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ET

SON AVENIR

PREMIÈRE PARTIE.

§ I. QU'EST-CE QUE LE PARTI LIBÉRAL?

Les élections de 1863 ont surpris des politiques habiles qui croyaient en avoir fini avec la liberté ; j'oserai dire qu'elles ne m'ont pas trop étonné; il y a longtemps que j'annonce la formation d'un parti libéral, longtemps que j'en appelle et que, dans la mesure de mes forces, j'en sers l'avénement. Nous vivons dans un pays où il ne faut jamais désespérer de l'avenir.

Au lendemain d'une révolution qui ne s'est pas faite au nom de la liberté, il n'y avait pas besoin d'être prophète pour prédire que dix ans ne se passeraient pas, sans que reparût à l'horizon, la liberté, plus belle et plus séduisante que jamais. Depuis 1789, combien de fois n'a-t-on pas proclamé que la France, revenue de ses folles erreurs, repoussait avec mépris les idées de la révolution, et combien de fois la France, donnant un démenti à de prétendus hommes d'État, n'est-elle pas revenue à la liberté avec un indomptable amour? Elle y est revenue après la chute de Robespierre, et sans les bassesses et les crimes du Directoire rien n'eût empêché la Constitution de l'an III de s'établir; elle y est revenue à la fin de l'empire, et Napoléon a été réduit à s'écrier que ce n'était pas la coalition des rois, mais les idées libérales qui le renversaient. La France y est revenue après les fureurs de la Chambre introuvable; elle lui a tout sacrifié en 1830; elle l'aimait encore en 1851, malgré les misères et la guerre civile de 1848; elle voulait l'ordre, sans doute, mais elle ne demandait pas à le payer au prix de la liberté. La constitution de 1852 a été faite sous l'empire de préventions et de craintes qui

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n'ont servi ni le gouvernement ni le pays; cette réaction n'était pas nécessaire; peut-être commence-t-on à le sentir aujourd'hui.

Qu'est-ce donc que ce parti libéral, qui, en 1863, comme en 1795, comme en 1814, semble sortir de terre, et qui dès le premier jour est soutenu et poussé par l'opinion? Est-ce une coalition des vieux partis? Est-ce la résurrection des choses et des hommes qui sont tombés en 1830 et en 1848? Non, les peuples ne retournent pas en arrière, le passé ne recommence pas. Les dynasties déchues reviennent quelquefois, nous en avons plus d'un exemple dans notre histoire; mais quand elles remontent sur le trône, c'est qu'elles ont changé de drapeau; c'est qu'on leur a laissé le privilége et l'honneur de représenter la liberté. En 1814, Louis XVIII rentrait comme frère et héritier de Louis XVI; mais le passé était un fardeau qui l'écrasait; ce qui faisait sa force, c'était de ramener avec lui les principes de 1789. La Charte était le programme de l'ancien parti constitutionnel; Mounier, Malouet, Clermont-Tonnerre, Malesherbes, Mirabeau, l'auraient signé. Ce qui a relevé la dynastie impériale, ce sont sans doute des souvenirs de gloire et de grandeur nationale; mais ces souvenirs mêmes sont un danger. La France de 1863 ne veut ni la guerre universelle, ni le régime de la police, ni l'étouffement de l'opinion, ni le système continental. Ce qu'elle attend du nouvel empire, c'est ce qu'on lui a promis à Bordeaux et ailleurs, c'est la paix, c'est le règne de la démocratie laborieuse et paisible, c'est le couronnement de l'édifice, c'est l'avénement d'une complète et féconde liberté.

Je reprends ma question. Qu'est-ce donc que le nouveau parti libéral? C'est un parti qui se forme peu à peu partout où une large fois que la France liberté n'occupe pas l'activité des citoyens. Chaque se jette aux extrêmes avec cette furie désespérée que nous avons héritée des Gaulois, nos ancêtres, il y a toujours un petit nombre d'hommes qui ne cède pas à l'entraînement de la foule, et qui reste fidèle au vieux drapeau. C'est autour de ces soldats d'arrière-garde que les fuyards se rallient, que les cœurs généreux se rassemblent. Chaque année y amène la jeunesse qui n'a ni les préjugés, ni les passions, ni les craintes de ses pères, et qui, de nature, aime la liberté. Le noyau grossit; ce qui n'était qu'un bataillon devient une armée. La veille on le dédaignait et on l'insultait, le lendemain on compte avec lui. Nous en sommes là. Parmi ceux qui affectent de nier l'importance des élections de Paris, il n'en est pas un peut-être qui doute que dans six ans ce parti aura la France avec lui et sera

la majorité. Y a-t-il là une menace de révolution? Pas le moins du monde; ce que demandent les libéraux est le commun profit de tous. On peut exécuter leur programme sans effrayer les intérêts légitimes, sans troubler la paix publique, sans affaiblir le gouvernement. N'est-ce pas tout au moins le premier germe d'une opposition qui, en grandissant, deviendra formidable? Oui et non; tout dépend de la politique que suivra le Pouvoir. Le nouveau libéralisme, formé des éléments les plus divers, se rattache, il est vrai, aux principes de 1789; mais comme parti politique, il n'a point de passé; ce n'est pas lui qui a été vaincu en 1830, ni en 1848; il n'a ni regrets, ni souvenirs, ni arrière-pensées; rien n'empêche le gouvernement de s'en proclamer le chef; aujourd'hui l'opinion n'en demande pas davantage. Dédaigné et repoussé, ce parti est un danger sans doute; accueilli et dirigé, c'est une force et un appui.

Essayons de tracer le nouveau programme libéral; on verra que rien n'est moins révolutionnaire. Ce qu'on demande, c'est la jouissance des libertés qui font la fortune et la grandeur des pays les plus moraux, les plus industrieux et les plus tranquilles. On n'est point un séditieux parce qu'on désire que la France ne le cède pas, je ne dis point seulement à l'Angleterre et aux États-Unis, mais à la Suisse, à la Belgique ou aux Pays-Bas.

Si ce programme paraissait un peu large et même un peu hardi à d'honnêtes gens qui auraient du goût pour les idées libérales, s'ils en avaient moins peur, je les prierai de considérer qu'en fait de liberté comme de religion, le premier principe est de penser aux autres plus qu'à soi. Nous ne pouvons faire de nos désirs ou de nos convictions la mesure de tous les besoins et de toutes les croyances; nos droits ne sont respectables que parce que nous respectons les droits d'autrui. Les réformes que je réclame n'auront pas toutes la même importance aux yeux du lecteur, mais chacune a ses défenseurs ardents et convaincus; chacune part du même principe; chacune est juste au même titre et a droit de figurer sur un programme libéral. La liberté a ce grand avantage, qu'elle donne satisfaction à tout désir, à toute ambition légitime; c'est par là qu'elle réunit toutes les nobles âmes; elle est comme un festin magnifique où, parmi de nombreux convives heureux de se trouver ensemble, chacun peut choisir le plat de son goût.

Il y a quarante ans que, dans son langage de prophète, M. RoyerCollard annonçait à la France et au monde que la démocratie cou

lait à pleins bords. Depuis lors le fleuve n'est point rentré dans son ancien lit. Toute la question aujourd'hui, c'est d'organiser la démocratie; non pas en la réglementant, non pas en l'emprisonnant dans des formes stériles, mais en brisant les liens qui l'enchaînent et en l'habituant à vivre de sa propre vie. Il y a deux espèces de démocratie; l'une qui suit et flatte un maître, et qui le lendemain l'abat et l'insulte; celle-là c'est la démocratie des Césars, la démocratie ignorante et révolutionnaire, le règne de la foule, des appétits et des passions. L'autre est la démocratie chrétienne, éclairée, laborieuse, où chaque individu apprend dès l'enfance à se gouverner soi-même, et en se gouvernant apprend à respecter le droit de chacun, la loi protectrice des droits individuels, l'autorité gardienne de la loi. C'est cette démocratie qui a toute l'affection du parti libéral; c'est celle-là qu'il prétend constituer.

Le problème est vaste, mais il est simple; l'énoncé même en donne la solution. Si la vraie démocratie est celle qui remet à chaque citoyen le soin de sa conduite et de sa vie, le devoir du législateur est tracé. Assurer à l'individu l'entier développement, la pleine jouissance de ses facultés physiques, intellectuelles, religieuses et morales, écarter toute entrave et toute gêne, seconder le progrès général en multipliant les moyens d'éducation et en les mettant à la portée du plus ignorant et du plus pauvre : tel est le rôle de l'État; je n'en connais pas de plus grand ni de plus glorieux. L'essayer est une noble entreprise, y réussir est le triomphe de la civilisation.

Est-ce une utopie? Non, la question est tranchée chez tous les peuples libres; il ne reste à la France qu'à saisir la solution et à se l'approprier dans la mesure de son génie. Ce n'est point là une imitation servile et souvent dangereuse, c'est une œuvre originale et d'une grande portée. Ce qui distingue la France entre toutes les nations de la terre, c'est moins la hardiesse et la nouveauté des inventions, que la forme parfaite qu'elle donne à tout ce qu'elle touche. C'est par là que notre littérature a toujours exercé une grande et légitime influence. Nous sommes un peuple de raisonneurs et d'artistes. Quand nous sommes dans le faux, nous allons à l'abîme avec une témérité qui éblouit quelquefois jusqu'à nos rivaux mêmes; mais quand nous sommes dans le vrai, nous tirons d'une idée tout ce qu'elle contient, et nous la rendons à la fois utile, brillante et populaire. Du jour où nous épouserons franchement la liberté, la révolution sera achevée, le monde entier appartiendra à la démocratie.

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