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tous les amis de la chose publique. (On applaudit.) Comme vous ne voulez pas sans doute les laisser jouir du triomphe momentané qu'ils viennent de remporter ; comme on est parvenu à égarer les citoyens de Paris au point que quelques-uns ont montré de la répugnance à fraterniser avec leurs frères des autres départemens; comme on a porté la scélératesse jusqu'à employer des moyens aussi infâmes, vous devez récompenser le ministre qui a eu le courage de braver, pour le salut public, les cris de la malveillance; vous devez distinguer sa conduite politique de la gestion particulière des affaires et des deniers de son administration; et vous yous rendriez, j'ose le dire, complices de ces trames odieuses, si vous ne lui témoigniez vos regrets de le voir victime de ces abominables complots. (On applaudit.) C'est à ces divers motifs que j'appuie la proposition de M. Dussaulx.

L'ajournement est écarté par la question préalable.

L'assemblée décide presqu'à l'unanimité et au bruit des applaudissemens de tous les spectateurs, que M. Servan, ministre de la guerre, emporte l'estime et les regrets de la nation.

Elle l'autorise à se rendre à l'armée, après avoir remis son compte.

M. le président annonce qu'il vient de recevoir une lettre du roi. M. Guyton-Morveau. Parmi les motifs qui ont été allégués dans cette discussion, il en est un qui doit vous décider à envoyer dans les quatre-vingt trois départemens le décret que vous venez de rendre. A force d'entraves, on cherche à faire croire qué la machine politique ne peut aller telle qu'elle est organisée; il est temps que vous appreniez que si elle ne marche pas, c'est qu'on veut des ministres qui ne la fassent point marcher.

L'assemblée applaudit et ordonne l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens, du décret rendu pour M. Servan.

Un de MM. les secrétaires lit la lettre du roi.

« Je vous prie, monsieur le président, de prévenir l'assemblée nationale que je viens de changer les ministres de la guerre, l'intérieur et des contributions publiques, et de les remplacer le premier par M. Dumourier, le second par M. Mourgues; je n'ai

pas encore remplacé le troisième; M. de Neillac, ministre aux Deux-Ponts, remplace M. Dumourier aux affaires étrangères.

Je veux la Constitution, mais avec la Constitution je veux l'ordre et l'exécution des lois dans toutes les parties de l'administration, et tous mes soins seront constamment dirigés à les maintenir par tous les moyens qui seront en mon pouvoir.

› Signé, Louis; contre-signé, DURANTHON. › On fait lecture de deux lettres, l'une de M. Clavière et l'autre de M. Roland.

Lettre de M. Clavière.

› F'ai l'honneur d'informer l'Assemblée nationale que j'ai réçu ordre du roi de remettre à M. le ministre de la justice, le portefeuille des contributions publiques; je vais m'occuper du compté qui me reste à rendre à l'Assemblée nationale.

› je rentre dans mon état avec la satisfaction de l'honnête homme, celle d'avoir consacré tous les momens de ma courte administration à mériter l'estimé des bons citoyens, et d'avoir entrevu qu'il n'y a, dans le département dont j'étais chargé, aucon obstacle dont on ne puissé espérer de triompher avec du zėlė, de l'assiduité et le soin de faire parler la raisofi. (On applaudit.) s CLAVIÈRE.

Lettre de M. Roland.

L'espoir de concourir au bien de l'état avait pu seuf déterminer des citoyens patriotes à accepter le fardeau du ministère dans ces temps orageux. Cet espoir était fondé sur la conformité des principes qui paraissaient animér également tous les membres du conseil. Dévoué sans réserve au bien public, je me suis efforcé de remplir l'honorable tâche qui m'était imposée. Je reçois en ce moment l'ordre du roi de remettre le portefeuille de l'intérieur à M. Mourgues. Je me retire avec ma conscience et tranquillement appuyé sur elle. Mais je dois à l'assemblée, à Topinion publique, communication d'une lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser au rơi, lundi dernier.

» La vérité dont je m'honore d'imprimer le caractère sur toutes mes actions, me l'avait dictée : c'est elle encore qui m'ordonne d'en faire part à l'assemblée. (On applaudit.) ROLAND.

On demande qu'il soit fait lecture de la copie de la lettre adressée au roi.

Cette proposition est adoptée.

Lettre écrite au roi par le ministre de l'intérieur, le 10 juin, l'an 4 de la liberté.

. SIRE,

› L'état actuel de la France ne peut subsister long-temps; c'est un état de crise dout la violence atteint le plus haut degré; il faut qu'il se termine par un éclat qui doit intéresser votre majesté, autant qu'il importe à tout l'empire.

› Honoré de votre confiance, et placé dans un poste où je vous dois la vérité, j'oserai vous la dire tout entière; c'est une obligation qui m'est imposée par vous-même.

› Les Français se sont donné une Constitution; elle a fait des mécontens et des rebelles; la majorité de la nation la veut maintenir; elle a juré de la défendre au prix de son sang, et elle a vu avec joie la guerre qui lui offrait un grand moyen de l'assurer. Cependant la minorité, soutenue par des espérances, a réuni tous ses efforts pour emporter l'avantage. De là, cette lutte intestine contre les lois; cette anarchie dont gémissent les bons citoyens, et dont les malveillans ont bien soin de se prévaloir pour calomnier le nouveau régime. De là, cette division partout répandue, et partout excitée, car nulle part, il n'existe d'indifférens; on veut, ou le triomphe ou le changement de la Constitution; on agit pour la soutenir ou pour l'altérer. Je m'abstiendrai d'examiner ce qu'elle est en elle-même, pour considérer seulement ce que les circonstances exigent; et me rendant étranger à la chose, autant qu'il est possible, je chercherai ce que l'on peut attendre et ce qu'il convient de favoriser.

› Votre majesté jouissait de grandes prérogatives qu'elle croyait appartenir à la royauté. Elevée dans l'idée de les conserver, elle n'a

pu se les voir enlever avec plaisir ; le désir de se les faire rendre était aussi naturel que le regret de les voir anéantir. Ces sentimens, qui tiennent à la nature du cœur humain, ont dû entrer dans le calcul des ennemis de la révolution. Ils ont donc compté sur une faveur secrète, jusqu'à ce que les circonstances permissent une protection déclarée. Ces dispositions ne pouvaient échapper à la nation elle-même, et elles ont dû la tenir en défiance. Votre majesté a donc été constamment dans l'alternative de céder à ses premières habitudes, à ses affections particulières, ou de faire des sacrifices dictés par la philosophie, exigés par la nécessité, par conséquent d'enhardir les rebelles en inquiétant la nation, ou d'apaiser celle-ci en vous unissant avec elle. Tout a son terme, et celui de l'incertitude est enfin arrivé.

› Votre majesté peut-elle aujourd'hui s'allier ouvertement avec ceux qui prétendent réformer la Constitution, ou doit-elle généreusement se dévouer sans réserve à la faire triompher? Telle est la véritable question dont l'état actuel des choses rend la solution inévitable.

› Quant à celle, très-métaphysique, de savoir si les Français sont mûrs pour la liberté, sa discussion ne fait rien ici, car il ne s'agit point de juger ce que nous serons devenus dans un siècle, mais de voir ce dont est capable la génération présente.

› Au milieu des agitations dans lesquelles nous vivons depuis quatre ans, qu'est-il arrivé? des priviléges onéreux pour le peuple ont été abolis; les idées de justice et d'égalité se sont universellement répandues; elles ont pénétré partout : l'opinion des droits du peuple a justifié le sentiment de ces droits; la reconnaissance de ceux-ci, faite solennellement, est devenue une doctrine sacrée ; la haine de la noblesse, inspirée depuis long-temps par la féodalité, s'est invétérée, exaspérée par l'opposition manifeste de la plupart des nobles à la Constitution qui la détruit.

» Durant la première année de la révolution, le peuple voyait dans ces nobles des hommes odieux par les priviléges oppresseurs dont ils avaient joui, mais qu'il aurait cessé de haïr, après la destruction de ces priviléges, si la conduite de la noblesse, depuis

cette époque, n'avait fortifié toutes les raisons possibles de la redouter et de la combattre comme une irréconciliable ennemie.

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› L'attachement pour la Constitution s'est accru dans la même proportion; non-seulement le peuple lui devait des bienfaits sensibles, mais il a jugé qu'elle lui en préparait de plus grands puisque ceux qui étaient habitués à lui faire porter toutes les charges, cherchaient si puissamment à la détruire ou à la modifier.

› La déclaration des droits est devenue un évangile politique; et la Constitution française une religion pour laquelle le peuple est prêt à périr. Aussi le zèle a-t-il été déjà quelquefois jusqu'à suppléer à la loi; et lorsque celle-ci n'était pas assez réprimante pour contenir les perturbateurs, les citoyens se sont permis de les punir eux-mêmes. C'est ainsi que des propriétés d'émigrés, ou de personnes reconnues pour être de leur parti, ont été exposées aux ravages qu'inspirait la vengeance; c'est pourquoi tant de départemens ont été forcés de sévir contre les prêtres que l'opinion avait proscrits et dont elle aurait fait des victimes.

› Dans ce choc des intérêts, tous les sentimens ont pris l'accent de la passion. La patrie n'est point un mot que l'imagination se soit complue d'embellir; c'est un être auquel on a fait des sacrifices, à qui l'on s'attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu'il cause; qu'on a créé par de grands efforts, qui s'élève au milieu des inquiétudes, et qu'on aime, autant par ce qu'il coûte que par ce qu'on en espère. Toutes les atteintes qu'on lui porte sont des moyens d'enflammer l'enthousiasme pour lai.

› A quel point cet enthousiasme va-t-il monter, à l'instant où les forces ennemies réunies au-dehors, se concertent avec les intrigues intérieures, pour porter les coups les plus funestes ?

› La fermentation est extrême dans toutes les parties de l'empire; elle éclatera d'une manière terrible, à moins qu'une confiance raisonnée dans les intentions de votre majesté ne puisse enfin la calmer. Mais cette confiance ne s'établira pas sur des protestations; elle ne saurait plus avoir pour base que des faits. › H est évident pour la nation française que sa Constitution

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