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celuy qui a achevé de fi grandes choses, ou n'a jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait.

Genie fort & fuperieur il a fçu tout le fond & tout le mystere du gouvernement,il a connu le beau & le fublime du miniftere; il a respecté l'Etranger, ménagé les Couronnes, connu le poids de leur allian

ce;

il a oppofé des Alliez à des Ennemis; il a veillé aux interêts du dehors, à ceux du dedans, il n'a oublié que les fiens; une vie laborieufe & languiffante, fouvent expofée, a été le prix d'une fi haute vertu ; dépofitaire des trefors de fon Maître, comblé de fes bienfaits, ordonnateur difpenfateur de fes Finances, on ne fçauroit dire qu'il eft mort riche.

Le croiroit-on, Meffieurs, cette ame ferieufe & auftere, formidable aux Ennemis de l'Etat, inexorable aux factieux, plongée dans la negociation, occupée tantôt à affoiblir le parti de l'herefie, tantôt à déconcerter une ligue, & tantôt à méditer une conquête, a trouvé le loisir d'être fçavante, a goûté les belles lettres & ceux qui en faifoient profeffion. Comparez vous, fi vous l'ofez, au grand Richelieu, Hommes dévouez à la fortune qui par le fuccès de vos affaires particulieres vous jugez dignes que l'on vous confie les affaires publi

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ques, qui vous donnez pour des genies heureux & pour de bonnes têtes, qui dites que vous ne fçavez rien, que vous n'avez jamais lù, que vous ne lirez point, ou pour marquer l'inutilité des fciences, ou pour paroître ne devoit rien aux autres, mais puifer tout de vôtre fonds: apprenez que le Cardinal de Richelieu a fçû, qu'il a lû, je ne dis pas qu'il n'a point eu d'éloignement pour les gens de lettres, mais qu'il les a aimez, careffez, favorifez; qu'il leur a ménagé des privileges, qu'il leur deftinoit des penfions, qu'il les a réunis en une Compagnie celebre, qu'il en a fait l'Academie Françoife. Ouy, Hommes riches & ambitieux, contempteurs de la vertu & de toute affociation qui ne roule pas fur les établiffemens & fur l'interêt ! celle-cy eft une des penfées de ce grand Miniftre, né homme d'Etat, dévoué à l'Etat, efprit folide, éminent, capable dans ce qu'il faifoit des motifs les plus relevez, & qui tendoient au bien public comme à la gloire de la Monarchie, incapable de concevoir jamais rien qni ne fût digne de luy, du Prince qu'il fervoit, de la France à qui il avoit confacré fes meditations & fes veilles.

Il fçavoit quelle eft la force & l'utilité de l'éloquence, la puiffance de la parole qui aide la raifon & la fait valoir, qui

infinue aux hommes la juftice & la probité, qui porte dans le cœur du foldat l'intrepidité & l'audace, qui calme les émotions populaires, qui excite à leurs devoirs les Compagnies entieres, ou la multitude; il n'ignoroit pas quels font les fruits de l'hiftoire & de la Poëfie, quelle eft la neceffité de la Grammaire, la base & le fondement des autres fciences, & que pour conduire ces chofes à un degré de perfection qui les rendît avantageufes à la Republique, il falloit dreffer le plan d'une Compagnie où la vertu feule für admise, le mérite placé, l'efprit & le fçavoir raffemblez par des fuffrages: n'allons pas plus loin, voilà, Meffieurs, vos principes & vôtre regle, dont je ne fuis qu'une exception.

Rappellez en vôtre memoire, la comparaifon ne vous fera pas injurieufe, rappellez ce grand & premier Concile, où les Peres qui le compofoient, étoient remarquables chacun par quelques membres mutilez, ou par les cicatrices qui leur étoient reftées des fureurs de la perfecution; ils fembloient tenir de leurs playes le droit de s'affeoir dans cette Affemblée generale de toute l'Eglife: il n'y avoit au cun de vos illuftres predeceffeurs qu'on ne s'emprefsât de voir, qu'on ne montrât dansles

places, qu'on ne défignât par quelque ouvrage fameux qui luy avoit fait un grand nom, & qui luy donnoit rang dans cette Academie naiffante qu'ils avoient comme fondée; tels étoient ces grands artifans de la parole, ces premiers Maîtres de l'éloquence Françoife, tels vous êtes, Meffieurs, qui ne cedez ny en fçavoir ny en mérite à nul de ceux qui vous ont précedez.

L'un auffi correct dans fa langue que s'il l'avoit apprise par regles & par principes, auffi élegant dans les langues étrangeres que fi elles luy étoient naturelles en quelque idiome qu'il compofe, femble toûjours parler celuy de fon païs ; il a entrepris, il a fini une penible traduction que le plus bel efprit pourroit avoüier, & que le plus pieux perfonnage devroit defirer d'avoir faite.

L'autre fait revivre Virgile parmi nous, tranfmet dans nôtre langue les graces & les richeffes de la Latine, fait des Romans qui ont une fin, en bannit le prolixe & l'incroyable pour y fubftituer le vrayfemblable & le naturel.

Un autre plus égal que Marot & plus Poëte que Voiture, a le jeu, le tour & la naïveté de tous les deux ; il inftruit en badinant, perfuade aux hommes la vertu. par l'organe des bêtes, éleve les petits fu

jets jufqu'au fublime, homme unique dans fon genre d'écrire, toûjours original, foit qu'il invente, foit qu'il traduife, qui a été au-delà de fes modeles: modele luymême difficile à imiter.

Celuy-cy paffe Juvenal, atteint Horace, femble créer les pensées d'autruy & se rendre propre tout ce qu'il manie, il a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les graces de la nouveauté & tout le mérite de l'invention; fes vers forts & harmonieux, faits de genie, quoy que travaillez avec art, pleins de traits & de poëfie, feront lûs encore quand la langue aura vieilli, en feront les derniers débris; on y remarque une critique sûre, judicieufe, & innocente, s'il eft permis du moins de dire de ce qui eft mauvais, qu'il eft mauvais.

Cet autre vient après un homme loué, applaudi, admiré, dont les vers volent en tous lieux & paffent en proverbe, qui prime, qui regne fur la fcene, qui s'eft emparé de tout le théatre: il ne l'en dépoffede pas, il eft vray, mais il s'y établit avec luy, le monde s'accoûtume à en voir faire la comparaifon; quelques-uns ne fouffrent pas que Corneille, le grand Corneille, luy foit préferé, quelques autres qu'il luy foit égalé; ils en appellent à l'autre ficcle, ils attendent la fin de quelques

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