Dit d'abord un ami qui veut me cajoler, Et, dans ce temps guerrier, si fécond en Achilles, Ne demande donc plus par quelle humeur sauvag› 125 Tout l'été, loin de toi, demeurant au village, J'y passe obstinément les ardeurs du Lion, C'est à toi, Lamoignon, que le rang, la naissance, 1. Voyez l'Épitre V. Évidemment, entre 1672 et 1678, c'est-à-dire entre trente-cinq et quarante ans à peu près, Boileau a eu «< sa crise ». 130 Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie, 135 140 145 150 Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude, Chercher quels sont les biens véritables ou faux; 155 Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts; Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide, Ou la vaste science, ou la vertu solide. C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher. Heureux, si les fàcheux, prompts à nous y chercher, 160 N'y viennent point_semer l'ennuyeuse tristesse ! Car, dans ce grand concours d'hommes de toute espèce, Que sans cesse à Bâville attire le devoir, Au lieu de quatre amis qu'on attendait le soir, 165 Quelquefois, de fàcheux arrivent trois volées Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux! 1. Périphrase ingénieuse, trop ingénieuse même, pour caractériser les fonctions du ministère public, ou, comme on disait alors, des « Gens du Roi ». 2. C'était la maison de campagne des Lamoignon. 3. Fontaine à une demi-heure de Bàville, ainsi nommée par feu M. le président de Lamoignon. (B. 1713.) ÉPITRE VII Entre autres mérites, s'il en est un que l'on ne puisse disputer à Boileau, c'est celui d'avoir toujours bravement défendu, encouragé et soutenu ses amis. De même donc qu'il avait jadis composé les Stances sur l'École des Femmes pour aider Molière contre la cabale des « Grands Comédiens » et celle des « petits Auteurs »; de même il composa sa septième Épitre, au lendemain de l'échec de Phèdre, pour essayer de consoler Racine des odieuses manœuvres du parti de Pradon. Il n'y réussit pas, comme on sait, et Racine, dégoûté du public, renonça pour toujours à la scène. Ce n'était pas, à la vérité, la seule raison qu'il en eût, ni peut-être même la plus forte, mais c'en était assurément une. En tout cas, l'intention de Boileau n'en était pas moins généreuse, et, comme il arrive quelquefois que la vertu soit récompensée, cette Épitre, où concourent également l'admiration et l'amitié, est l'une de ses meilleures. A M. RACINE Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée, En cent lieux contre lui les cabales s'amassent; 1. Marie Desmares, née en 1641 ou 1644, avait épousé Charles Chevillet, sieur de Champmeslé. Très galante en 5 10 15 son temps, et fort aimée de Racine, elle mourut en 1698, un an avant le poète dont son nom est demeuré inséparable. Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie; Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière, Tel fut chez nous le sort du théâtre comique. Toi donc, qui t'élevant sur la scène tragique, 40 Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits, Cesse de t'étonner, si l'envie animée, Attachant à ton nom sa rouille envenimée, La calomnie en main, quelquefois te poursuit. En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit, Le mérite en repos s'endort dans la paresse; Au comble de son art est mille fois monté; défenseur des bigots ». Il s'appelait Pierre Roullé, était docteur de Sorbonne et curé de Saint-Barthélemy. Le pamphlet où il demandait qu'on brùlàt l'auteur de Tartuffe était intitulé le Roi Glorieux au monde. 1. Bon sens est-il bien le mot propre? | peut répondre avec certitude que du 2. On sait que Molière et Racine s'étaient brouillés ensemble dès le temps d'Alexandre, mais Boileau avait su demeurer leur ami à tous deux, et il y avait de sa part quelque chose de délicat, en même temps que de souverainement juste, à les réconcilier ainsi dans une destinée commune, dans la mort, et devant la postérité. 3. Les commentateurs s'évertuent à chercher qui était le commandeur, qui le vicomte, qui le marquis. Mais on ne 4. Il y avait trois ans alors, 1674, que Corneille avait quitté définitiveinent le théâtre. 5. Quelquefois, n'est pas assez dire. On a contesté ou disputé à Racine presque tous ses succès. Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance; 55 Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis, De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis, Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue, Qu'au faible et vain talent dont la France me loue. 60 Tous les jours, en marchant2, m'empêche de broncher; Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde, Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde; Je sais sur leur avis corriger mes erreurs, 65 Et je mets à profit leurs malignes fureurs. Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles, 1. Boileau lui-même, dans le particulier, avait été de ces « censeurs ». Il reprochait à Pyrrhus d'être ce qu'il appelait un « héros à la Scudéri »> et par là, il voulait dire un héros dont la ferocité tragique se déguisait sous des formes encore trop galantes. 2. Tournure fréquente au XVIIe siècle, légèrement amphibologique, et cependant très française. La métaphore est moins louable; et pour en faire une autre à notre tour, il est difficile de digérer ce venin qui empêche de broncher. BOILEAU. 70 75 80 85 3. Eriger. Peut-on dire ériger en criminel, et ne serait-il pas bon que l'idée d'élévation qu'implique le mot fùt considérée comme contradictoire avec tout ce qui désigne un manque, un défaut ou un vice? 4. Pompeuses merveilles. Il ne semble pas que pompeuses soit ici le mot juste; à moins que, tout en faisant ce bel éloge de la Phedre de Racine, on ne soupçonne Boileau d'avoir voulu critiquer ce qu'il y a déjà d'un peu trop magnifique dans l'ouvre, et qui semble acheminer la tragédie vers le genre de l'opéra. 11 |