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faibles moyens, d'ecrire d'une main novice et peu exercee histoire des travaux et des misères, de la foi inebranlable et du bon concert des vaillans princes et de tous les autres hommes qui se liguèrent pour l'amour du Christ. Je dirai comment ils abandonnerent leur patrie, leurs parens, leurs femmes, leurs fils et leurs filles, leurs villes, leurs châteaux, leurs champs, leurs royaumes et toutes les douceurs de ce monde, laissant le certain pour l'incertain, et recherchant l'exil au nom de Jesus-Christ; comment ils se mirent en route pour Jerusalem, marchant en grand nombre et formant des armees considérables; comment, vainqueurs dans leurs audacieuses attaques, ils mirent à mort des milliers de Turcs et des légions de Sarrasins; comment ils ouvrirent et aplanirent l'accès du sépulcre sacré de Notre-Seigneur JésusChrist, et comment ils firent entièrement cesser le paiement des redevances et des tributs qu'on exigeait des pélerins qui desiraient visiter ces lieux.

Un prêtre, nommé Pierre, d'abord ermite, né dans la ville d'Amiens, située à l'occident, dans le royaume des Francs, se servit le premier de tous les moyens de persuasion qu'il eut en son pouvoir pour encourager à cette entreprise; et devenu prédicateur dans le Berri, province de ce royaume, il fit entendre de tous côtés ses exhortations et ses discours. Répondant à ses avertissemens et à ses invitations assidument renouvelées, les évêques, les abbés, les clercs et les moines, et, après eux, les laïques les plus nobles, les princes de divers royaumes, tout le peuple, tant les hommes chastes que les incestueux, les adultères, des homicides, les voleurs, les parjures, les brigands,

enfin toute la race d'hommes qui faisaient profession de la foi chrétienne, et les femmes même, tous conduits par un sentiment de pénitence, accoururent avec joie pour entreprendre ce voyage. Je vais dire maintenant à quelle occasion et dans quelles intentions l'ermite Pierre devint le prédicateur de cette entreprise et son premier chef.

Ce prêtre était allé à Jérusalem quelques années auparavant pour y faire ses prières. Il vit, ô douleur ! dans l'oratoire du sépulcre du Seigneur, des choses illicites et abominables qui le remplirent de tristesse et le firent frémir d'horreur, et il en appela aux jugemens du Seigneur lui-même pour la punition de ces offenses. Enfin, indigné de ces œuvres de scélératesse, il alla trouver le patriarche de la sainte église de Jérusalem, et lui demanda comment il souffrait que les Gentils et les impies osassent souiller les lieux saints et enlever les offrandes des fidèles; que l'Église fût transformée en un lieu de prostitution; que les Chrétiens fussent souffletés, les saints pélerins dépouillés injustement et accablés de toutes sortes de vexations. En entendant ces paroles, le patriarche, vénérable prêtre du sépulcre du Seigneur, lui répondit avec piété et avec foi : « O le plus fidèle des Chrétiens! pourquoi blâmes-tu, pourquoi tourmentes-tu à ce « sujet notre cœur paternel, alors que nos forces et << notre puissance sont telles que celles de la petite << fourmi, comparées à celles de nos fiers adversaires? << Nos vies sont incessamment rachetées par des tributs, «< où livrées à des supplices qui donnent la mort. Nous <«< nous attendons même à voir s'accroître de jour en << jour nos périls, si les Chrétiens ne nous apportent les

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<< secours que nous espérons obtenir par l'effet de ta « mission. » Pierre lui répondit alors : « Vénérable père, nous avons bien reconnu, nous comprenons << et nous voyons maintenant combien est faible la population chrétienne qui habite ici avec vous, et «< combien sont grandes les persécutions que vous << avez à subir de la part des Gentils. C'est pourquoi, << afin d'obtenir la grâce de Dieu, votre délivrance et << la purification des lieux saints, j'irai, sous la con<«< duite du Seigneur, s'il daigne m'accorder un heu<«< reux retour, requérir d'abord et principalement le seigneur apostolique, ensuite tous les plus grands << rois des Chrétiens, les ducs, les comtes et ceux qui possèdent les principautés; je leur ferai con« naître à tous votre misérable servitude et tous les <«< maux que vous supportez; il est temps enfin que « toutes ces choses leur soient annoncées. »

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Cependant les ténèbres ayant enveloppé le ciel de tous côtés, Pierre retourna au saint sépulcre pour prier, et, fatigué de ses veilles et de ses oraisons, il y fut surpris par le sommeil. La majesté du Seigneur JésusChrist lui apparut alors en songe, et daigna s'adresser en ces termes à l'homme mortel et fragile: << Pierre « fils très-chéri des Chrétiens, lève-toi, va voir notre << patriarche, et reçois de lui, en témoignage de notre « union, des lettres revêtues du sceau de la sainte <«< croix : tu iras, le plus promptement possible, dans << la terre de tes pères; tu dévoileras les fausses accu<«<sations et tous les affronts qui pèsent sur notre peu

ple et sur les lieux saints; tu animeras les coeurs des « fidèles à purger les lieux saints de Jérusalem, et à «< y rétablir les saints offices. Maintenant les portes du

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paradis seront ouvertes aux appelés et aux élus, à << travers des périls et des tentations de tout genre. »

Après cette révélation admirable et digne du Seigneur, la vision disparut et Pierre se réveilla. Au premier crépuscule du jour, il quitta le seuil du temple, alla trouver le patriarche, lui raconta en détail l'apparition du Seigneur, et lui demanda, en témoignage de sa mission divine, des lettres revêtues du sceau de la sainte croix. Le patriarche ne refusa point de les lui donner, et les prépara en lui rendant des actions de grâces. Ayant pris congé, Pierre, empressé d'exécuter sa mission, retourna vers les lieux de sa naissance. Après avoir traversé la mer dans une grande anxiété, il vint débarquer dans la ville de Bari, et,` rendu à la terre, il partit sans retard pour Rome. Ayant trouvé l'apostolique, il lui fit son rapport sur la mission qu'il avait reçue directement de Dieu et du patriarche au sujet des impuretés des Gentils et des insultes faites aux lieux saints et aux pélerins, Le seigneur apostolique, après avoir écouté ce rapport avec attention et bonne volonté, promit qu'il obéirait en tout point aux ordres et aux volontés des saints. C'est pourquoi, plein de sollicitude, il se rendit dans la ville de Verceil; et ayant traversé les Alpes, il convoqua une assemblée de toute la France occidentale et prescrivit de se réunir en concile au Puy, cité de Sainte-Marie, puis il se rendit à Clermont en Auvergne. Informés de la mission divine, et ayant reçu des avertissemens apostoliques, les évêques de toute la France, les ducs et les comtes, les grands princes de tout ordre et de tout rang, consentirent à entreprendre à leurs frais une expédition vers le sépulcre même du Seigneur.

Ainsi se forma dans ce très-vaste royaume une sainte conspiration pour ce voyage. Les hommes les plus puissans se donnèrent la main et se liguèrent tous ensemble. Cette alliance fut confirmée par un grand tremblement de terre, qui n'annonçait autre chose que le départ des légions de divers royaumes, savoir, du royaume de France, de la terre de Lorraine, du pays des Teutons, des Anglais et des Danois..

(1095) L'an mil quatre-vingt-quinze de l'Incarnation du Seigneur, et le huitième jour du mois de mars, dans la quarante-troisième année du règne du roi Henri IV, troisième empereur des Romains (du même nom ), depuis treize ans, Urbain second ( antérieurement ́Odoard), occupant le siége apostolique, Gautier, surnommé Sans-Avoir, chevalier illustre, suivi d'un grand nombre de Français marchant à pied, et n'ayant avec lui que huit chevaliers, cédant aux exhortations de Pierre l'Ermite, entra le premier dans le royaume de Hongrie pour diriger ses pas vers Jérusalem. Le seigneur Coloman, roi très-chrétien des Hongrois, instruit de ses résolutions courageuses et des motifs de son entreprise, l'accueillit avec bonté, lui accorda la faculté de passer en paix sur toutes les terres de son royaume et d'y faire des achats. Il marcha en effet sans faire aucun dégât et sans aucun accident jusqu'à Belgrade, ville de Bulgarie, ayant passé à Malaville', ville située sur les confins du royaume de Hongrie. Là il traversa en bateau et en parfaite tranquillité le fleuve de Méroé'; mais seize de ses hommes s'étaient arrêtés dans ce même lieu de Malaville pour y

' Semlin.

2 La Morawa.

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