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tionale; mais ils étaient peu nombreux. D'après une lettre de Pétion, du 17 juillet, le chiffre des fédérés inscrits n'était que de deux mille neuf cent soixante, dont deux mille trente-deux se disposaient à se rendre au camp qu'on projetait à Soissons. Il faut dire cependant qu'il y en avait beaucoup qui ne s'étaient pas encore présentés à la municipalité, ainsi que le remarque le maire de Paris. Mais en supposant que ces derniers fussent en nombre égal aux premiers, il n'en résultait pas encore une masse très-imposante. Voici, au reste, quelques mots de discussion qui eurent lieu à ce sujet à l'assemblée nationale.

Lettre de M. Pétion, transmise par le ministre de l'intérieur.

[ L'assemblée nationale a voulu être instruite du nombre des fédérés qui se rendraient à Paris pour aller à Soissons; ce nombre est peu considérable. Le projet d'une fédération générale a fait naitre une opposition momentanée entre les deux pouvoirs; et cette contrariété a jeté les esprits dans un état de doute et d'indécision. Il est des parties de l'empire où les défenses ministérielles ont produit un tel effet, que l'envoi postérieur de la loi n'a pu arrêter l'idée que Paris est dans un état d'agitation perpétuelle, et menacé d'un bouleversement prochain. Cette idée, répandue avec affectation, a pu retenir une partie des pères de famille qui envoyaient leurs enfans. Les départemens de nos frontières menacées ont gardé dans leur sein beaucoup de gardes nationales pour leur défense particulière. Un grand nombre de braves gardes nationales se trouvent dans nos armées, et enfin, les habitans des campagnes sont occupés de leurs moissons, ou touchent au moment de les faire. De sorte que le relevé des états, jour par jour, ne porte jusqu'à présent les fédérés qu'à deux mille neuf cent soixante, dont deux mille trente-deux se disposent à se rendre au camp de Soissons. Parmi les gardes nationales venues à Paris, il en est aussi qui ne se sont pas fait inscrire.

M. Carnot le jeune. Je demande que l'état des citoyens qui se

sont engagés à servir au camp de Soissons, soit consigné dans le procès-verbal de ce jour.

Cette proposition est adoptée.

M. Choudieu. Je dois observer à l'assemblée qu'une des raisons qui ont empêché un grand nombre de citoyens de se rendre à Paris, c'est qu'on n'a pas pris les moyens suffisans pour les défrayer sur la route. Vous avez bien décrété qu'il serait mis un million à la disposition du ministre de l'intérieur; mais vous n'avez pas déterminé que le ministre ferait répartir cette somme entre les différens départemens. J'observe que, dans le département de Maine-et-Loire, il s'est présenté un très-grand nombre de citoyens pour venir à Paris, et que les corps administratifs n'ont pas ose prendre sur eux de leur donner des fonds; j'observe encore que, de la ville d'Angers seulement, cent gardes nationales sont arrivées, et ne l'ont pu faire que parce que les amis de la Constitution de la même ville (cette société de factieux) leur ont donné à chacun 30 livres. Si vous n'ordonnez point au pouvoir exécutif de répartir des fonds dans les départemens, vous n'aurez personne.

.M. Cambon. Déjà ce que demande M. Choudieu a été décrété. Dans le décret qui met un million à la disposition du ministre de la guerre, il est stipulé que ce million servira à payer le séjour des volontaires nationaux, à raison de 50 sous par jour, et à leur payer leurs frais de route à raison de 5 sous par lieue de poste. Il est autorisé à rembourser les administrations qui en auront fait les avances. Ainsi tout est prévu; à la vérité, ce décret n'a pas été connu. Il y a beaucoup de pays où l'on a mis une grande opposition à ce décret; mais dans nos pays méridionaux les administrations, jalouses d'être utiles à la patrie, et de lui procurer des défenseurs, ont eu soin, non-seulement de donner 50 livres à chaque volontaire; mais elles ont en même temps exigé, que ceux qui se rendraient aux frontières fussent tenus chacun d'avoir leur habit, et un fusil du calibre de 1777; c'est-à-dire que l'Hérault vous envoie trois cents hommes équipés, habillés, armés, et, j'ose le dire, en état de tenir la ligne.]

Malgré l'attente et les doutes sinistres, la fête, comme toute fête, fut paisible. Les intentions de tous les partis, quelles qu'elles fussent, s'éteignirent dans la tranquillité de la masse des curieux. La fête de la fédération, disait le lendemain la Gazette de France, a eu lieu dans l'ordre et avec les cérémonies indiquées. La sérénité du ciel, l'affluence des spectateurs, la présence de toutes les autorités constituées, le concours de nos frères d'armes venus des départemens, le calme du peuple enfin, tout a contribué à rendre cette fête imposante. Nos ennemis n'apprendront pas sans douleur et sans crainte, cette réunion en un même lieu, de cinq cent mille Français de tout âge, de toutes conditions, ne formant qu'un seul vou, celui de vivre libres ou de mourir. (Gazette, n. CX, 1792.)

«La fête, disait Carra, a complétement démontré aux aristocrates, aux Feuillans, aux valets de cour et à leurs petits écrivains, que tous les efforts qu'ils font pour royaliser, endormir et tromper le peuple sur ses intérêts les plus chers, sont absolument inutiles. Puisqu'ils appellent factieux tous ceux qui ne connaissent d'autre divinité que la liberté, ils ont pu se convaincre hier, dans tout Paris, que la capitale seule contient un million de factieux; car les seuls cris qu'on ait entendus dans toutes les rues où passait le cortège et dans le Champ de la Fédération sont: vive la nation! vive la liberté ! vive Pétion! vivent les bons députés ! Nul n'a osé balbutier un seul de ces refrains si chers aux esclaves de la cour...

› Dès les cinq heures du matin, les six légions de Paris, les fédérés des départemens, la gendarmerie à pied et à cheval, et les troupes de ligne qui sont à Paris, s'étaient rendus sur le boulevart, depuis la place de la Bastille jusqu'à la porte Saint-Martin. Une foule de citoyens armés de piques étaient mêlés dans les rangs ; et comme la réintégration de M. Pétion avait rempli tous les coems d'allégresse, presque tous avaient écrit sur leurs chapeaux avec de la craie, vive Pétion! Dans la matinée, une députation de l'assemblée nationale s'est rendue sur la place de la Bastille, et on a posé la première pierre de la colonne de la Liberté. Après cette cérémonie, le cortége a commencé à défiler pour se rendre

au Champ de la Fédération. Outre les citoyens-soldats et les soldats-citoyens, on voyait dans ce cortége imposant les veuves des citoyens morts à la prise de la Bastille, les présidens et commissaires des sections, les membres des tribunaux, les officiers municipaux, etc. Des enfans brûlaient, pendant la marche, des parfums sur un autel placé devant eux.

› La Déclaration des Droits de l'homme était peinte sur deux grandes tables et portée sur un brancard par des hommes.

› Le modèle de la Bastille, porté de même par des citoyens, était environné de ci-devant gardes-françaises avec leur ancien uniforme.

› La statue de la Liberté placée sur un brancard était entourée d'hommes armés de lances.

› Le glaive de la loi, sur une table couverte par un crêpe, porté par des hommes vêtus en noir, couronnés de cyprès.

› Des hommes ornés de couronnes de pampre et d'épis de blé, portaient sur une table des houppes de gerbes de blé, des branches d'arbres chargées de fruits, des instrumens aratoires, des faisceaux de fusils, de sabres, et au milieu une figure représentant la souveraineté nationale.

› Une statue représentant la loi était aussi portée sur un brancard.

› Ces statues et ces emblèmes étaient distribués par ordre dans chacune des six légions qui toutes étaient précédées par une musique militaire. Les membres de l'assemblée nationale fermaient la marche.

» Le cortége n'a été rendu au Champ de la Fédération qu'à près de cinq heures du soir. Voici la décoration de cette place.

› Il y avait sur le bord de l'eau cinquante-quatre pièces de canon; le pourtour des glacis était orné par quatre-vingt-trois tentes surmontées de banderolles tricolores.

› En face de l'autel, du côté de la ville, sur le glacis, on avait dressé une grande tente pour l'assemblée nationale, le roi et le tribunal de cassation.

> Du côté opposé, une autre tente pour les notables, les

présidens, les commissaires de sections, et les corps administratifs.

› Dans l'enceinte du Champ, on avait formé, à une distance des glacis, une contre-allée par quatre-vingt-trois arbres portant chacun le nom d'un département sur une banderolle tricolore surmontée du bonnet de la Liberté.

L'autel de la patrie était formé par une colonne tronquée garnie de guirlandes de chêne.

> Sur un des terre-plains circulaires de l'autel, on avait placé un socle qui servait à poser la statue de la Loi; autour il y avait des banquettes pour placer les juges des tribunaux.

Sur une autre partie du même terre-plain étaient des banquettes pour placer les juges de paix et commissaires de police; au bas des degrés, le glaive de la loi était devant eux, sur un socle.

› A l'autre face, les municipalités; au bas d'elles le groupe qui les avait précédées.

› A une certaine distance de l'autel de la patrie, du côté de l'eau, on avait élevé un grand arbre, aux branches duquel étaient suspendus, en forme de guirlandes, des écussons, des casques, des cordons d'ordres supprimés, entrelacés avec des chaînes; au pied de cet arbre était dressé un bûcher couvert de tapis, de couronnes de toutes espèces, de chaperons, d'hermines, de bonnets doctoraux, de titres de noblesse et de sacs de procédure.

› Du côté opposé et à la même distance de l'autel, était élevée une pyramide environnée de cyprès et de lauriers; sur l'un des côtés on lisait: Aux citoyens morts pour la patrie aux frontières; sur l'autre côté : Tremblez, tyrans, nous nous levons pour les venger.

Au bas d'une des faces de l'autel, vis-à-vis de l'assemblée nationale, était l'orchestre pour la musique; sur les quatre angles de l'autel, quatre cassolettes pour brûler des parfums.

› Le cortège, arrivé au Champ de la Fédération par le milieu du côté de l'École-Militaire, est descendu à droite et à gauche entre

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