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MÉMOIRES

SECRETS

Pour fervir à l'hiftoire de la république
des lettres en FRANCE, depuis 1762
jufqu'à nos jours,

OU

JOURNAL D'UN OBSERVATEUR,

CONTENANT

LES Analyfes des Pieces de Théatre qui ont
paru durant cet intervalle; les Relations des
Affemblées littéraires; les Notices des Livres
nouveaux, clandeftins, prohibés; les pieces
fugitives, rares ou manufcrites, en profe ou
en vers, les Vaudevilles fur la Cour, les
Anecdotes bons Mots; les Eloges des Sa-
vants, des Artiftes, des Hommes de Lettres
morts, &c. &c. &c.

TOME VINGT-UNIEME.

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MÉMOIRES

SECRETS

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES EN FRANCE, DEPUIS MDCCLXII, JUSQU'A NOS JOURS.

ANNÉE MDCCLXXXII.

1 Juillet 1782. LA péroraifon vigoureufe de

la feuille de Geneve eft remarquable, & com

mence en ces termes:

"Telles font les finceres difpofitions de nos cœurs. Le bien de la patrie vouloit que nous en fiffions une profeffion authentique ; mais il nous preffe auffi de déclarer unanimement à vos feigneuries, qu'après avoir rempli cet offre de paix envers elle, files négatifs perfiftent à ne compter pour rien la nation dont ils ne forment que la plus petite partie, il ne nous refte plus qu'à nous hu

milier devant l'Etre fuprême, à implorer fon appui, & à faire tout ce qui eft en nous pour repous fer le fort dont nous fommes menacés; il ne nous refte plus qu'à protefter, comme nous le faifons à la face de l'Europe, que nous n'avons à nous reprocher aucune des calamités auxquelles notre patrie poura être expofée; que ce font nos adverfaires qui, malgré le fyftême de prudence & de modération que nous avions constamment suivi, ont forcé, par leurs intrigues, ces deux prifes d'armes, dont ils fe fervent pour nous peindre comme des oppreffeurs; que notre état n'ayant jamais ceffé d'être libre, indépendant & fouverain, le droit des nations doit nous mettre à l'abri de toute crainte de la part de nos auguftes voifins; que plus ces puiffances veulent le bien de la république, plus elles doivent confidérer sa foiblefse; que fi, trompées par d'infideles expofés, elles paroiffent en ce moment ne penfer qu'à leur force, nous ne nous en confions pas moins à leur juftice; que nous ne cefferons de la réclamer qu'à notre dernier foupir; & que fi la providence veut que nous périffions, ce fera en hommes libres & en citoyens vertueux.

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2 Juillet. On a parlé en 1779 de la bienfaisance magnifique avec laquelle l'imperatrice de Ruffie avoit acheté les porte-feuilles d'eftampes du fieur Clériffeau, peintre célebre pour la partie de l'architecture. Il a depuis obtenu le titre de premier architecte de fa majefté impériale de toutes les Ruffies, & a été reçu affocié libre & honoraire de l'Académie Impériale de Saint-Pétersbourg. Tant de faveur ont mis cet artiste dans le cas de venir faire fa cour au comte du Nord. Mais ce perfonnage, très- vain vraisemblablement, n'a pas

trouvé qu'il ait été affez bien accueilli dans fa premiere vifite, & en a gardé un profond ref fentiment.

M. le comte & Mad. la comteffe du Nord ayant defiré voir la maifon de M. de la Reyniere, un des riches financiers de cette capitale, celui-ci a engagé le fieur Clériffeau, fon architecte, à s'y trouver, & l'artifte a profité de l'occafion pour reprocher au prince fon défaut dégards. On ajoute qu'il a eu l'infolence de lui dire qu'il avoit déja écrit à l'impératrice fa mere, & de lui rendre compte du peu de foin qu'il avoit eu de lui témoigner les bontés qu'il avoit droit d'en attendre. En vain le comte a fait tout ce qu'il a pu pour le rendre à lui-même par les propos les plus honnêtes, ce furieux à continué de fe répandre en difcours très-indécents; & cette fcene qui s'est passée devant M. de la Reyniere & fa compagnie, a donné beaucoup de chagrin au comte & à la comteffe.

2 Juillet. Dernierement le roi demandoit au maréchal de Noailles ce qu'il penfoit des répéti tions du nouvel opéra qu'on doit donner aujourd'hui, & dont il avoit vu quelques-unes? Sire, lui répondit-il, quant au poëme, il ne vaut pas le diable, & pour la mufique, elle eft d'un éleve de Gluck, & conféquemment doit ne pas être. meilleure. La reine qui étoit préfente & qu'on fait aimer beaucoup le chevalier Gluck, fon maitre de chant, ainfi que fes œuvres, lui dit en riant: M. le maréchal, je vous entends très-bien, mais continuez: vous avez ici votre franc-parler, comme fous le feu roi.

Le jugement du maréchal eft trop févere. Le poëme, autant qu'on en a pu juger aux mêmes

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