeare et les Rubdiyât d'Omar Kheyyâm ont été rendus avec un pareil bonheur, et c'est également par M. Henry. Le texte anglais, imprimé ici au bas de chaque page, permet à chaque instant une comparaison qui pourrait être redoutable, mais ne fait ressortir que les difficultés vaincues; une bonne introduction présente M Browning au lecteur français, un commentaire copieux éclaircit divers détails obscurs, l'un et l'autre témoignant d'une connaissance approfondie des lettres anglaises; la traduction fait mieux, elle ajoute vraiment à notre patrimoine poétique les sonnets célèbres qu'avec quelque partialité, sans doute, mais après tout sans grande exagération, l'illustre mari de M Browning tenait pour « « les plus beaux qui aient été écrits en aucune langue depuis ceux de Shakespeare ». A. BARBEAU. CHRISTIAN MARECHAL. Lamennais et Victor Hugo. 1 vol. in-8°. Paris, Savaète, 1906.

M. Chr. Maréchal a déjà publié, l'année dernière, sur Volupté et sur les relations de Lamennais avec Sainte-Beuve, un livre fort intéressant, très solidement documenté, et qui éclairait d'un jour décisif ce qu'on peut appeler la crise catholique de Sainte-Beuve : La clef de « Volapté ». D'autre part, il vient de publier un important ouvrage de Lamennais, resté inédit jusqu'ici : l'Essai d'un système de philosophie catholique. 1830-1831. Il annonce, en même temps, un Lamennais et Lamartine.

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