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que le bon parti se trouve entre celui de la cour et celui de l'assemblée nationale. Que les ministres patriotes tombent, comme cela vient d'arriver; alors, entre les mains de ceux qui leur succèdent, cette armée devient, par de perfides suggestions, un moyen d'opprimer la liberté. Je ne voulais et je ne proposais que les gardes françaises et les soldats persécutés.

M. Tallien. J'engage M. Robespierre à nous indiquer les moyens de parer aux dangers où nous nous trouvons. »

M. Robespierre. Je vais continuer mon opinion avec la liberté qui convient à tous les membres de cette société. — Après avoir rendu hommage aux ministres, après avoir développé les raisons d'une opinion pour laquelle on m'a calomnié, je vais passer à d'autres considérations.

› Voici donc un ministre patriote renvoyé. Quels sont les moyens de relever la chose publique? je l'ai déjà dit : c'est par une sévère impartialité, par de l'énergie. Je crois qu'une des principales causes de nos maux a été de nous égarer par des circonstances particulières. Nous en avons un exemple frappant dans la conduite de l'assemblée constituante. Vous avez vu la faction Lameth s'endormir jusqu'au moment où elle se proposa de faire renvoyer des ministres, bien détestables il est vrai, tels que Guignard, Latour-du-Pin. Alors elle se rendit dans cette société, échauffa les esprits et parvint à son but. Ensuite elle se rendormit jusqu'au moment où elle finit par trahir la cause du peuple depuis que je parle j'ai développé le parti qu'il faut adopter, lorsque j'ai dit que ce n'est pas au renvoi d'un ministre qu'il faut s'attacher, mais au salut de l'empire, mais à l'assemblée nationale. (Tumulte.)

M. Santerre. Je demande qu'à chaque séance M. Robespierre soit tenu de parler au moins trois fois pour chasser tous les Feuillans.

M. Robespierre. S'il n'est question que des ministres je quitte la tribune; s'il s'agit de la chose publique je demande la parole. Plusieurs voix. Courage, Robespierre! ›

M. Robespierre, Je dis que le salut public repose principale

ment, non pas sur le caractère des ministres que la cour peut renverser aussi souvent qu'il lui plaît, mais sur l'énergie et le patriotisme de l'assemblée nationale. Ce principe seul suffit pour indiquer la route qui doit être suivie. L'exemple de ce matin le confirme. Dès que l'assemblée nationale a appris le renvoi des ministres patriotes, elle a pris un grand caractère. Ceux qui lui ont donné cette impulsion pourront le faire toutes les fois que les patriotes seront persécutés, que la liberté de la presse sera violée ; toutes les fois que les aristocrates léveront la tête et se permettront de nouveaux attentats; toutes les fois que la voix du peuple sera méprisée. Faut-il que le ministère soit jacobin, pour que nous n'ayons rien à appréhender? Non, cela ne suffit pas; il y a plus je suppose d'un côté un ministère sans patriotisme, et de l'autre une assemblée patriote; je dis que dans ce cas la liberté ne courrait aucun danger. Je vais plus loin : ce ministère jacobin peut devenir un moyen d'empêcher la surveillance; ce peut être un véritable poison pour le patriotisme. Lorsqu'un ministère est patriote ou présumé l'être, alors les députés peuvent trop se reposer sur des agens qui ont leur confiance. En effet, je vois maintenant s'élever contre certains ministres, des députés patriotes qui dans une foule de leurs feuilles disaient : le patriote Dumourier. Examinez ce qu'ils en disent à présent. Pourquoi donc louer les ministres lorsque l'on est si peu sûr de leur patriotisme?

M. Lasource. « Je vois avec douleur que nous ne ferons rien dans cette séance, ›

M. Robespierre. Je prouvais que les représentans de la nation devaient attacher beaucoup moins d'importance au ministre qu'au patriotisme de l'assemblée nationale. Je dis que lorsqu'ils ont fait leur devoir ils n'ont rien à craindre, parce que la nation se lève quand il le faut (Applaudi.); mais qu'au contraire lorsqu'on oublie ces principes, les fautes les plus funestes en résultent. Je le demande, depuis que Narbonne a quitté le ministère, les patriotes ont-ils été moins persécutés? Non sans doute, parce que l'assemblée nationale ne force pas assez les ennemis de la liberté à res

pecter la déclaration des droits. En veut-on des exemples: personne ne me contestera qu'au sein de l'assemblée nationale la liberté de la presse n'ait été violée; personne ne me contestera que la liberté individuelle ne soit attaquée par des agens audacieux; personne ne me contestera que dans les départemens on ne cherche à semer la discorde et à étouffer la semence des bons principes; personne ne me contestera que, pour la première fois depuis deux jours seulement, le patriote Laveaux a occupé quelques patriotes de l'assemblée nationale; et cependant les persécutions qu'a éprouvées la société de Strasbourg prouvaient assez que Diétrick était l'homme le plus abominable. Personne ne me contestera que des honneurs n'aient été rendus à Simonneau, et que ceux qui sont morts devant Mons et Tournay n'aient été oubliés ; que les soldats de ChâteauVieux n'ont pas même attiré l'attention de l'assemblée nationale; que la maîtresse de Dillon n'ait été traitée comme la veuve de J.-J. Rousseau;. personne ne me contestera que les gardes-françaises n'ont pas été rappelées ni que les soldats persécutés ue gémissent encore dans l'oppression; personne ne me contestera que le patriotisme n'ait pas été persécuté à Avignon; que les héros et les martyrs de la liberté, les deux commissaires envoyés par les Marseillais n'aient pas été mandés à la barre; que les Marseillais eux-mêmes n'aient pas éprouvé mille dégoûts.

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« C'est en vain que le ministère serait patriote si la liberté n'est pas ménagée par l'assemblée nationale. Quelles conclusions tirer de là? C'est qu'elle doit moins s'occuper du renvoi de M. Servan que s'attacher à faire respecter la liberté, à soutenir les malheureux persécutés. Voilà ce qu'il faut faire, sinon les patriotes ne seront pas moins exposés à mille dangers. Vous avez un ministère suspect: eh bien! cela vous tiendra éveillés. (Applaudissemens.) Au lieu que si par hasard un ministre d'abord patriote s'écartait dans la suite de la route de la liberté, alors tous ceux qu'il aurait pu séduire se verraient entraînés. Savez-vous ce qui affaiblit la cause du patriotisme? C'est la désunion des patriotes, c'est lorsque une partie d'entre eux s'attache aux personnes, et l'autre aux choses; c'est lorsque les uns s'attachent aux mi

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nistres, qui sont passagers, et les seconds aux principes, qui ne varient jamais; c'est lorsque les premiers ne font qu'attaquer des patriotes, et se discréditent ainsi aux yeux de la nation. Actuellement ils sont obligés de passer condamnation sur Narbonne; ils seront peut-être obligés de le faire pour un général plus important, et encore pour un ministre.

J'espère que nous allons tous nous rallier aux principes, et qu'oubliant des injures personnelles nous allons défendre la cause du peuple. Pour moi, je crois que ceux qui ont envoyé, sous le couvert des ministres...

M. le président. La société engage M. Robespierre à vouloir bien être le seul qui ne s'occupe pas de lui. ›

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M. Robespierre. Je déclare que si les personnes que je viens de désigner veulent se réunir aux patriotes, et particulièrement à moi. (Ah! ah! Tumulte.) Remarquez bien, messieurs, que c'est d'une réconciliation patriotique que je parle, et que c'est me chicaner sévèrement que de m'interdire de parler des objets de cette réconciliation. Je déclare que s'ils veulent se réunir sincèrement à nous pour soutenir les principes, alors, comme M. Merlin et comme tous les bons citoyens, j'ensevelirai dans l'oubli le système de la plus affreuse diffamation qui ait jamais été inventé. Mais si ces personnes continuent à me dénoncer comme membre du comité autrichien, s'ils marchent sur les traces de M. La Fayette, qui a écrit une lettre où la calomnie perce à chaque phrase, alors la paix deviendrait impossible. (Tumulte.) Ce bruit vous prouve, messieurs, que le traité n'est pas conclu. Il n'est pas possible de faire triompher la liberté dans cette enceinte, lorsque à chaque instant on est interrompu.

Enfin, je le répète, le moyen de sauver la liberté, c'est d'éclairer l'opinion publique. Le moyen de la perdre est de lancer des calomnies contre ses plus zélés défenseurs. C'est en un mot la contre-partie de la révolution. C'est par des efforts semblables à ceux qu'a faits aujourd'hui l'assemblée nationale qu'elle peut sauver la patrie; ce n'est pas par des insurrections partielles, qui ne font qu'énerver la chose publique. Je vais faire ma pro

fession de foi: ériger l'assemblée législative actuelle en assemblée constituante, c'est tuer la liberté, Je sais bien que dans un temps où les principes domineraient dans toute leur pureté, où les fondateurs de la liberté seraient surpassés par leurs successeurs, les plus heureux effets devraient résulter de leurs efforts: mais dans un moment où tout est divisé d'intérêt, d'opinion, de système, vous n'avez pas un point de ralliement à espérer. Si la confusion augmente dans les sentimens et dans les principes, vers quoi donc pourra-t-on se tourner? Au lieu que tant que l'acte constitutionnel sera conservé, et avec lui les principes qui s'y trouvent consignés, nous serons assurés de la force de la loi. (Applaudi. ) Si vous détruisez la Constitution, alors l'assemblée législative ellemême ne serait plus; elle serait revêtue d'un pouvoir despotique. Ces inconvéniens sont déjà terribles; mais si un parti d'aristocrates, ou seulement de Feuillans, venait à dominer dans cette assemblée, alors la liberté serait perdue. Dans l'incertitude des principes, on répondrait à ceux qui les invoqueraient : Où sontils? vous n'en avez plus. L'assemblée nationale n'a donc d'autre mesure à prendre que de soutenir la Constitution? A-t-elle donné des preuves de plus de civisme que la première assemblée? Celleci n'a-t-elle pas surpassé celle-là, même dans sa décrépitude? Je dis done qu'il faut nous rallier autour de la Constitution. — Je combats, par le même principe, la proposition qui a été faite de demander au roi les motifs du renvoi de ses ministres. Car ensuite d'autres viendraient qui diraient : Nous avons autant de raisons pour modifier la Constitution. Au reste, nous n'avons rien à appréhender tant qu'il existera des sociétés patriotiques; et elles sont trop solidement établies pour qu'on puisse les renverser.

› Un député a dit qu'un parti lui avait proposé de se réunir aux meilleurs esprits de l'assemblée nationale. Il est de la première importance de faire connaître les auteurs de cette proposition. Je le somme de nous dire quels sont ceux qui la lui ont faite. Et certes, M. Lasource n'aurait pas perdu son temps s'il était demeuré, ne fût-ce que pour répondre à cette interpellation. J'espère que personne ne s'opposera à cette demande; et

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