Page images
PDF
EPUB

HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE,

ου

JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,

DEPUIS 1789 JUSQU'EN 1815,

CONTENANT

La Narration des événemens; les Débats des Assemblées; les Discussions des principales Sociétés populaires, et particulièrement de la Société des Jacobins; les procès-Verbaux de la commune de Paris; les Séances du Tribunal révolutionnaire; le Compte-Rendu des principaux procès politiques; le Détail des budgets annuels; le Tableau du mouvement moral, extrait des journaux de chaque époque, etc.; précédée d'une Introduction sur l'histoire de France jusqu'à la convocation des Etats-Généraux,

PAX P.-J.-B. BUCHEZ ET P.-C. ROUX.

TOME SEIZIÈME.

PARIS:

PAULIN, LIBRAIRE,

RUE DE SEINE, no 6, hôtel MIRABEAU.

M. DCCC XXXV.

PRÉFACE.

Avant tous les codes, toutes les chartes, toutes les constitutions, toutes les lois que nous faisons et défaisons au jour le jour; avant les rois, les papes et les nations, il y a une autorité qui n'est ni variable ni passagère comme eux, et qui sera encore lorqu'ils ne seront plus; cette autorité, c'est la morale.

Tout est permis au législateur, au gouvernant, qu'il soit prince ou peuple; tout, excepté ce que la loi morale défend.

Et, à cause de cela, il a été établi que la loi morale serait là science la plus intelligible, de telle sorte que les plus petits enfans ne pussent en ignorer; et en même temps la seule que l'on ne pût oublier dès qu'on l'aurait apprise. La morale, en effet, n'est autre chose que ce que l'on appelle conscience chez l'individu. A ce titre, elle est préexistante à tous nos actes, soit jugemens, soit souvenirs; et ce n'est que du jour où elle a pris domicile chez nous que nous possédons une mémoire d'homme, une mémoire sociale.

Ainsi Moïse nous dit qu'Adam et Ève furent des êtres humains seulement à partir du moment où ils eurent appris qu'ils ne pouvaient conquérir le bien-être terrestre que par le travail, le mérite que par le sacrifice, la maternité que par la douleur, et l'éternelle vie que par la mort; lors, en un mot, qu'ils possédèrent la science du bien et du mal.

Cette science fut autrefois enveloppée de mystères et cachée dans la profondeur des sanctuaires; mais alors aussi les hommes étaient partagés en initiés et en maudits, en maîtres et en esclaves. Aux premiers seuls, en effet, appartenait la vie spirituelle et le secret du pouvoir; les autres, dépourvus de conscience, dépourvus de mémoire, ne formaient qu'un

vil troupeau, trop heureux d'avoir un pasteur qui prévit pour lui et veillåt à le conserver et à le multiplier.

Aujourd'hui la morale est sans mystères et sans voile; depuis dix-huit cents ans, Dieu a voulu qu'elle éclatât à tous les yeux comme la lumière du soleil, qu'elle nourrit tous les hommes et leur servit de pain chaque jour. Comme le lait de notre mère est la première nourriture de notre corps, elle est la première nourriture de notre esprit ; et de même que nous avons des yeux et des regards avant d'avoir vu, nous avons une conscience avant d'avoir pensé.

C'est parce qu'il en est ainsi pour tout le peuple, que nous pouvons tous juger de ce qui est bien et de ce qui est mal; prononcer qu'il y a des pouvoirs légitimes et des pouvoirs usurpés, des lois justes et des lois iniques, des nations et des individus.

Et, sans la morale, que deviendrions-nous bientôt, nous et le genre humain !

Il n'y aurait plus de place pour la liberté parmi les hommes; car celui qui ne sait pas distinguer le bien du mal, celui-là ne peut choisir. Le libre arbitre serait chez lui comme s'il n'existait pas. Gouverné comme une bête par ses seuls instincts, il n'aurait ni motif pour leur résister, ni moyen même pour s'apercevoir qu'il leur obéit.

Il n'y aurait plus ni devoirs, ni droits; car c'est de la définition du bien et du mal qu'émanent et le devoir et le droit. Or, sans connaissance du bien, sans définition du mal, en un mot, sans devoirs et sans droits, il n'y a pas de société possible; il n'y a pas même de société imaginable. Tout ce que nous venons de dire est vrai; il semble que tout homme franc, chez lequel l'égoïsme n'a pas étouffé le sens social, doive s'incliner avec nous devant cette autorité suprême, la seule qui soit impersonnelle sur terre, conservatrice du genre humain, unique garantie de notre propre existence, source de toute justice, recours des opprimés, souveraine raison du peuple.

Il n'en est point ainsi cependant; il est aujourd'hui des hommes qui se disent convaincus et dévoués, qui le sont quelquefois peut-être, et qui hautement refusent à la morale cette souveraineté suprême et absolue que les siècles lui ont reconnue et que le peuple lui conserve. Audessus d'elle ils placent une science; celle-ci à leurs yeux est principe; Ja morale est conséquence.

Voici donc de gens qui, de leur autorité privée, repoussent ce que dix-huit cents ans ont eu peine à établir, savoir: le moyen et le droit pour tous de distinguer le bien du mal; qui s'approprient, en un mot, cette connaissance que Dieu a voulu rendre commune.

Ainsi ces gens veulent une seconde fois diviser l'espèce humaine en deux classes, les voyans et les aveugles, les possesseurs et les possédés, les savans et les esclaves; car la science ne peut être jamais qu'une chose individuelle; et lorsqu'on affirme qu'elle est maitresse de la morale, on déclare que le savant est le suprême régulateur de celle-ci.

Or, nous le demandons, n'est-ce pas sur ce principe que fut établi le

système des castes qui gouverna si long temps l'espèce humaine, et règne encore aux Indes et en Chine?

Certes, cette doctrine est sans danger; cette tentative sera repoussée; elle ne perdra que ses auteurs. La conscience populaire, le sens du genre humain nous en sont garans.

Quelle prétention monstrueuse en effet ! ils invoquent leur science, et ils ne sont point savans, ils ne savent que la science qu'ils se sont faite à eux-mêmes. Ils ignorent la vraie science, celle qui commandera toujours et le respect et la confiance, parce que, fidèle à la loi chrétienne qui la nourrit, dévouée au bien-être des hommes, elle fut et sera encore feconde en bienfaits réels et profitables.

Aussi la preuve la plus grande, la plus positive de leur ignorance est leur assertion même; car il est faux, il est impossible, en raison et en histoire, que la science soit ou ait été jamais antérieure à la morale.

On entend par science l'art de prévoir, c'est-à-dire, l'art de la méthode, c'est-à-dire, l'art d'atteindre un but par des moyens matériels; c'est la série des propositions par lesquelles on passe de la considération du but aux moyens, du but à sa réalisation. Toujours donc la connaissance du but préexiste au raisonnement même par lequel on cherche à l'accomplir; sans but point de raisonnement, point de science. Or, qu'est-ce que le but parmi les hommes? Est-ce autre chose que la morale dont on tente incessamment d'établir le règne? Est-ce par exemple autre chose aujourd'hui que la doctrine chrétienne?

Et, en effet, si nous consultons l'histoire, nous demanderons où est le peuple chez lequel la science ait préexisté à la morale; partout, et dans tous les temps, nous voyons que les nationalités sont constituées par la volonté du but, et que ce bat est une morale. La science ne vient que quelques siècles plus tard. Arrière donc toutes ces prétentions individuelles qui viennent s'inscrire en faux contre les croyances du genre humain et l'éternelle vérité.

La morale règle les sciences physiques aussi souverainement que la science sociale; il suffit d'un raisonnement bien simple pour comprendre comment. Raisonnons donc.

Le genre humain est fonction de l'univers, autrement il n'existerait pas. Dans l'état phénoménal actuel, il en est certainement une partie essentielle. Or, les choses étant ainsi, il est impossible d'admettre que la loi de l'une des fonctions du monde, la loi suprême du genre humain, sa morale, soit contraire à la loi générale des fonctions de l'univers. Il faut, an contraire, affirmer, sous peine de tomber dans l'absurde, que notre loi particulière est conforme à celle qui règle toute la nature. Il y a mévitablement à conclure de là que nous possédons dans la connaissance de la morale un guide immanquable et sûr pour conduire nos recherches sur toutes les fonctions spéciales, dont l'ensemble constitue l'univers. La loi, qui est vraie vis-à-vis d'une fonction, est également vraie vis-à-vis de toutes les autres. Ainsi, le raisonnement le plus élevé et le plus abstrait que l'on puisse faire sur les choses nous donne pour conclusion cet

« PreviousContinue »