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vous le verrez aujourd'huy crieur public, demain cuifinier ou brelandier, tout luy est propre. S'il a une mere,il la laiffe mou-; rir de faim: il eft fujet au larcin, & à fe voir traîner par la ville dans une prifon fa demeure ordinaire, & où il paffe une partie de fa vie. Ce font ces fortes de gens que l'on voit fe faire entourer du peuple, appeller ceux qui paffent, & fe plaindre à eux avec une voix forte & enroüée, infulter ceux qui les contredifent ; les uns fendent la preffe pour les voir, pendant que les autres contens de les avoir vûs fe dégagent & pourfuivent leur chemin fans vouloir les écouter; mais ces effrontez con tinuent de parler, ils difent à celuy-cy le commencement d'un fait, quelque mɔt à cet autre, à peine peut-on tirer d'eux la moindre partie de ce dont il s'agit ; & vous remarquerez qu'ils choififfent pour cela des jours d'affemblée publique, où il y a un grand concours de monde, qui fe trouve le témoin de leur infolence : tou jours accablez de procès que l'on intente contre eux, ou qu'ils ont intentez à d'autres, de ceux dont ils fe délivrent par de faux fermens, comme de ceux qui les obligent de comparoître; ils n'oublient jamais de porter leur boëte dans leur fein, &

* Une petite boëte de cuivre fort legere où les plaideurs mettoient leurs titres & les pieces de leurs procès

,

une liaffe de papiers entre leurs mains; vous les voyez dominer parmy de vils praticiens à qui ils prêtent à ufure, retirant chaque jour une obole & demie de chaque dragme; frequenter les tavernes parcourir les lieux où l'on debite le poiffon frais ou falé, & confumer ainfi en bonne chere tout le profit qu'ils tirent de cette efpece de trafic. En un mot, ils font querelleux & difficiles, ont fans ceffe la. bouche ouverte à la calomnie, ont une voix étourdiffante, & qu'ils font retentir dans les marchez & dans les boutiques.

DU GRAND PARLEUR †.

CE que quelques-uns appellent babil,

eft proprement une intemperance delangue qui ne permet pas à un homme de fe taire. Vous ne contez pas la chofe comme elle eft, dira quelqu'un de ces grands. parleurs à quiconque veut l'entretenir de quelque affaire que ce foit ; j'ay tout fçû, & fi vous vous donnez la patience de m'écouter, je vous apprendray tout, & fi cet autre continuë de parler, vous avez déja dit cela, fongez, pourfuit-il, à ne rien

Une obole étoit la fixième partie d'une dragme. + Ou du babil,

oublier; fort bien ; cela est ainsi, car vous m'avez heureufement remis dans le fait ; voyez ce que c'est que de s'entendre les uns les autres ; & enfuite, mais que veuxje dire ? ah j'oubliois une chofe! oui c'eft cela même, & je voulois voir fi vous tomberiez jufte dans tout ce que j'en ay appris : c'est par de telles ou femblables interruptions qu'il ne donne pas le loifir à celuy qui luy parle, de refpirer : & lors qu'il a comme affaffiné de fon babil chacun de ceux qui ont voulu lier avec luy quelque entretien, il va fe jetter dans un cercle de perfonnes graves qui traitent ensemble de chofes ferieufes & les met en fuite: de là il entre dans les Ecôles publiques, &dans les lieux des exercices, où il amufe les maîtres par de vains difcours & empêche la jeuneffe de profiter de leurs leçons. S'il échape à quelqu'un de dire, je m'en vais, celuy-cy fe met à le fuivre, & il ne l'abandonne point qu'il ne l'ait remis jusques dans fa maison: fi par hazard il a appris ce qui aura été dit dans une affemblée de ville, il court dans le même temps le divulguer; il s'étend merveilleufement fur la fameufe bataille † qui s'eft donnée fous le

C'étoit un crime puni de mort à Athenes par une Loy de Solon, à laquelle on avoit un peu dérogé au temps de Theophrafte.

† C'eft à dire fur la bataille d'Arbeles & la victoire d'Alexandre, fuivies de la mort de Darius, dont les nouvelles vinrent à Athenes, lors qu'Ariftophon celebre Orateur étoit premier Magiftrat.

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gouvernement de l'Orateur Ariftophon, comme fur le combat * celebre que ceux de Lacedemone ont livré aux Atheniens fous la conduite de Lifandre. Il raconte une autre fois quels applaudiffemens a eu un difcours qu'il a fait dans le public, en repete une grande partie, mêle dans ce recit ennuyeux des invectives contre le peuple; pendant que de ceux qui l'écoutent,les uns s'endorment,les autres le quittent, & que nul ne fe reffouvient d'un feul mot de ce qu'il aura dit.Un grand caufeur en un mot, s'il eft fur les tribunaux, ne laiffe pas la liberté de juger; il ne permet pas que l'on mange à table; & s'il fe trouve au theatre, il empêche non feulement d'entendre, mais même de voir les acteurs : on luy fait avouer ingenuement qu'il ne buy eft pas poffible de fe taire, qu'il faut que fa langue fe remuë dans fon palais comme le poiffon dans l'eau,& que quand on l'accuferoit d'être plus babillard qu'une hirondelle, il faut qu'il parle; auffi écoutet-il froidement toutes les railleries que l'on fait de luy fur ce fujet ; & jufques à fes propres enfans, s'ils commencent à s'abandonner au fommeil, faites-nous, luy difent-ils, un conte qui acheve de nous endormir.

Il étoit plus ancien que la bataille d'Arbeles, mais trivial & fçû de tout le peuple.

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N nouvellifte ou un conteur de fa

Ubles, eft un homme qui arrange fe

lon fon caprice des difcours & des faits remplis de fauffeté ; qui lors qu'il rencontre l'un de fes amis, compofe fon vifage & luy foûriant, d'où venez-vousainsi, luy dit-il que nous direz-vous de bon; n'y a-t-il rien de nouveau ? & continuant de l'interroger, quoy donc n'y a-t-il aucune nouvelle? cependant il ya des chofes étonnantes à raconter, & fans luy donner le loifir de luy répondre, que dires-vous done, pour-fuit-il, n'avez-vous rien entendu la ville? Je vois bien quevous par ne fçavez rien, & que je vais vous regaler de grandes nouveautez: alors ou c'est un foldat, ou le fils d'Aftée le joueur * de flûte, ou Lycon l'Ingenieur,tous gens qui arrivent fraîchement de l'armée, de qui il fçait toutes chofes; car il allegue pour témoins de ce qu'il avance, des hommes obfcurs qu'on ne peut trouver pour les convaincre de fauffeté : il affure donc que ces perfonnes luy ont dit,que le † Roy

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L'ufage de la flûte tres-ancien dans les troupes !! t Aridée frere d'Alexandre le Grand.

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