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emportant de riches dépouilles, emmenant avec eux les troupeaux et tous les chevaux, et ils firent leurs dispositions pour franchir la Méroé. Mais ils ne trouvèrent sur toute la rive du fleuve que cent cinquante bateaux, nombre bien insuffisant pour soustraire promptement une si grande multitude de pélerins au danger dont ils étaient menacés par l'arrivée du roi à la tête de toutes ses forces. Aussi un grand nombre d'entre eux n'ayant pas de bateaux à leur disposition, firent tous leurs efforts pour passer le fleuve en réunissant des planches de bois et en faisant des claies en osier. Tandis qu'ils flottaient ainsi sur le fleuve, ne pouvant gouverner leurs embarcations et se séparant souvent de leurs compagnons, les Pincenaires, habitans de la Bulgarie, en tuaient un grand nombre à coups de flèches. Pierre, voyant les siens se noyer, ordonna aux Bavarois, aux Allemands et aux autres Teutons, en leur rappelant leurs sermens d'obéissance, de porter secours aux Français leurs frères. Ils montèrent aussitôt sur sept bateaux, submergèrent sept petits bateaux remplis de Pincenaires qui furent noyés, et dont sept seulement furent pris vivans; ils les conduisirent devant Pierre et les mirent à mort. d'après son ordre. Ayant ainsi vengé les siens et traversé la Méroé, Pierre entra dans les vastes et immenses forêts de la Bulgarie, traînant à sa suite des chariots remplis de vivres, de toutes sortes d'approvisionnemens et des dépouilles enlevées à Belgrade. Après avoir demeuré sept jours de suite au milieu de ces grandes forêts, il arriva enfin avec les siens devant la ville de Nissa, défendue par de fortes murailles ; les pélerins passèrent un certain fleuve sur un pont de

pierre qui se trouvait en avant de la ville; ils allèrent occuper un immense pré couvert d'une délicieuse verdure, et dressèrent leurs tentes sur les bords du fleuve.

Les légions de pélerins ainsi établies, Pierre, dans sa prévoyance et de l'avis des principaux de ses compagnons, envoya une députation au duc Nicétas, prince des Bulgares, qui se trouvait alors dans cette ville, pour lui demander la faculté d'acheter des vivres. Le duc l'accorda avec bonté, sous la condition cependant qu'on lui donnerait des otages, de peur que cette immense multitude ne se portât à des insultes ou à des violences, comme elle avait fait à Belgrade. Gautier, fils de Galeran, du château de Breteuil situé près de Beauvais, et Godefroi Burel d'Étampes, furent livrés en otage au duc. Ils partirent, le duc les reçut; les pélerins eurent la faculté d'acheter toutes sortes de choses, et ceux qui n'avaient pas de quoi acheter recevaient d'abondantes aumônes des habitans de la ville. Cette nuit donc fut parfaitement tranquille, et le prince rendit fidèlement à Pierre les otages qu'il en avait reçus. Cent hommes Allemands qui, la veille au soir, avaient eu une légère contestation avec un Bulgare au sujet d'un marché d'achat et de vente, étant demeurés un peu en arrière des pélerins que Pierre conduisait, mirent le feu à sept moulins situés sur le bord de la rivière et en dessous du pont, et les réduisirent en cendres; ils brûlèrent en outre quelques maisons placées hors de la ville, en nouveau témoignage de leur fureur. Les citoyens, voyant leurs bâtimens livrés aux flammes, allèrent, d'un commun accord, trouver leur duc Nicétas, dé

clarant que Pierre et tous ceux qui le suivaient n'étaient que de faux Chrétiens, des voleurs et non des hommes de paix, puisqu'après avoir tué à Belgrade les Pincenaires du duc, et, à Malaville, un si grand nombre de Hongrois, ils avaient encore osé incendier des bâtimens, oubliant la reconnaissance qu'ils auraient dû avoir pour les bienfaits dont on les comblait.

que

Le duc, en entendant les plaintes des siens et en apprenant l'affront qu'ils avaient reçu, donna l'ordre que tous eussent à prendre les armes, aussi bien la cavalerie qu'il avait assemblée à Nissa, lorsqu'il sut l'attaque et la prise de Malaville, afin de se mettre sans retard à la poursuite des pélerins, et de leur rendre tous les maux qu'ils avaient faits. Après avoir entendu les paroles du duc de Bulgarie, les Comans, un grand nombre de Hongrois et les Pincenaires qui s'étaient réunis pour la défense de la ville, à condition de recevoir une solde, saisirent leurs arcs de corne et d'os, se couvrirent de leurs cuirasses; et, dressant leurs bannières sur leurs lances, ils se mirent à la poursuite de Pierre qui marchait en toute sécurité avec son armée. Les traînards, ceux qui se trouvaient sur les derrières furent tués et transpercés sans aucun ménagement; on arrêta les chars et les chariots qui s'avançaient lentement; les femmes, les jeunes filles, les jeunes garçons furent emmenés: exilés et captifs encore aujourd'hui sur les terres de la Bulgarie, ils se virent enlevés avec tous leurs bagages et les troupeaux qui les suivaient. Au milieu de ce désordre et du massacre inattendu des pélerins, un certain Lambert, poussant rapidement son cheval, alla rejoindre Pierre

qui ignorait entièrement tout ce qui se passait; il le lui raconta en détail, et lui dit que tous ces maux, toutes ces douleurs, provenaient des Allemands qui avaient incendié les moulins. Pierre, marchant un mille en avant, n'avait reçu aucun autre avis; troublé en entendant ce récit, il convoqua aussitôt les hommes les plus sages et les plus raisonnables de l'armée, et leur dit :

<«< Nous sommes menacés d'un affreux malheur, à « la suite des fureurs insensées des Teutons. Un grand << nombre des nôtres, et ces Allemands eux-mêmes << sont tombés sous les flèches et sous le glaive des sa<< tellites du duc Nicétas, en punition d'un incendie « que j'ignorais tout-à-fait. Ceux-ci ont retenu tous « nos chariots, nos richesses et nos troupeaux. Il me « semble qu'il n'y a rien de mieux à faire que de re« tourner auprès du duc et de conclure la paix avec « lui, puisque les nôtres se sont conduits injustement « à son égard, au moment où ses concitoyens nous << avaient fourni en toute tranquillité les choses dont << nous avions besoin. » A ces paroles et sur cette déclaration de Pierre toute l'armée retourna vers la ville de Nissa et dressa de nouveau ses tentes dans le pré où elle avait campé, afin que Pierre allât présenter ses excuses et celles de tous ses compagnons qui avaient marché en avant, et qu'après avoir apaisé le duc il obtînt la restitution de ses prisonniers et de ses chariots. Mais tandis qu'il s'occupait, avec les hommes les plus sages, à assurer l'accomplissement de ses projets et se préparait à proposer ses excuses dans un langage mesuré, mille jeunes gens, insensés, remplis d'une excessive légèreté et d'obstination, race in

domptable et effrénée, allèrent, sans cause ni motif, au-delà du pont de pierre, livrer imprudemment assaut aux murailles et à la porte de la ville. Mille autres jeunes gens, aussi étourdis, s'élançant à travers les gués et le pont, se portèrent au secours des premiers, en prononçant dans leur fureur de terribles vociférations, et refusant d'écouter la voix de Pierre, leur chef, qui leur défendait en vain de s'avancer, et qui voulait, de même que tous les hommes sensés, travailler à rétablir la paix. Au moment de cette scission, toute l'armée demeura avec Pierre, à l'exception de ces deux mille hommes, et aucun des autres ne fit le moindre mouvement pour aller porter secours à ces derniers. Les Bulgares, voyant cette division dans le peuple, et reconnaissant qu'il leur serait facile de vaincre les deux mille hommes, sortirent par deux portes, armés de flèches et de lances qui portent de larges blessures, et s'avancèrent en grand nombre; ils accablèrent les pélerins et les mirent en fuite; vingt d'entre eux s'élancèrent du haut du pont dans les eaux et y furent noyés ; d'autres, au nombre de trois cents, prirent la fuite vers l'un des côtés du pont pour aller chercher des gués qu'ils ne connaissaient pas, et les uns périrent par les armes et d'autres dans les eaux. A la fin, ceux qui étaient demeurés avec Pierre sur l'autre rive du fleuve et dans le verger, et qu'il avait empêchés de prendre part à cet acte de folie, voyant leurs compagnons si cruellement maltraités, ne purent résister au desir de voler à leur secours, et, revêtus de leurs casques et de leurs cuirasses, ils volèrent vers pont, soit que Pierre l'eût permis ou non. Un nouveau combat s'engagea avec acharnement des deux

le

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