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notre vigilance; voilà les objets pour lequels nous devons réunir toutes nos forces. La patrie est en péril; c'est à elle, c'est à elle seule que nous devons désormais appartenir tout entiers.

Opposons aux ennemis du peuple la force imposante du vœu unanime de ses représentans.

Portons au roi les véritables sentimens de la nation française; qu'il apprenne de nous à quel point il est trompé, et par le parti de ses anciens ministres, et par ces conseillers plus secrets, dont ce parti n'est peut-être lui-même que l'instrument crédule.

Montrons-lui qu'il ne peut espérer de tranquillité ou d'honneur qu'en défendant franchement, hautement avec nous la cause de la liberté, qu'en unissant ses sentimens, et sa volonté aux sentimens, à la volonté de la nation.

Osons espérer encore qu'il sera touché des maux auxquels il expose la patrie, et que nous ne le trouverons pas insensible à a gloire de la sauver.

Projet de message au roi, lu par Condorcet, à la suite de son

discours.

Sire, les représentans du peuple ont juré de vous être fidèles; et ce serment ne peut être pour eux que celui de vous dire la vérité.

> En acceptant la constitution vous n'avez pu séparer les pouvoirs qu'elle vous donne des devoirs qu'elle vous impose; et l'obligation de désavouer par un acle formel toute force armée employée en votre nom contre la nation française est le premier et le plus sacré de ses devoirs.

Sire, c'est en votre nom que le roi de Hongrie et ses alliés nous ont attaqués; c'est en votre nom que des Français rebelles ont sollicité leurs secours, et s'unissent à eux pour déso'er leur patrie; et ces Français rebelles ce sont vos parens, vos courtisans, ce sont ces officiers déserteurs qui se vantent de ne voir la patrie que dans vous seul! Le premier de nos ennemis étrangers vous est attaché par les liens du sang; votre nom se trouve mélé à toutes les conspirations qui se trament contre la liberté; et,

lorsque des circonstances si multipliées, si effrayantes se réunissent contre la sûreté de l'État, des conseillers per fides oseraient-ils vous tromper au point de vous persuader que par la proposition de la guerre, par une tardive notification aux puissances étrangères, vous avez satisfait au vœu de la loi, et qu'un acte formel, qui serait démenti par votre conduite, suffirait pour remplir vos obligations et vos sermens?

› Non, Sire, cet acte formel, si toutes vos actions n'y répondent point, ne peut être regardé que comme un outrage de plus à la nation, comme la violation, et non comme l'accomplissement de la loi.

› Et cependant, Sire, où sont les marques de votre indignation contre les Français rebelles qui, au dedans comme au dehors de l'empire, abusent de votre nom?

> Ne vous êtes-vous point opposé par des refus de sanction aux mesures de vigueur que l'assemblée nationale avait cru nécessaire d'employer contre les conspirateurs? Ces émigrés, qui se vantaient de soutenir votre cause, se sont assemblés paisiblement sur nos frontières, sous les yeux des envoyés de France nommés par vous, et vous avez gardé le silence! Ces émigrés ont fatigué toutes les cours de leurs intrigues; et vos désaveux timides, si même ils existent, ont été moins publics que leurs machinations; et quand l'assemblée nationale, à qui vous aviez laissé ignorer les dangers de l'État, s'est réveillée au bruit menaçant des armes étrangères, qu'a-t-elle appris de vos ministres, sinon l'aveu de leur inaction et de la nullité de leurs préparatifs?

› Ce ministère, dont l'inertie coupable avait multiplié nos ennemis et atténué nos moyens de défense; ce ministère, qui ne cachait même ni son indulgence pour les fanatiques séditieux, ni ses ménagemens pour les rebelles de Coblentz, ni sa prédilection pour l'alliance autrichienne; ce ministère, forcé de céder à l'indiguation publique, n'a disparu qu'en apparence, et, par une lettre, qu'au moment de sa chute il a eu la perfidie de vous faire souscrire, vous vous êtes en quelque sorte déclaré son complice! Les ministres patriotes, qui voulaient que la tranquillite interieure

fût rétablie, qui demandaient une mesure de défense nécessaire à la sûreté de la capitale, à la vôtre, Sire, si les ennemis de la liberté sont aussi les ennemis du roi, ces ministres ont été renvoyés et remplacés par des hommes en qui la nation ne peut voir que les créatures de ce ministère corrompu, déjà réprouvé par elle.

› La France n'est pas tranquille... Mais, Sire, pourquoi, au lieu de ne voir dans ces mouvemens irréguliers des citoyens que les justes inquiétudes d'un peuple généreux qui craint pour sa liberté, vous fait-on parler le même langage que nos ennemis, et travestir en faction la réunion des Français dans le saint amour de l'égalité et de la liberté?

Pourquoi, lorsque éclairés sur l'esprit vraiment factieux que l'on avait su répandre dans votre garde, vous avez sanctionné le décret qui en ordonnait le licenciement, vous a-t-on fait approuver en quelque sorte, par un acte contraire à la loi, les mêmes manœuvres que vous aviez flétries par un autre acte revêtu des formes légales? Pourquoi, lorsqu'un général vient, au mépris des luis, parler aux représentans de la nation au nom de son armée, êtes-vous encore le prétexte de cet outrage à la souveraineté du peuple?

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Pourquoi, lorsqu'un de ces mouvemens, souvent utiles dans un temps de révolution, irréprimables sous une constitution libre, a troublé votre repos pendant quelques heures ; lorsque votre courage, calme, inaltérable, vous montrait à la France digne de commander aux orages populaires et d'entendre la voix de la raison, avez-vous dès le lendemain abdiqué ce grand caractère pour vous montrer, au gré de vos lâches conseillers, l'accusateur de ceux que vous aviez accueillis, le dénonciateur de ceux dont vous aviez accepté les secours (1)? Pourquoi n'avez-vous pas voulu continuer d'être vous-même ? Pourquoi, lorsque vous aviez bravé au moins l'apparence du danger, avez-vous attendu le moment où elle n'existait plus pour donner aux nations étrangères

(1) « Ces reproches ont trait à la suspension du maire et du procureur de la

commune. »

comme à nos armées l'idée d'une contrainte imaginaire, et préparer un prétexte aux entreprises des ambitieux comme au machiavélisme des tyrans?

Vous vous plaignez, Sire, du peu de confiance du peuple... Réfléchissez sur cette conduite que des perfides vous ont inspirée, et prononcez entre vous et lui.

› Choisissez, Sire, entre la nation qui vous a fait roi, et des factieux qui se disputent le partage de votre pouvoir. Que la cabale de vos anciens ministres s'éloigne de vous; que ces confidens sccrets qui vous donnent des conseils plus dangereux encore, cessent de menacer la liberté; que la révolution qui s'est opérée dans l'empire français se fasse enfin dans votre cour; que l'égalité constitutionnelle y remplace l'orgueil féodal; que les familles des rebelles ne remplissent plus votre palais; qu'elles ne soient plus l'unique société des personnes qui vous sont chères; que des patriotes forment seuls votre conseil, et que ce conseil public ait seul votre confiance!

› Vos esclaves vous diront que ces hommes indiqués par l'opinion nationale ne seront pas attachés à votre personne, qu'ils seront les officiers du peuple et non les serviteurs du roi... Mais, Sire, tous vos intérêts personnels, celui de votre repos, celui de votre gloire, ne sont-ils pas liés à la cause de la liberté? Quel serait donc votre sort dans la France triomphante et libre malgré vous? Et si nous succombions sous tant d'ennemis conjurés, quel serait encore votre sort dans la France sanglante et démembrée, qui vous accuserait seul de ses malheurs et de ses pertes?

› Parmi les causes des troubles qui nous agitent, la voix publique a placé depuis long-temps l'usage honteux et funeste que de lâches corrupteurs osent faire de votre liste civile: cette voix peut se tromper; mais tant que le soupçon subsiste la confiance ne peut naître, et c'est uniquement en publiant l'emploi sans doute légitime de ce trésor dangereux que vous pouvez la reconquérir.

› Votre conscience, Sire, doit rester libre; mais si elle vous

attache à un culte dont les ministres ont inondé la France de conspirateurs, si elle vous attache à un culte dont les docteurs ont tant de fois fait un devoir de la trahison et du parjure; si elle vous attache à un culte dont les prétendus outrages sont aussi un des prétextes de nos ennemis, croira-t-on que vous avez rempli le devoir imposé par la loi au roi des Français, quand des prétres fanatiques cabalent dans votre palais, quand vos refus répétés anéantissent tous les moyens de prévenir ou de réprimer leurs fureurs?

Nous vous avons rappelé, Sire, les obligations sévères auxquelles la Constitution vous a soumis lorsque les ennemis perfides s'armeraient en votre nom contre la liberté, et vous vous épargnerez sans doute la douleur de vous y trouver iufidèlé. › L'assemblée ordonna l'impression du discours et du projet de Condorcet.

Tel était l'état auquel en peu de jours était parvenue la discussion. Ainsi, à mesure que les orateurs se succédaient å la tribune, la situation politique devenait plus nette; lá fausse pösition du roi entre l'étranger qui venait défendre sa cause personnelle, et les Français qui allaient combattre contre elle, en sauvant le sol de la patrie de l'invasion austro-prussienne, et de celle de la noblesse émigrée; cette fausse position devenait plus apparente. Cette franchise effraya vivement là cour, et l'ou chercha les moyens de la faire cesser. On imagina le moyen d'un coup de théâtre, que nous allons voir se développer dans la séance qui suit. L'assemblée céda à un premier mouvement d'entraînement, qui aurait eu peut-être pour résultat d'ajourner à une époque plus éloignée la déclaration du danger de la patrie. Quelles eussent été les suites d'un si in empestif ajournement? Il n'est guère possible de le deviner; mais à coup sûr elles eussent été lâcheuses pour la France; elles eussent donné quelques jours de plus aux succès de nos armées coolisées qui allaient franchir les frontières. Mais un défaut dé pré

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