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Cette phrafe dont la rudeffe cur, inquit, turbulentam fecifti aquam mihi bibenti, peint parfaitement le ton querelleur & aigre du Loup, eft compofée d'une Conjonction, d'une incife, d'un Verbe, d'un objet & d'un terme.

Cur, pourquoi, eft la Conjonction. C'eft une ellipfe, au lieu de ces mots par quelle raifon. Inquit, dit-il, eft l'incife. On reconnoît l'objet par l'accufatif aquam, fon adjectif, par ce même accufatif féminin turbulentam ; & le terme, par le datif mihi, car c'eft fon cas propre.

V.

La réponse de l'Agneau n'eft pas peinte avec moins d'énergie que la plainte féroce & injufte du Loup: elle préfente les fons les plus doux, les plus agréables.

Laniger contra timens,

Qui poffum, quæfo, facere quod quereris, Lupe?

» L'animal à laine, faifi de crainte, répondit : comment puis-je faire, je vous prie, feigneur Loup, ce dont vous vous plaignez ?

Ad te decurrit ad hauftus meos liquor.

La premiere de ces trois phrafes renferme un fujet; Laniger, l'animal à laine; fon adjectif timens, faifi de crainte; fon attribut fous-entendu en partie, & exprimé en partie, contra, au contraire : le mot répondit, en exprime l'enfemble.

Il n'eft pas plus difficile d'analyfer le refte de cette Fable de la même maniere, & de connoître par quelle raifon les membres de chaque phrafe ne font pas toujours arrangés dans le Latin de même qu'en François. N'omettons pas que cet arrangement eft exactement le même dans le premier des deux vers que prononce l'Agneau: Qui poffum, quæfo, facere quod quereris, comment puis je, je vous prie, faire ce dont vous vous plaignez ? En effet la Langue Latine maîtreffe de fuivre notre conftruction & de s'en écarter pour en fuivre une autre, s'attache à celle qui fe prête le mieux à l'harmonie de chaque Tableau: ayant fu rendre toutes les deux auffi naturelles l'une que l'autre, elle s'eft ménagée de plus grandes reffources,

LIVRE V.

GRAMMAIRE COMPARATIVE.

EN QUOI CONSISTE CETTE GRAMMAIRE.

INSI s'élèvent fur l'ordre naturel, bafe de toute fcience & de tout art, les Principes généraux du Langage; ces principes au-delà defquels il n'y a plus rien, & qui devenant la fource des ufages pratiqués par chaque Nation, conftituent la Grammaire de chaque Langue. Ces principes font un préliminaire indifpenfable pour l'étude de quelque Langue que ce foit : ils préparent à tous les phénomènes qu'ehes offriront, & on trouve en eux la caufe de tout ce que ces Langues contiennent de plus difficile en fait de régles grammati cales; celles-ci ne feront plus un amas indigefte de préceptes bizarres & abfurdes qui fuffoquent la raifon, & fous la tyrannie defquels elle étoit obligée de ployer, comme on cède à un Defpote aux caprices duquel on ne peut fe fouftraire. Un fpectacle nouveau va donc s'ouvrir toutes les Grammaires fe tiendront comme par la main; toutes enfemble ne feront qu'une feule &. même Grammaire, la Grammaire Univerfelle tranfmife dans toutes les Langues, & affortie avec la plus grande fimplicité au génie particulier de chacune: enforte que par tout où ce génie ceffe d'agir on retrouve la Grammaire Univerfelle; & que par-tout où il agit, il n'eft jamais en contradiction avec elle & n'agit jamais qu'en vertu des Loix même qu'elle lui impofe.

Les Grammaires particulieres ne font en effet que les principes de la Grammaire Univerfelle & primitive, modifiés par le génie particulier de chaque Langue; elles peuvent donc toutes fe ramener à une mefure générale; ainfi fe formera la GRAMMAIRE COMPARATIVE qui fait voir les raports de toutes les Grammaires particulieres, & de quelle maniere les principes communs à toutes fe modifient dans chacune, avec les raifons néceffaires de chacune de ces modifications. Spectacle brillant & unique, où l'oeil aperçoit la raifon de tout, & où l'on dévelope à chaque Peuple les caufes de toutes les régles qu'il fuit dans les Tableaux de fes idées, & dont il ne pouvoit connoître les raports avec l'ordre néceffaire des Langues,

La Grammaire Comparative devient ainfi la démonftration la plus com flette de la bonté de nos Principes; & d'une utilité indifpenfable pour abré ger l'étude des Langues, & pour faire faifir fans peine quelque Grammaire que

ce foit.

On fent encore que cette Grammaire Comparative embraffe toutes les Langues; & qu'ainfi, nous ne faurions la préfenter ici fous toutes les faces; que rien ne feroit plus faftidieux, lors même que nous pourrions en parcourir à préfent toutes les branches.

Ce n'est pas en effet notre deffein: il fuffira pour nos vues que nous ana lyfions la Grammaire de deux ou trois Langues qui paroiffent avoir le moins de saport entr'elles & qui ayent toujours été de la plus grande difficulté à aprendre; enforte que fi elles s'expliquent très-bien par nos Principes, on ne puiffe douter qu'il en eft de même de quelque Langue que ce foit; & qu'elles furent par conféquent toutes formées d'après un même modèle, modifié fuivant le génie & la maniere de voir de chaque Peuple.

Pour cet effer, nous choifrons d'abord la Grammaire de la Langue Chinoise, de cette Langue parlée par un Peuple placé à l'extrémité de notre Hémisphère, dont l'origine remonte à des milliers d'années fans avoir jamais varié, du moins dans les maffes effentielles, & qui a été conftamment regardée comme n'ayant aucun raport à aucune de nos Langues; & comme ayant été foumife par conféquent à des Loix abfolument différentes.

Nous pafferons enfuite à l'examen de la Grammaire Latine, qu'on a encore regardée comme étant diffèrente de la nôtre & comme contenant des régles dont on ne peut rendre raifon, & contraires à ces Loix générales auxquelles route Langue doit obéir.

Nous jetterons auffi un coup d'ail fur la Grammaire de la Langue Grecque, Langue la plus riche & la plus harmonieufe, & dont le génie grammatical ne differe prefqu'en rien du génie de fa fœur la Langue Latine.

Les raports de toutes ces Grammaires entr'elles & leur parfaite harmonie avec la Grammaire Univerfelle, feront, je le répete, la démonftration la plus complette de nos principes, de la fource commune des Langues, ainfi que de la facilité qu'on acquerra par-là pour en connoître le plus grand nombre poffible; & pour n'être jamais arrêté par aucune de ces difficultés défefpérantes qui donnent tant de peine à ceux qui ne veulent pas favoir les Langues fimplement de mémoire, & qui voudroient pouvoir fe rendre compte de tous les phénomènes que leur préfentent les Grammaires qu'ils font dans l'o bligation d'étudier..

ARTICLE PREMIER.

GRAMMAIRE DE LA LANGUE CHINOISE, comparée à nos

LA

Principes Généraux.

A Langue Chinoife fe divife en Langue parlée & en Langue écrite; c'est comme chez nous relativement à la fcience du calcul; nous avons nos nombres parlés & nos nombres écrits ou chiffrés, qui n'ont aucun raport les uns aux autres. Ainfi ce qu'ils apcllent fem dans leur Langue parlée, offre certe figure dans leur Langue écrite, (Planche 1. N°. 1.) Tous les deux défignent Pexiflence ou la vie.

Ces caractères font, comme nos mots, formés les uns de caractères fimples, primitifs & radicaux; les autres font compofès de ces caractères fimples, ils font la réunion d'un, de deux, de trois & jusques à dix-huit de ces caractères fimplcs.

Chacun de ces caractères fimples ou compofés, marche feul, comme nos mots; mais au lieu de s'écrire à la fuire les uns des autres, de gauche à droite, il s'écrivent perpendiculairement du haut en bas, par Colonnes. & ces Colonnes s'avancent de droite à gauche.

Enfin; chacun de ces caractères eft comme nos mots radicaux qui ne préfentent que des Noms d'objets, & qui font tour à tour Noms, Verbes, Adjectifs, Prépofitions, &c. fuivant la place où ils fe trouvent enferte qu'on ne peut connoître quelle partie du difcours ils préfentent, que par le fens de l'ensemble.

On fera cependant nécessairement aidé par deux moyens différens pour reconnoître ce fens. 1°. Par la place; car dans une Langue comme celle-là, la place des mots doit autant influer fur leur valeur que dans la nôtre.

2o. Ces caractères feront précédés ou fuivis d'autres caractères qui tien, dront lieu des Cas & des Tems; ils répondront à nos prépofitions pour les raports des Noms, & à nos terminaifons pour les Tems des Verbes, à ces terminaifons que nous avons vu être autant de fignes relatifs aux diverfes portions du Tems: ainfi on y exprimera par deux ou trois caractères détachés, ce que nous exprimons par un feul mot compofé de plufieurs.

De-là réfulteront toutes les règles de la Grammaire Chinoife, parfaitement femblables

femblables à celles de la Grammaire Univerfelle, & qui ne different des nôtres qu'en cela feul, que chez ce Peuple non-feulement chaque mot eft féparé, mais encore chacun des mots qui ne font employés que pour marquer les diverfes acceptions d'un autre.

De-là, & de-là seul, résulteront toutes les différences qui exiftent entre notre Grammaire & celle des Chinois; & celle-ci ne nous offrira aucun Phénomène que nous ne puiffions prévoir & réfoudre d'après ces principes.

Nous pourrons même dire, pourquoi ils n'ont pas raproché comme nous en un feul caractère, tous ceux qui font relatifs à un mot; & nous pourTons indiquer les grands avantages que la connoiffance des caractères & leur étymologie, retireroient de cette méthode fi elle étoit toujours bien obfervée.

Dans l'expofition que nous allons faire de cette Grammaire, nous nous fervirons des Ouvrages de deux Savans diftingués en Langue Chinoife: du Museum Chinois de BAYER,imprimé en deux volumes à Petersbourg en 1730, & qui contient entr'autres chofes une Grammaire & un petit Dictionnaire Chinois; de la Grammaire Chinoise de M. FOURMONT, imprimée à Paris infolio en 1743, & de fes Méditations Chinoifes qui avoient paru dans le même format dès 1737. Nous y joignons le fecours d'un Dictionnaire manuscrit où les mots font d'abord par clés & répetés enfuite fous les monofyllabes de la Langue parlée, auxquels ils répondent, rangés par ordre alphabétique.

Nous n'ignorons pas qu'on a prétendu que M. Fourmont ne favoit pas le Chinois & qu'aucun Européen ne pouvoit le favoir. Je n'en doute pas, tout comme on fait qu'un Etranger ne peut favoir le François auffi parfaitement qu'un Seigneur qui aura toujours été élevé à Verfailles.Je ne voudrois pas même affurer que nos Européens-Chinois ne faffent des fautes lourdes, en traduifant en leur Langue des Livres Chinois: c'eft ainfi que l'on furprend tous les jours en faute nos plus habiles Traducteurs Latins, Grecs, Hébreux, &c.

Mais cette habileté n'influe en rien fur la portion des Langues dont il s'agit ici. BAYER & FOURMONT & nombre d'autres peuvent s'être mépris groffiérement dans des Traductions Chinoifes, & fur-tout en traduifant des titres de Livres, genre de traduction tout-à-fait ingrat, & avoir compofé des Grammaires de Langue Chinoife, très-exactes.

L'accord qui regne entre celles de ces deux Savans eft encore un puiffant préjugé en leur faveur; d'autant qu'ils n'ont point été à même de profiter mutuellement de leurs ouvrages; la Grammaire de M. Fourmont ayant déja été dépofée entre les mains de M. l'Abbé Bignon dès l'année 1729.

Gramm. Univ.

Bbbb

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