Page images
PDF
EPUB

fait quelques prisonniers, et je n'ai aucune connaissance que nous en ayons perdus.

› Telle est, monsieur, la relation que je m'empresse de vous envoyer en rentrant au camp; elle est aussi exacte que je le puis avant d'avoir reçu des détails officiels.

[ocr errors]

Signé, le général d'armée LA FAyette."›

M. Dumourier lit ensuite un mémoire sur le département de la guerre. En voici la teneur :

« Les généraux se plaignent avec raison de la faiblesse et du délabrement de leurs armées; partout il manque des armes ; des habits, des munitions, des chevaux de pelotons, des effets de campement, etc. Le non-complet de quatre armées, pour les seules troupes de ligne, s'élève à plus de quarante mille hommes et huit ou dix mille chevaux. La plupart des places sont aussi démantelées qu'en état de paix; dans la plupart il n'y a ni vivres, ni munitions suffisantes. Plusieurs commandans, plusieurs officiers des différentes armées, sont ou suspects ou ennemis. Une partie des corps, des commissaires des guerres, de celui des commis et des gardes magasins, surtout d'artillerie, sont ou vendus ou suspects. Plusieurs municipalités frontières sont dans le même cas; et si les choses subsistent dans cet état, il sera facile à nos nombreux ennemis d'enlever plusieurs de nos frontières, et de pénétrer dans l'intérieur du royaume.

› Les bureaux de la guerre sont au moins reprochables par la lenteur des expéditions, par le désordre des détails, par l'espèce des marchés, dont plusieurs, comme celui des chevaux de pelotons par exemple, sont frauduleux, et dont la plupart restent sans exécution. Rien n'est inspecté par des personnes autorisées à punir des fautes aussi graves, et à réparer sur-le-champ, sur les lieux, le déficit de cette inexécution.

› Cependant le dernier ministre qui s'en est rapporté à ses agens, malgré leur infidélité et leur incapacité reconnues, puisque ce sont les mêmes agens qui, sous les trois précédens ministres, ont aidé à tromper la nation et à réduire sa force armée

à un point de faiblesse effrayant, malgré une dépense énorme, est demeuré responsable, tant de la comptabilité que des suites funestes que peut entraîner cette désorganisation de la force armée; et par une espèce de solidarité très-injuste, les autres ministres partagent cette responsabilité, quoiqu'ils ne puissent apporter aucun remède à ces maux, tant que l'organisation du ministère du département de la guerre restera en cet état.

› Le dernier ministre de la guerre a montré des vues trèspatriotiques, et beaucoup de zèle pour remonter l'état militaire; mais je lui demanderai si les moyens qu'il a employés lui paraissent suffisans. Il a dit, et je le pense comme lui, qu'il faut que toute la nation se lève à la fois et prenne les armes : mais cette levée générale, si elle n'est ni bien ordonnée ni successive, ne peut pas augmenter la force de l'armée, et ne peut opposer aux troupes aguerries des despotes qu'une tourbe sans ordre et par conséquent sans force, qui, rassemblée tumultuairement, aura le sort de ces immenses armées indiennes que quelques hommes aguerris dissipaient facilement.

› D'ailleurs, que la nation sè lève tout entière, présente une grande idée très-énergique; mais elle manque de précision et elle est inexécutable, parce qu'il n'y a ni assez d'armes, ni assez de provisions de bouche, ni assez de munitions pour cette immeuse multitude; et c'est par un pareil moy que l'imprudent Vander-Noot a détruit, dans quinze jours, toutes les ressources des Belges contre une poignée d'Autrichiens: il poussa le même cri de guerre; 80,000 hommes au moins se rassemblèrent à sa voix avec promptitude, et furent dissipés encore plus promptement par douze ou quinze mille Autrichiens.

› Suivons les opérations qui depuis six semaines ont été faites et décrétées par l'assemblée, sur les propositions de MM. Grave et Servan.

› M. Grave, n'ayant aucun état de situation des régimens de ligne, et persuadé sans doute que les 51,000 hommes que M. Narbonne avait annoncé manquer à l'armée, étaient plus que complétés par le recrutement volontaire qu'on avait annoncé à l'as

T. XV.

4

semblée nationale monter à plus de 100,000 hommes, ne s'est point occupé de recrutement des régimens du ligne.

› Il a proposé une augmentation de cinquante bataillons de volontaires nationaux. Cette proposition a été modifiée d'une manière avantageuse par le comité militaire, qui a fait décréter par l'assemblée, que tous les bataillons précédemment levés soient portés à 800 hommes effectifs, pour être assimilés aux bataillons de guerre, des troupes de ligne, et que, de plus, il serait créé trente-quatre nouveaux bataillons de la même force de 800 hommes, ce qui porterait le nombre total des bataillons des gardes nationales volontaires à 214.

› Bientôt après, M. Servan a proposé à l'assemblée nationale la levée de 1,000 hommes par département. Enfin, il vient de proposer la levée de cinq hommes par canton, dont un à cheval; l'assemblée a décrété 20,000 de pied. Il a proposé pareillement de tirer de chaque brigade de la gendarmerie nationale un homme monté, qui sera remplacé par un autre homme choisi par le département.

› Récapitulons la somme totale de toutes ces levées proposées ou décrétées coup sur coup, et rappelons-nous d'abord que, lorsque l'assemblée constituante décréta 100,000 auxiliaires, ce qui était une très-bonne mesure pour compléter l'armée de ligne, elle perdit tout le fruit de cette mesure en décrétant 90,000 hommes formés en bataillons volontaires, parce que ceux-ci absorbèrent les premiers, et qu'on ne put jamais réussir à lever les auxiliaires.

› Rappelons-nous aussi que plus de six mois ont été employés à cette levée de volontaires; que, faute de précautions, leur habillement et leur armement ont été d'une longueur insupportable, et que plusieurs d'entre eux manquent encore des équipemens les plus nécessaires, et sont à peine organisés.

› Revenons à présent à l'état de force que nous donnent, sur le papier, les nouvelles levées proposées ou décrétées depuis six semaines :

1° Il faut mettre en ligne de compte, pour le recrutement de l'armée, 50,000 hommes;

2o Pour le complétement de cent quatre-vingts bataillons existans, 226 hommes par bataillon, pour les porter à 800, 48,680 hommes ;

5° Pour la levée de trente-quatre nouveaux bataillons, 99,200 hommes ;

4° Pour la levée de mille hommes par département, 83,000 hommes;

› 5o Pour la levée de cinq hommes par canton, à peu près 27,000 hommes, dont 5,000 de cavalerie,réduits à 20,000 hommes.

6o Pour le tirage d'un homme par brigade de la gendarmerie nationale, 1,600 hommes de cavalerie;

7° Pour la levée de trois légions, environ 12,000 hommes; › 8° Pour la levée de cinquante-quatre compagnies franches de deux cents hommes, 10,800 hommes.

› Total, 245,280 hommes, dont à peu près 1600 chevaux. › Procédons actuellement avec méthode sur cette prodigieuse levée.

› A-t-on déjà commencé par assigner des fonds pour chaque objet? Sans contredit, le premier de tous est le recrutement de l'armée de ligne, ou au moins le complétement de cent quatre-vingts bataillons de volontaires, qui forment le fonds de nos quatre armées, et qui, par leur bon esprit, sont l'espoir de notre résistance.

› C'est ce dont nos généraux ont le besoin le plus pressant pour renforcer leurs faibles armées, quelque plan qu'ils aient adopté, soit d'attaque, soit de défense.

› Si M. Servan s'est contenté d'avoir fait décréter cet objet, s'il s'en est rapporté aux soins des départemens, districts et municipalités, qui ne peuvent rien entendre à la partie militaire, il n'a pas diminué sa responsabilité, mais au contraire, il l'a surchargée de toutes les lenteurs que ces corps administratifs mettront dans cette levée, qui ne sera pas effectuée de toute l'année, puisque la première levée des volontaires nationaux a duré

plus de six mois, et qu'alors il y avait dans le royaume des draps bleus, de la buffleterie et des armes. Il en est de même pour le troisième article, c'est-à-dire la levée des trente-quatre bataillons décrétée par l'assemblée.

› Ces trois articles marchent ensemble; et il me paraît que pour les faire exécuter il eût fallu, 1° que M. Servan écrivit une circulaire à tous les corps administratifs du royaume, pour leur donner des instructions sur la manière la plus prompte d'exécuter cette levée qui, pour les trois articles, monte à 117,880 hommes, pour lesquels il aurait dû d'avance connaître ses ressources sur l'habillement et l'armement.

> De ces 118,000 hommes, 50,000 hommes étant destinés pour compléter l'armée de ligne, M. Servan a dû s'occuper de ce qui manque aux régimens en habillement et armement, pour le porter au grand complet de guerre, afin que les recrues, en arrivant au dépôt de chaque régiment, y trouvent ce qui leur est nécessaire : en outre, il a dû s'occuper de l'armement et de l'habillement de tous les régimens qui sont distribués dans les quatre armées, et il doit être étonné lui-même de ce que, non-seulement les généraux fassent continuellement de justes et d'inutiles plaintes sur le dénuement absolu de leurs soldats, mais aussi de ce que tous les rapports des personnes de confiance que lui et moi avons envoyées sur les frontières, sont parfaitement conformes aux plaintes des généraux, et prouvent clairement le désordre, et peutêtre la mauvaise foi des agens et des bureaux.

› Il semble que dès qu'un décret est rendu pour une formation de troupes quelconques, le ministre devrait avoir présenté en même temps l'aperçu de la dépense résultant de ce décret, et faire décréter la somme de cet aperçu,

› 1o Pour être assuré de pouvoir fournir sur-le-champ à cette dépense;

2o Pour régler sa comptabilité, et ne pas l'embrouiller en confondant plusieurs objets;

3° Pour pouvoir rendre compte à tout moment à l'assemblée, si elle l'exige, de l'état de sa dépense et du progrès de sa formation.

« PreviousContinue »