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été appelé à la place de commandant de la garde nationale, vous aviez déclaré que vous ne l'accepteriez qu'avec le consentement du roi. Le peuple ne pouvait sentir encore combien cette démarche était attentatoire à ses droits et aux principes de la liberté. Louis XVI crut sans doute, sur votre parole, que vous n'aviez accepté cet emploi que pour le servir. Vous aviez en même temps, dans l'assemblée nationale, un parti considérable composé de patriotes faibles et ignorans, sans compter la faction aristocratique, toujours disposée à seconder la vôtre contre les véritables défenseurs de la liberté. Vous étiez devenu une espèce de médiateur entre la cour et le corps législatif, l'arbitre de tous les partis; votre table était le point de réunion de toutes les dupes et de tous les fripons politiques, et votre cabinet le centre de toutes les négociations contre la liberté. Les membres mêmes du comité de constitution le fréquentaient assez assidûment; car, si vos connaissances en législation étaient bornées, vous étiez assez habile en intrigues; et si vous ignoriez comment on fait de bonnes lois, vous saviez assez bien l'art d'en faire adopter de mauvaises. Au défaut des lumières de la philosophie, vous pouviez répandre les largesses de la cour et verser des pluies d'or ou d'assignats.

› Faire reculer la révolution était l'expression favorite de La Fayette, et l'objet de tous ses voeux; et soit qu'il faille en faire honneur à son propre génie ou à celui de ses conseils, il faut convenir qu'il employa des moyens très-ingénieux pour parvenir à ce but. C'est lui qui forma le premier schisme entre les patriotes, en instituant le club de 1789, pour l'opposer à celui des amis de la constitution; c'est lui qui fonda ces sociétés anti-populaires, où l'intrigue et le machiavélisme s'exerçaient dans l'art de préparer le poison de la calomnie, d'altérer les principes, d'armer les préjugés et les vices de l'ancien régime contre la liberté naissante, et de faire redescendre l'opinion publique de la hauteur des principes de la révolution à la bassesse des idées et des habitudes aristocratiques. C'est lui et ses partisans qui introduisirent ce système perfide de décréditer la liberté par le

nom de la licence, la raison et la vérité par le reproche d'exagération et de folie, le patriotisme par celui de turbulence et de sédition. Il est vrai que plusieurs de ses adversaires prêtaient un peu à ses inculpations, comme les Lameth, qui défendaient la cause du peuple contre lui, avec des vues aussi intéressées que les siennes; mais il sut en profiter habilement, pour décréditer et pour calomnier le patriotisme et le peuple lui-même.

› Le plan de La Fayette était de former dans l'état un troisième parti mitoyen, entre ce qu'on appelait les francs aristocrates et les patriotes, c'est-à-dire ceux qui, étrangers à toutes les factions, ne voulaient que le bien public et l'égalité constitutionnelle. Il grossit ce parti de tous ceux qui aiment la liberté pour eux-mêmes, qui voient avec plaisir abaisser tout ce qui était au-dessus de leurs têtes; mais qui ne peuvent souffrir que le peuple s'élève de l'oppression à la dignité d'homme; c'est dire assez qu'il devait être nombreux et puissant. La Fayette mit donc tout en œuvre pour avilir le peuple; il ne cessa de rendre les citoyens laborieux et maltraités par la fortune, odieux et suspects aux autres, en les présentant comme le fléau des propriétés et de la tranquillité publique; il excita même au besoin quelques mouvemens partiels, pour accréditer ces calomnies. Convaincu d'ailleurs qu'il devait regarder comme ses adversaires naturels tous les amis de la liberté et de la constitution, il déchaîna contre eux une armée de libellistes qu'il tint toujours à sa solde; il les peignit comme des novateurs ennemis de la Constitution, comme des sectaires politiques; il les désigna sous des dénominations odieuses, dans son idiome, telles que celles de jacobites, de républicains.

› Il avait appris dans les cours la puissance de la calomnie, et dans l'histoire des conspirateurs, ses devanciers, l'art de violer les lois et d'anéantir les droits du peuple, en les invoquant sans cesse. Il connaissait d'autant mieux cette partie de l'histoire, qu'elle était la seule qu'il eût étudiée.

> Il invoquait les lois, lorsque, de son autorité privée, il envoyait à Vernon des détachemens de gardes nationales, avec

une artillerie nombreuse, pour casser les officiers municipaux nommés par le peuple pour faire nommer les partisans de l'aristocratie, pour emprisonner, pour outrager les patriotes. Il invoquait les lois, lorsqu'il faisait massacrer les citoyens désarmés; il invoquait les lois, lorsqu'il attentait tous les jours à la liberté individuelle; il invoquait les lois, lorsque, pour venger sa querelle, ses satellites empêchaient les officiers municipaux de délibérer sur la suppression des bustes que l'adulation avait érigés dans la maison commune, à lui et à ses amis; les menaçaient sur leurs siéges, et les maltraitaient dans l'exercice de leurs fonctions. Il invoquait les lois dans la journée des poignards, où il favorisa l'audace des conjurés, et conduisit à Vincennes une partie de l'armée parisienne, pour protéger une seconde Bastille menacée du sort de la première, pour faire prisonniers un bataillon et un commandant de bataillon connus par leur patriotisme; il invoquait les lois, lorsqu'à La Chapelle il faisait couler le sang des citoyens.

> Il devait entrer dans son plan de purger l'armée de tous les soldats patriotes qui avaient commencé la révolution, et qui étaient les plus fermes appuis de la cause du peuple. Il se chargeait de faire emprisonner arbitrairement ceux même qui, avec des congés en bonne forme, venaient à Paris invoquer la justice de l'assemblée nationale; c'est lui encore qui, ligué contre eux avec le ministre de la guerre et le comité militaire du corps constituant, favorisa de tout son pouvoir cet affreux système, inventé par le génie du despotisme, de les chasser, de les proscrire par des ordres arbitraires, par des cartouches infamantes, par des jugemens monstrueux, que réprouvait la tyrannie même de l'ancien régime.

< Charmés de ces exploits, les ennemis de la révolution reprirent bientôt leur audace, et ranimèrent leurs espérances. Ils apprirent de lui à cacher leurs intentions perfides sous le voile d'un civisme hypocrite. Fier de leur appui, il osa braver ouvertement l'opinion publique. Au mois de février 1790, il veut favoriser le départ du roi, dont le motif alarmait tout Paris. La

garde nationale elle-même crut remplir un devoir de civisme en refusant de le protéger. M. La Fayette saisit cette occasion de faire sa cour au monarque, et de prendre un empire despotique sur la garde nationale parisienne. Il affecte un grand courroux contre cette prétendue désobéissance aux ordres du général; il le manifeste par un écrit où il proclame des principes dignes du chef d'une garde prétorienne; il feint de donner sa démission ; cependant l'état-major et tous ses partisans intriguent dans les bataillons, pour les déterminer à le conjurer de reprendre le commandement; sa retraite est présentée comme une calamité publique; une multitude de bourgeois imbéciles pensent que c'en est fait de la şûreté publique et de la capitale, si M. La Fayette se retire. Les officiers de chaque bataillon, à la tête d'une partie des fusiliers, se rendent chez lui, avec les drapeaux, pour lui demander pardon de l'acte civique qui avait provoqué sa colère. Ce nouvel Achille se refuse à leurs instances, jusqu'à ce qu'ils aient consigné leur repentir dans un acte solennel; que dis-je ! jusqu'à ce que la garde nationale ait prêté à la personne de La Fayette un serment particulier de fidélité. Cet acte anti-constitutionnel, séditieux de la part de celui qui le provoqua, qui le souffrit, qui l'adopta, cet acte, qui déclarait La Fayette chef de faction, eût été puni de mort chez un peuple libre et sous le règne des lois : parmi nous, il fut dénoncé à l'opinion publique : mais les lois restèrent muettes. Déjà le parti de La Fayette dominait dans l'assemblée nationale, et les tribunaux étaient peuplés de ses créatures. Aussi, peu de temps après, il osa commettre un nouvel attentat du même genre contre la Constitution, en adressant, en son nom, à la garde nationale parisienne, une proclamation où il cherchait à la flagorner, en la distinguant des citoyens, en lui persuadant queladestinée de l'empire reposait uniquement sur son zèle; où il provoquait sonanimadversion contre les patriotes, ses adversaires, qu'il désignait sous la dénomination de factieux.

› Ce n'était point assez de vouloir attacher à son parti l'armée parisienne, il fallait encore étendre sa domination sur toutes les gardes nationales de France. Il avait fait proposer, par quelques

uns de ses amis, à l'hôtel-de-ville de Paris, de lui décerner le titre de généralissime de toutes les gardes nationales de l'empire; en même temps qu'on offrait le titre de municipe général, à M. Bailli, qu'il gouvernait avec un empire absolu. Il repoussa ce titre avec les armes de la Constitution, et comme César repoussait le diadème; content des avantages que lui donnait cette seule proposition, il s'appliqua à exercer de fait la dictature, qui ne pouvait lui être conférée formellement.

› On sait comment il fit servir à ce projet la fédération même du 14 juillet 1790. Il s'empara des fonctions de chef des représentans armés et de président de cette cérémonie nationale. Aux démonstrations inconcevables d'idolâtrie que les fédérés lui prodiguèrent, et qu'il savait si bien provoquer par les petites minauderies auxquelles il était exercé, on eût dit que la nation ne s'était assemblée que pour lui rendre hommage; jamais ni les bottes de Charles XII, ni le cheval de Caligula, ne jouèrent un rôle aussi important que le cheval et les bottes de La Fayette dans cette immense assemblée.

› Cette fête, où devait se déployer la majesté du peuple, fut indigne de lui; La Fayette sut la faire tourner au détriment de l'esprit public qu'elle devait élever; il en avilit le caractère auguste, il la ravala jusqu'à lui. Il renvoya dans leurs provinces les députés fédérés remplis de fausses idées, de préjugés serviles et surtout d'un engouement honteux et ridicule pour la plus méprisable idole. Il ne manqua pas d'entretenir ces dispositions par sa correspondance et pas ses émissaires dans toutes les parties de l'empire. Il retint à Paris des députés de la fédération, qui formèrent alors ce fameux club de fédérés, connu par les principes anti-civiques qu'il afficha aux dépens de la tranquillité publique, et qui devint un des principaux instrumens de ses pernicieux desseins. Il envoyait ses aides-de-camp dans les départemens, comme un souverain envoie des ambassadeurs ; c'est ainsi qu'il concertait à Nancy, avec Bouillé, le massacre des régimens de la garnison de cette ville, et les désastres de tant d'autres corps, victimes de leur amour pour la patrie. Il tramait

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