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Sarrasin il tomba au pied des murs sur des rochers pointus, eut la tête et le corps fracassés, et mourut, à ce qu'on rapporte, un instant après.

Les habitans de la ville et les chevaliers du roi de Babylone voyant leurs communications avec le roi ainsi interrompues, tandis que les Chrétiens continuaient à les attaquer avec une nouvelle audace, et que leurs machines établies de tous côtés ne cessaient de faire beaucoup de mal, résolurent aussi de construire et de dresser quatorze mangonneaux qui seraient constamment employés à lancer vigoureusement des pierres sur ceux des Chrétiens, afin de les ébranler et de les détruire à coups redoublés, et d'envelopper dans le même péril les fidèles qui les occupaient. Neuf de ces quatorze machines furent établies en face de celle du comte Raimond, et un grand nombre de citoyens se mirent aussitôt en devoir de les faire manoeuvrer ils attaquèrent si vivement et à coups si redoublés la machine du comte, qu'elle en fut en effet entièrement brisée, et que les assemblages tombèrent de tous côtés. Tous les hommes de guerre qui y étaient enfermés, effrayés de cet événement inattendu, et frappés de stupeur, eurent beaucoup de peine à échapper eux-mêmes au péril qui les menaçait. Comme il leur était impossible de se maintenir au milieu de cette grêle de pierres, et de protéger leur machine, ils la retirèrent loin des murailles; et dès ce moment il ne se trouva plus personne qui osât y monter de nouveau et reprendre l'offensive contre les assiégés. Les cinq autres mangonneaux furent dirigés par les Sarrasins contre la machine de Godefroi, et les ennemis espéraient aussi pouvoir la renver

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ser et la détruire, en l'attaquant avec la même impétuosité; mais, grâce à la protection de Dieu, quoiqu'elle fût souvent atteinte et ébranlée par des pierres qui semblaient devoir l'écraser, elle se maintint entière; les claies d'osier dont elle était couverte la garantirent de la violence des chocs, et amortirent l'effet des pierres lancées sur elle avec la plus grande force.

II y avait sur le sommet de cette machine une croix resplendissante d'or, et sur laquelle avait été placée une figure du Seigneur Jésus les Sarrasins firent tous leurs efforts pour la frapper avec les pierres qu'ils lançaient, mais ils ne purent jamais parvenir à la faire tomber, ni même à l'atteindre. Tandis qu'ils continuaient à viser sur le même point, une pierre, volant à travers les airs, vint frapper par hasard un chevalier, placé à côté du duc, l'atteignit à la tête, lui brisa le crâne, et fit jaillir la cervelle : le chevalier mourut sur le coup. Le duc, se remettant promptement d'un événement aussi inattendu, continua à tirer avec son arbalète sur les assiégeans qui faisaient manoeuvrer leurs machines; et de temps en temps, lorsque quelque claie frappée par une pierre venait à tomber, le duc la remettait aussitôt en place, et la rattachait avec des cordes.

Les chevaliers sarrasins, voyant que tout l'effort de leurs machines était insuffisant contre les claies d'osier, lançaient de temps en temps sur ces claies des vases remplis de feu, dans l'espoir que quelque charbon ou quelque étincelle se fixerait sur les substances sèches, que le souffle du vent alimenterait le feu, et finirait par embrâser la machine; mais l'habileté des

Français avait pourvu à ce danger. Les claies étaient doublées de cuirs bien lisses, sur lesquels le feu ou les charbons qu'on y jetait ne pouvaient tenir; et, en effet, toutes les matières enflammées glissaient aussitôt qu'elles atteignaient les cuirs, et tombaient par terre. Enfin, fatigués des efforts continuels des machines ennemies, le duc et les siens, employant les bras d'un grand nombre de Chrétiens, poussèrent leur machine contre les murailles mêmes de la ville, afin de s'opposer plus sûrement à l'attaque de leurs adversaires, et de telle sorte que les machines de ceux-ci ne pouvant être placées dans une position plus spacieuse, à cause des maisons et des tours qui les environnaient, se trouvassent hors d'état de lancer autant de coups, ou du moins d'atteindre aussi souvent celle des Chrétiens. En effet, lorsque cette dernière machine eut été appliquée contre les murailles, comme celles des ennemis ne purent être retirées plus loin, et sur un terrain plus libre, les pierres qu'elles lançaient avec la même force volaient audelà de la machine du duc; trop rapprochées, ou quelquefois arrêtées dans leur vol, les pierres retombaient sur les murailles et écrasaient les Sarrasins. Les assiégés voyant alors que ceux qui les attaquaient demeuraient fermes et inébranlables dans leur position, sans pouvoir être atteints par l'effet de leur machine, remplirent une tour située dans le voisinage, de sacs garnis de paille, de chanvre et de foin, la recouvrirent de claies en osier, et de cordes de vaisseaux, pour la garantir de tous côtés des pierres que lançaient les Chrétiens, et firent entrer dans cette tour des combattans, qui avaient ordre de

faire pleuvoir, sans interruption, des pieux sur la machine du duc, soit avec des frondes, soit avec de petits mangonneaux, afin d'accabler sous ces divers genres d'attaque ceux des Chrétiens qui demeuraient enfermés dans leur redoute. Mais la machine du duc Godefroi ne fut pas plus ébranlée par ce nouveau moyen; et ceux qui la défendaient, loin de se laisser détourner, continuèrent à combattre avec une ardeur toujours croissante. Alors les ouvriers des Sarrasins imaginèrent un autre procédé, d'après lequel ils devaient parvenir à brûler entièrement, et la machine de leurs ennemis, et ceux qui l'occupaient. Ils transportèrent un tronc d'arbre d'un poids et d'une dimension énormes, et le garnirent de tous côtés de clous et de crochets en fer: ces clous furent enveloppés d'étoupes imprégnées de poix, de cire, d'huile et de toutes sortes de matières propres à alimenter le feu. Sur le milieu de l'arbre ils attachèrent une chaîne de fer extrêmement pesante, afin que les pélerins ne pussent avoir la facilité d'enlever l'arbre, ni le faire changer de place, à l'aide de leurs crochets, tandis qu'eux-mêmes le lanceraient au-delà des murailles, sur la machine des Chrétiens, afin d'y mettre le feu. Après avoir terminé toutes leurs dispositions préliminaires, un jour les citoyens de la ville et les chevaliers du roi de Babylone se réunirent pour commencer leur opération. D'abord, ils mirent le feu à toutes les matières inflammables et que l'eau ne pouvait éteindre; puis ils transportèrent l'arbre avec de grands efforts, à l'aide de leurs échelles, de leurs lances et d'autres instrumens, et parvenus sur les murailles, ils le lancèrent aussitôt entre celles-ci

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et la machine, afin que les planches qui la supportaient toute entière, atteintes par un feu aussi ardent, fussent entièrement embrasées, et entraînassent dans leur chute et l'engin même, et tous ceux qui y étaient enfermés, car ils espéraient qu'un incendie aussi violent ne pourrait être arrêté même par des torrens d'eau, et que la machine serait réduite en cendres en même temps que l'arbre qu'ils avaient préparé. Mais les Chrétiens, instruits de ces dispositions par ceux de leurs frères qui habitaient dans la ville, apprirent d'eux en même temps que cette sorte de feu, inaccessible à l'effet de l'eau, ne pouvait être combattu que par le vinaigre conséquence, ils eurent soin de se pourvoir à l'avance de vinaigre, qu'ils renfermèrent dans des outres, et l'ayant versé sur l'arbre ennemi, ils arrêtèrent la violence de l'incendie, et préservèrent ainsi leur machine. Pendant ce temps, les pélerins accouraient de tous côtés pour enlever l'arbre; et, saisissant la chaîne qui l'enveloppait, ils engagèrent un nouveau combat, les uns en dehors la tirant à eux de toutes leurs forces, les autres en dedans retenant la chaîne avec autant d'ardeur; mais enfin, grâce à la faveur de Dieu, les Chrétiens remportèrent l'avantage, ils enlevèrent la chaîne aux Sarrasins, et l'attitirèrent à eux.

Tandis que l'on combattait en dehors et en dedans qui demeurerait en possession de cette chaîne, et que les cinq mangonneaux établis sur les remparts étaient employés en vains efforts pour lancer des pierres, le duc Godefroi, et tous ceux qui avec lui avaient occupé l'étage supérieur de la machine

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