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tenaient, le droit de confirmer, de renouveler, de changer et de porter les lois, le droit de paix et de guerre, le droit de régler les contributions, les tribunaux, les monnaies, etc. Tels sont quelques-uns des principaux articles que Charles-Quint promit et jura à son couronnement.

Les diètes ne s'assemblaient point à des époques fixes et périodiques, mais lorsque les circonstances l'exigeaient, et souvent elles duraient plusieurs années. Elles étaient composées du collége des électeurs, du collége des princes régnans, soit ecclésiastiques, soit séculiers, et du collége des villes. Le dernier de ces ordres était composé des députés des villes libres et souveraines. Elles étaient au nombre de cinquante-deux. Telles étaient les principales parties de la constitution du corps germanique. Nous passons sous silence une multitude d'institutions secondaires, dans lesquelles on trouve le même caractère de fédéralisme.

Mais ces traits généraux suffisent pour faire reconnaître les rapports existans entre l'organisation sociale de l'Allemagne et celle de notre pays au commencement de la troisième race; nul doute que cette analogie dans les institutions politiques ne soit due à leur origine française. Or, si l'on compare cette constitution avec celle qui existait en France, au seizième siècle, on trouvera que l'Allemagne avait un pas énorme à faire pour atteindre le degré d'unité sociale et de liberté individuelle qui existait déjà au temps de François Ier. Si le lutheranisme eût contenu en lui quelque chose de social; il eût au moins fait franchir au pays qui fut son berceau l'espace qui le séparait de l'état politique et civil où la France était parvenue en trois siècles. Il y avait, du point de vue chrétien, deux grandes révolutions à accomplir: il fallait détruire le fédéralisme, et le remplacer par l'unité de pouvoir; il fallait au moins supprimer le servage qui chez nous avait disparu de tout le sol appartenant à la couronne. Le lutheranisme ne fit rien de tout cela ; ii ne sut travailler qu'à éteindre les mouvemens qui eurent lieu dans ce sens, et à justifier quelques ambitions et quelques passions temporelles.

Que gagnèrent les princes protestans dans la réforme? D'abord, aucun d'eux ne fut obligé à un grand effort pour soutenir son changement de foi. L'empereur Charles-Quint était trop occupé par la France, par l'Italie, et surtout par les Turcs qui, dans ce temps, vinrent mettre le siége jusque devant Vienne, pour que les réformés eussent rien à craindre de lui; loin de là, le roi d'Espagne avait tout à attendre de la bienveillance des princes allemands, soit catholiques, soit protestans; ce fut même avec une armée composée en grande partie des contingens que ces derniers lui avaient fournis, qu'il soumit le pape à ses volontés, et saccagea Rome, le centre du pouvoir chrétien, donnant ainsi l'exemple d'une impiété alors inouïe, et d'une barbarie qui restera toujours monstrueuse. Aussi toute la résistance de l'empereur Charles aux prétentions luthériennes, se borna à quelques démarches diplomatiques, et à des ajournemens successifs quant au jugement définitif de la question.

Ainsi la réforme se propagea en paix dans les états de tous les princes qui voulurent le permettre; et ceux-ci gagnèrent, en général, à l'adop

ter, l'avantage de supprimer tous les tributs ordinaires qui étaient envoyés à Rome, de tourner à leur profit le bénéfice des dimes, et de s'ac quérir la possession des biens d'un riche clergé. Quelques-uns y trouvèrent encore d'autres avantages. Ainsi, le margrave de Brandebourg, grand maître de l'ordre teutonique et gouverneur, à ce titre, de la Prusse ducale, se maria en 1525 et conquit ainsi, pour ses descendans, la possession héréditaire d'un bénéfice jusque alors électif. La maison qui règne actuellement en Prusse tire, par les femmes, son origine de ce margrave, et son droit de son usurpation. L'ordre teutonique réclama; le grand-maître apostat fut mis au ban de l'empire. Mais personne ne s'occupa d'exécuter la sentence, et l'affaire finit par être oubliée. En 1583, un Gebhard Truchses, archevêque et électeur de Cologne, se déclara protestant et contracta mariage. Le pape l'excommunia et le déposa : la sentence fut mise à exécution, non par l'empereur, mais par une armée levée par les soins des magistrats mêmes de Cologne, par le chapitre et son grand-prevôt. Gebhard demanda du secours aux princes protestans ses frères; mais ils ne se donnèrent pas plus de mouvement pour le rétablir sur son siége, que les princes catholiques ne s'en étaient donné pour le renverser.

Ces deux conversions, séparées par une espace d'années considérable et par plusieurs règnes d'empereur, suffisent pour donner une idée des motifs qui provoquaient les adhésions des princes et de la noblesse au culte réformé ; elles sont un exemple de ce qui se passait dans les rangs plus obscurs de la hiérarchie sociale; elles prouvent enfin avec quelle sécurité le lutheranisme se propageait. En effet, sans que personne s'en mêlat, les princes non catholiques s'assemblaient, réglaient ce qu'ils appelaient la religion, se liguaient et s'engageaient à déposséder celui d'entre eux qui abandonnerait le nouveau culte.

Ce ne fut point sans doute uniquement par des raisons intéressées et semblables à celles qui déterminaient les adhésions aristocratiques, que les masses entrèrent dans le mouvement ouvert par Luther. Nous avons vu que les classes inférieures, c'est à dire les artisans et les paysans, entendirent que la réforme était tout autre chose que ce qu'on leur donnait pour tel, et voulurent en faire une à leur façon. Leurs réclamations repoussées, elles retombèrent en partie dans leur ancienne passivité, et en partie elles se séparèrent du lutheranisme. La bourgeoisie, au contraire, paraît s'être livrée avec ferveur aux nouvelles idées, sans grand dévouement cependant; puisque partout où le pouvoir temporel ne protégea pas les efforts des prédicans, leurs conquêtes furent nulles.

La grande guerre du protestantisme en Allemagne fut celle qui fut connue sous le nom de guerre de trente ans, et qui conclut au traité de Westphalie. Mais, avant de parler des causes de cette longue lutte, il nous faut aller rechercher comment le lutheranisme s'introduisit, et quelles œuvres il fit dans le pays qui y prit la part principale, en Suède. Il fut là, aussi stérile en bienfaits politiques et civils qu'il l'avait été partout ailleurs. L'histoire tout entière de la révolution de Suède, est complétement éirangère à celle du protestantisme; elle était terminée lorsque celui-ci y fut

introduit par la volonté de Gustave Wasa, dont nous expliquerons bientôt les motifs.

La royauté en Suède fut élective jusqu'en 1544, où, par un acte solennel, elle fut assurée à Gustave et à ses enfans. Mais il faut remonter jusqu'à la fin du quatorzième siècle, pour saisir le neud de cette grave révolution, et voir combien elle est indépendante de la réforme.

A la fin du quatorzième siècle, le gouvernement suédois était une oligarchie féodale, où l'on reconnaissait toutes les traces d'une organisation sociale militaire et civile, analogue à celle qui a existé en France sous la première race. Par la suite des temps, les commandemens militaires qui n'étaient d'abord que des bénéfices viagers, étaient devenus héréditaires, et de là une noblesse féodale nombreuse et armée. Le haut clergé luimême n'avait de pouvoirs que comme possesseur de riches et puissantes seigneuries temporelles. Dans un tel système de choses, on vit les désordres de toute espèce, les insurrections, les guerres particulières, tous les vices en un mot dont nos ancêtres ont subi le poids sous le gouvernement féodal. En ce pays aussi, comme en France, les rois ne pouvaient avoir d'autre politique intérieure, autant dans l'intérêt du peuple que dans le leur propre, et par le fait seul de la puissance de spontanéité qui appartient à l'homme, ils ne pouvaient, disons-nous, avoir d'autre but que d'anéantir les résistances aristocratiques, et de confisquer les priviléges de la noblesse ; en cela, ils avaient pour appui les seigneurs patriotes, la bourgeoisie des villes, et les populations libres de quelques provinces. Ainsi, en Suède on trouvait les mêmes partis qui tourmentèrent la France dans le XIII et le XIVe siècle; seulement, les rois étaient moins puissans; car ils n'étaient qu'électifs et non héréditaires et les viles étaient moins nombreuses et moins riches.

Vers 1385, un roi d'origine allemande, Albert de Meklembourg, suivant la politique de tous ses prédécesseurs avec une énergie peut-être imprudente, après avoir ressaisi toutes les places et tous les domaines sur lesquelles la couronne avait droit, voulant enfin abattre tout d'un coup la puissance de la noblesse, demanda, dans un plaid général de la nation, le tiers du produit des bénéfices militaires et ecclésiastiques. Cette proposition fut repoussée; mais le roi passa outre, appuyé en cela par tous ceux qui ne faisaient pas partie de l'oligarchie. La noblesse suédoise eut recours à l'étranger, à Marguerite de Danemarck, et de là naquit une longue et cruelle guerre dans laquelle toutes les villes libres, non-seulement de Suède, mais des autres côtes de la Baltique, prirent le parti d'Albert. L'heureuse Marguerite triompha enfin de tous ces obstacles, et une réunion des sénateurs et de la principale noblesse de Suède, de Norwege et de Danemarck, formée par ses soins, arrêta la réunion des trois couronnes, les déclara héréditaires, tout en réservant les priviléges particuliers de chaque royaume. Telles furent les bases principales de ce traité long-temps invoqué dans le nord sous le nom de l'union de Calmar.

Nous n'entrerons point dans le détail des événemens qui suivirent ce

traité et qu'on peut lire dans toutes les histoires de Suède. Il suffira de dire que ce fut une suite de guerres et de révoltes, dans lesquelles on vit apparaître le peuple suédois lui-même. Il protesta le premier contre la domination étrangère, et avec cette puissance de masse qui est toujours irrésistible. La noblesse, qui d'abord ne chercha qu'à amoindrir ces mouvemens, en profita ensuite selon les intérêts des partis qui s'étaient formés dans son propre sein. Les Danois ne furent pas plus fidèles à l'union que leurs voisins; ils déposèrent et élirent des rois; et la Suède, tantôt acceptant, tantôt refusant ces maîtres que lui donnaient les caprices du Danemarck, fut tantôt un royaume, et tantôt une oligarchie gouvernée par un administrateur tiré de son sein.

La conduite du clergé fut plus droite, si elle ne fut pas plus nationale. C'était un corps puissant, autant par son pouvoir spirituel que par les seigneuries qu'il possédait à titre de fiefs. Préoccupé du point de vue de l'unité, et de l'utilité des grands centres, voyant dans l'exécution de l'union de Calmar, le moyen de constituer une monarchie puissante, comme avant-garde du catholicisme du côté du nord, il se jeta avec ardeur dans le parti des rois de Danemarck.

Après plus d'un siècle de désordres civils, de guerres, et de trèves sans sécurité, Christian II, l'un de ces rois, fidèle aux prétentions de ses prédecesseurs, excipant des mêmes droits, et aidé du clergé, se trouvait maître de la Suède dans le commencement du scizième siècle. Il tenait garnison dans toutes ses places. En 1521, Gustave Eric-Son Wasa, échappé des mains du prince Danois qui le retenait comme otage, se mit à la tête d'une insurrection de paysans dalécarliens. En moins de deux ans, il rendit la Suède à elle-même. Il n'eut pas seulement pour lui le peuple, mais toute la petite noblesse. Le haut clergé seul resta fidèle à la cause de Christiern. Par un concours de circonstances inattendu, ce roi fut dépossédé du trône de Copenhague par ses propres sujets, et remplacé par un nouvel élu, en sorte que la patrie de Gustave se trouva enfin en sécurité.

A peine Gustave fut-il assuré de la couronne que la Suède reconnaissante lui avait donnée pour lui et ses successeurs, en 1523, qu'il travailla à introduire le lutheranisme dans ce pays. Ils ne peut rester de doute sur les motifs qui l'animaient, lorsqu'on remarque qu'il s'agissait pour lui de se débarrasser du plus puissant appui de l'étranger, d'accroître sa souveraineté en saisissant celles de l'Eglise, enfin d'augmenter le domaine de l'Etat de tous les fiefs et de toutes les richesses possédés par les évêques. L'occasion d'ailleurs était des plus favorables: l'archevêque primat avait été condamné plus encore par l'opinion publique que par ses juges, comme traître à sa patrie. Gustave poursuivit ce projet avec l'énergie et l'adresse qu'il savait mettre en toutes choses; il n'eut point de peine à acquérir l'assentiment de la noblesse, en lui faisant quelques largesses des dépouilles de l'Eglise; le bas clergé obéit; il fit persuader la bourgeoisie en favorisant les prêches, et en y appelant d'habiles orateurs. Chose remarquable, le petit peuple seul offrit quelque résistance. C'était

la population catholique de Dalécarlie qui avait chassé les Danois; ce fut elle qui se souleva pour conserver les usages de son culte ; car de la religion elle ne comprenait et ne voyait que cela. Le nouveau monarque sut dissiper, dès son début, cette rébellion à laquelle il ne manqua qu'un chef brave et habile. Il sut de plus faire quelques concessions. La lithurgie ne fut reformée que beaucoup plus tard.

L'on voit, par cette rapide esquisse que le lutheranisme n'eut pas en Suède plus d'influence civile qu'en Allemagne, qu'il fut un moyen entre les mains du prince et rien de plus. En effet nul droit politique nouveau ne fut conquis en cette révolution par les Suédois, à moins qu'on ne veuille ainsi appeler l'hérédité monarchique. Maintenant il nous faut jeter un coup d'œil sur cette guerre de trente ans, où le protestantisme du Nord se trouva tout entier aux prises avec le catholicisme, et qui amena la conclusion politique de la réforme, le traité de Westphalie. Si nous nous occupons un moment de ce sujet, c'est qu'il s'agit pour nous d'examiner si ce furent des passions religieuses, ou des intérêts temporels qui mirent les armes à la main à tous les princes de l'Allemagne.

Depuis long-temps, la question de l'unité germanique, c'est-à-dire la souveraineté impériale était mise en question. De tout temps le pouvoir des empereurs avait été plutôt le résultat de leur valeur personnelle, que celui des priviléges attachés à leur titre; les hasards de l'élection avaient été la cause principale de cet état précaire; jamais ils n'avaient permis cette marche suivie qui était remarquée ailleurs comme le fait de l'hérédité dans une même famille. Mais, depuis assez long-temps déjà, les princes de la maison d'Autriche se succédaient au pouvoir, et l'on pouvait prévoir que cette habitude finirait par devenir un droit, et l'origine de la ruine de tous les états secondaires qui composaient la fédération germanique. Ce fut donc à l'occasion d'une élection impériale que les premiers troubles qui préludèrent à la guerre dont nous nous occupons, prirent naissance. Voici quelques mots de cette histoire.

Ferdinand II, de la maison d'Autriche, venait d'être élu roi de Bohême par la protection de l'empereur Mathias, comme son fils adoptif, et comme destiné à succéder à la couronne impériale. Résolus de rompre ce dernier projet, les électeurs palatin et de Brandebourg convinrent, par un traité secret, de mettre la couronne de Bohême sur la tête du palatin, de partager également entre les catholiques et les protestans les bénéfices princiers de l'Allemagne, et de placer le duc de Savoie sur le trône impérial. Cependant des troubles graves s'élevèrent en Bohême entre les protestans et les catholiques. Ceux-ci avaient fait abattre quelques temples du culte réformé. De là une insurrection qui mit le pouvoir aux mains des protestans, et que les princes de l'union religionnaire se hâtèrent d'appuyer par une armée. Lorsqu'une année après, Ferdinand, par les suffrages des électeurs catholiques, eut été nommé empereur, les états de Bohême, de Lusace, de Silésie, refusèrent de le reconnaître; et les états assemblés à Prague le déposèrent solennellement, en l'accusant particulièrement de vouloir rendre la couronne impériale hérédi

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