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LA COMEDIE

DE

JEAN DE LA BRUYERE

I

Il semblait que rien ne fût plus à trouver sur l'auteur des Caractères, bien qu'à tout considérer, l'on n'eût pas trouvé grand'chose à son sujet.

Le livre avait été examiné à merveille, de fond en comble; on l'avait, pourrait-on dire, épluché à vif, on y avait même tant regardé que maintes fois on y avait vu plus qu'il ne fallait voir; mais l'auteur dont l'esprit animait ces pages, mais « l'homme même, » comme dit Buffon, l'homme dont ce livre reflétait peut-être la vie, que savait-on de lui? Presque rien, tout compte fait, et ce

qui le prouve, c'est qu'on ignorait même d'une façon certaine à quelle époque il était né, et dans quelle ville.

L'opinion la plus généralement admise et qui courait le mieux les livres, ces moutons de Panurge, qu'on n'entend que parce qu'ils se répètent, était que Jean de La Bruyère avait pris naissance de 1639 à 1646, dans un village voisin de la ville de Dourdan. Rien n'indiquait d'ailleurs qu'il fût venu de ce pays, et, sauf un passage des Caractères où il nomme l'Ivette', qui coule par là, nulle trace de lui ne s'y trouvait. On n'y connaissait non plus aucune propriété ayant pu appartenir à sa famille. Tout enfin semblait plutôt faire croire qu'il était né à Paris ou dans les environs, et que dès l'enfance il avait vécu dans la grande ville; on n'en tenait pas moins au village voisin de Dourdan. L'abbé d'Olivet et le P. Niceron avaient dit, d'après Clément, que c'est là que La Bruyère était

1 Voir la 2e édition donnée par M. Ad. Destailleurs. Librairie nouvelle, 1861, in-12, t. II, p. 229. 2 Histoire de l'Académie. Edit. Ch. Livet, t. II, p. 315-316.

3 Voici ce que dit le P. Niceron : « Jean de La Bruyère naquit l'an 1644, dans un village proche de

né on les croyait sans chercher davantage.

Peu importait qu'en maint endroit de son livre, l'auteur des Caractères se révélât parisien de la tête aux pieds; parisien de naissance et d'habitude, parisien de cœur et d'esprit! Peu importait encore ce que l'on savait de sa famille, vieille souche de ligueurs, qui depuis Henri IV ne semblait pas avoir dû se déraciner du sol de la Cité, qui l'avait vue grandir; et ce que l'on avait aussi découvert touchant un petit bien que les La Bruyère avaient possédé à Sceaux1, propriété vraisem

Dourdan, comme nous l'apprenons d'une note que M. Clément a mise sur le Catalogue de la Bibliothèque du Roy. » Mémoires, t. XIX, p. 191.

1 C'était une petite maison avec jardin et cinq arpents huit perches de terre, dont La Bruyère hérita de son oncle et parrain, noble Jehan de La Bruyère, avec ses frères Louis et Robert-Pierre, et sa sœur Élisabeth-Marguerite. La valeur, d'après un acte de licitation partielle du 15 avril 1682, en était estimée 4,400 livres, ce qui portait à 1,466 liv. 13 sous 4 deniers le tiers afférant à La Bruyère. M. Walcknaër, qui nous a fait connaître ces particularités si bien d'accord avec ce que l'auteur, en plus d'un endroit, a dit lui-même de son peu de fortune, pense que La Bruyère ne possédait rien de plus. (Les Caractères, 1845, in-12, p. 756-757.)— On sait, toutefois, par une quittance qui se trouvait dans la collection de M. de

blable pour une famille parisienne, mais assez invraisemblable pour des gens de Dourdan! La routine, qui ne s'inquiète guère de la logique, restait la plus forte.

Quiconque eût dit que La Bruyère n'était pas un petit hobereau du Hurepoix, quiconque se fût permis d'avancer, même timidement, qu'il pouvait bien être né à Paris, aurait été fort mal reçu dans les Biographies. Il aurait eu pourtant raison pleinement, sans réplique.

Aujourd'hui enfin, on tient l'acte qui fit toujours défaut à ceux qui s'obstinaient pour Dourdan, l'acte qui doit péremptoirement leur donner tort.

Que dit-il? Il dit que :

« Le jeudy dix-septiesme aoust 1645 a esté baptisé Jehan, fils de noble homme, Loys de la Brière (sic), controlleur des rentes de la ville de Paris,

Chalabre, et souvent revue depuis dans les ventes, que La Bruyère partageait avec ses frères et sa sœur une rente de huit cents livres constituée sur les Aides. La quittance est du 31 août 1679. Catalogue des livres imprimés et manuscrits, et autographes composant le cabinet de M. de Bruyères-Chalabre. 1833, in-8°, p. 126.

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