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& Polifpercon ont gagné la bataille, & que Caffandre leur ennemi eft tombé † vif entre leurs mains ; & lors que quelqu'un luy dit, mais en verité cela eft-il croyable ? il luy replique que cette nouvelle fe crie & fe répand par toute la ville, que tous s'accordent à dire la même chofe, que c'est tout ce qui fe raconte du combat, & qu'il y a eu un grand carnage. Il ajoûte qu'il a ĺû cet évenement fur le vifage de ceux qui gouvernent, qu'il y a un homme caché chez l'un de ces Magiftrats depuis cinq jours entiers, qui revient de la Macedoine, qui a tout vû & qui luy a tout dit ; enfuite interrompant le fil de fa narration , que penfez-vous de ce fuccès, demande-t-il à ceux qui l'écoutent ? Pauvre Caflandre, malheureux Prince, s'écrie-t-il d'une maniere touchante ! voyez ce que c'eft que la fortune, car enfin Caffandre étoit puiffant, & il avoit avec luy de grandes forces; ce que je vous dis, pour-fuit-il, est un fecret qu'il faut garder pour vous seul, pendant qu'il court par toute la ville le debiter à qui le veut entendre. Je vous avoiie que ces difeurs de nouvelles me donnent de l'admiration, & que je ne conçois pas quelle est la fin qu'ils fe propofent; car

Capitaine du même Alexandre.

+ C'étoit un faux bruit, & Caffandre fils d'Antipater difputant à Aridée & à Polifpercon la tutelle des enfans d'Alexandre, avoit eu de l'avantage fur eux.

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pour ne rien dire de la bassesse qu'il y toûjours mentir, je ne vois pas qu'ils puiffent recueillir le moindre fruit de cette pratique au contraire, il eft arrivé à quelques-uns de fe laiffer voler leurs habits dans un bain public, pendant qu'ils ne fongeoient qu'à raffembler autour d'eux une foule de peuple, & à luy conter des nouvelles quelques autres après avoir vaincu fur mer & fur terre dans le Portique, ont payé l'amende pour n'avoir pas comparu à une caufe appellée: enfin il s'en eft trouvé qui le jour même qu'ils ont pris une ville, du moins par leurs beaux difcours, ont manqué de diner. Je ne crois pas qu'il y ait rien de fi miferable que la condition de ces perfonnes: car quelle eft la boutique, quel eft le portique, quel est l'endroit d'un marché public où ils ne paffent tout le jour à rendre fourds ceux qui les écoutent, ou à les fatiguer par leurs menfonges.

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DE

L'EFFRONTERIE caufée par l'Avarice.

UR faire connoître ce vice, il faut dire que c'est un mépris de l'honneur dans la vue d'un vil interêt. Un homme

V.le chap. de la flatterie.

*

que l'avarice rend effronté, ofe emprunter une fomme d'argent à celuy à qui il en doit déja, & qu'il luy retient avec injuftice. Le jour même qu'il aura facrifié aux Dieux, au lieu de manger religieufement chez foy une partie des viandes confacrées, il les fait faler pour luy fervir dans plufieurs repas, & va fouper chez l'an de fes amis, & là à table à la vûë de tout le monde, il appelle fon valet qu'il veut encore nourrir aux dépens de fon hôte, & luy coupant un morceau de viande qu'il met fur un quartier de pain, tenez, mon ami, luy dit-il, faites bonne chere. Il va luy-même au marché acheter des viandes cuites, & avant que de convenir du prix, pour avoir une meilleure compofition, du Marchand, il luy fait reffouvenir qu'il luy a autrefois rendu fervice: il fait enfuite pefer ces viandes, & il en entaffe le plus qu'il peut; s'il en eft empêché par celuy qui les luy vend,il jette du moins quelque os dans la balance; fi elle peut tout contenir, il eft fatisfait, finon il ramaffe fur la table des morceaux de rebut, comme pour fe dédommager, fourit & s'en va. Une autrefois fur l'argent qu'il aura reçû de quelques étrangers pour leur

* C'étoit la coûtume des Grecs. V. le chapitre du com tre-temps.

† Comme le menu peuple qui achetoit fon fouré chez les Chaircutiers

loiier des places au theatre, il trouve le fecret d'avoir fa place franche du fpectacle, & d'y envoyer le lendemain fes enfans & leur Précepteur. Tout luy fait envie, il veut profiter des bons marchez, & demande hardiment au premier venu une chofe qu'il ne vient que d'acheter: fe trouve-t-il dans une maifon étrangere, il emprunte jufqu'à l'orge & à la paille, encore faut-il que celuy qui les luy prête, falle les frais de les faire porter chez luy.. Cet effronté en un mot, entre fans payer dans un bain public, & là en prefence du Baigneur qui crie inutilement contre luy, prenant le premier vase qu'il rencontre, il le plonge dans une cuve d'airain qui est remplie d'eau, fe la répand fur tout le corps, me voilà lavé, ajoute-t-il, autant que j'en ay befoin, & fans avoir obligation à perfonne, remet fa robe & difparoît..

*

DE L'EPARGNE SORDIDE.

C

ETTE efpece d'avarice eft dans les hommes une paffion de vouloir ménager les plus petites chofes fans aucune fin honnête. C'eft dans cet efprit que quelques-uns recevant tous les mois le loyer de

* Les plus pauvres se lávoient ainfi pour païes moins

:

leur maifon, ne negligent pas d'aller euxmêmes demander la moitié d'une obole qui manquoit au dernier payement qu'on leur a fait que d'autres faifant l'effort de donner à manger chez eux, ne font occupez pendant le repas qu'à compter le nombre de fois que chacun des conviez demande à boire: ce font eux encore dont la portion des premices * des viandes que l'on envoye fur l'Autel de Diane, eft toûjours la plus petite. Ils apprecient les chofes au deffous de ce qu'elles valent, & de quelque bon marché qu'un autre en leur rendant compte veüille se prevaloir, ils luy foûtiennent toûjours qu'il a acheté trop cher. Implacables à l'égard d'un valet qui aura laiffé tomber un pot de terre , ou caffé par malheur quelque vafe d'argile, ils luy déduisent cette perte fur fa nourriture; mais fi leurs femmes ont perdu feulement un denier, il faut alors renverfer toute une maison, déranger les lits, tranfporter des coffres, & chercher dans les recoins les plus cachez. Lors qu'ils vendent, ils n'ont que cette unique chofe en vûë, qu'il n'y ait qu'à perdre pour celuy qui achete. Il n'eft permis à perfonne de cueillir une figue dans leur jardin, de paffer au travers de leur champ, de ramaffer

* Les Grecs commençoient par ces offrandes leurs r pas publics.

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