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Disposition générale de l'armée à l'égard du nouveau régime. Irritation du soldat contre M. Dubois de Crancey. Origine des troubles de Toulon. Imprudence et inflexibilité du commandant de ce port. Sa détention. Mesure de conciliation prise à ce sujet par l'Assemblée. Son zèle à poursuivre le despotisme dans tous ses repaires. Apparition du doyen de l'espèce humaine au milieu des représentans.

I

L'ESPRIT militaire n'étoit pas moins opposé à l'esprit de la constitution, et l'influence de la force armée sur la sûreté tant intérieure qu'extérieure de l'état, rendoit cet ennemi extrêmement redoutable. Ce n'étoit qu'en brisant le frein de la subordination ou plutôt les chaînes de l'esclavage qui retenoient le soldat, que l'on étoit parvenu à écarter le joug de fer dont la France étoit menacée, et à détruire la véritable puissance du despotisme, la puissance des bayonnettes. L'affranchissement de l'armée sauva l'empi

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re. Mais son indiscipline auroit livré les provinces aux plus affreux désordres, et les fron-. tières aux invasions du premier aggresseur. Il falloit soustraire le soldat au despotisme des chefs; mais il falloit le soumettre à un régime humain dans ses principes et sévère dans son exécution; il falloit le rendre citoyen pour attacher son intérêt à l'intérêt de la chose publique; il falioit enfin le rendre guerrier soumis pour en faire un véritable dé◄ fenseur de la patrie.

L'armée se trouvoit partagée en deux corps qui n'avoient pour ainsi dire rien de commun; le corps des officiers et le corps des soldats. Le premier, avide de distinctions, de prérogatives, de prééminences, ne se repais

soit

que des vaines chimères d'un faux honneur, ne redoutoit rien tant que l'égalité, et s'inquiétoit peu d'être lui même esclave, pourvu qu'il y eût d'autres esclaves auxquels il pût commandet. Le second, généralement peu instruit, sans principes, mais sans préjugés, fier de son courage, et susceptible de l'enthousiasme de la liberté, devoit nécessairement embrasser avec transport un nouveau systême de gouvernement qui ouvroit un

vaste champ à ses espérances, assuroit de la considération au mérite et une récompense aux services. Mais cette passion pour la liberté pouvoit facilement l'emporter aux plus terribles écarts de la licence, et son inexpérience, le livrer aux plus dangereuses insi

nuations.

Les circonstances sembloient présenter une grande mesure, le licenciement des officiers dont les dispositions ne pouvoient être douteuses, et qu'il étoit impossible, à moins d'un miracle au-dessus des efforts de la puissance humaine, de se flatter d'amener à l'amour d'un régime fondé sur une égalité si monstrueuse à leurs yeux. Il auroit été facile de les remplacer par les sous - officiers dont le patriotisme étoit sûr, et qui, dans tous les régimens, sont chargés de la manutention de la discipline, de l'instruction des soldats et de leurs chefs, et de tous les détails de l'administration; ou par ceux des officiers actuels dont le civisme auroit été reconnu, examen que l'on pouvoit sans crainte abandonner pour cette fois au jugement des troupes. Mais d'anciens préjugés que l'on n'osa secouer, la crainte d'une désorganisation to

tale, des suites du mécontentement de ceux qui perdroient leur état, et plusieurs considérations puissantes empêchèrent de prendre le seul moyen efficace de rétablir une obéissance qui ne peut exister sans une confiance entière dans ceux qui commandent.

On crut qu'un serment exigé au nom dư roi, seroit un garant de leur fidélité. On se trompa. Ils prêtèrent ce serment, et n'en farent pas plus fidèles; ils s'obstinèrent à ne se croire liés que par le premier qu'ils avoient fait au monarque, à lui conserver une feinte soumission et à lui désobéir à lui-même sous prétexte d'un dévoûment sans bornes à son autorité. De-là, les désordres qui, pendant plus de deux ans, effrayèrent tous les bons citoyens, et qui auroient entraîné la dissolution de l'empire, si la propagation des lumières et de l'esprit public n'avoit contenu l'impétuosité nationale, et si le noble orgueil de la liberté n'avoit sans cesse fait rentrer dans le devoir ceux qu'on travailloit constamment à en faire sortir par les plus coupables artifices. Tantôt, par une molesse affectée, on favorisoit les excès du soldat en fermant les yeux sur toutes ses fautes ; d'autres fois, par

une sévérité outrée, on le poussoit à la révolte par le désespoir; quelques - uns cherchoient à le gagner par des espérances, plusieurs même par des largesses, presque tous s'occupoient à l'envi à vexer, tourmenter et dégoûter de mille manières ceux qui étoient connus pour patriotes.

Enfin, pour affoiblir également l'armée par l'oisiveté et par l'indiscipline, on cessa de la former aux exercices militaires, ou du moins on ne le fit que pour la forme et avec la plus grande négligence. En même tems on mettoit tout en œuvre pour semer la zizanie entre le soldat et le citoyen, et sur-tout pour l'aigrir contre l'Assemblée Nationale. Celleci gémissoit de tant de maux, elle sentit qu'elle ne pourroit les faire cesser qu'en donnant une constitution à l'armée ; et le comité militaire fut établi. Ses premiers regards durent se porter, et se portèrent, en effet, sur le mode de recrutement qui, souillant les divers régimens, de l'écume des grandes villes, les remplissoit de jeunes gens souvent énervés par la débauche, écartoit d'une carrière honorable un grand nombre d'excellens citoyens, et faisoit redouter comme un écueil

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