Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

ENCYCLOPÉDIQUE

D'ANECDOTES

MODERNES, ANCIENNES, FRANCAISES ET ÉTRANGÈRES

PAR

EDMOND GUÉRARD

Je n'aime de l'histoire que les anecdotes.

PROSPER MÉRIMÉE.

TOME PREMIER

PARIS

LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET CIE

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56

1872

Tous droits réservés.

[blocks in formation]

En publiant un nouveau Dictionnaire d'anecdotes, il serait difficile de dire que l'on vient combler une lacune. Les recueils de ce genre existent déjà par milliers: cela prouve le goût insatiable des hommes, en général, et des Français, en particulier, pour l'anecdote; mais cela prouve-t-il qu'il ne reste pas à tenter quelque chose de plus neuf et de plus complet pour le satisfaire?

Rien ne s'explique mieux que la publication successive de cette multitude de répertoires anecdotiques. L'anecdote est faite pour plaire à tous, et elle joint une utilité réelle, sous la condition d'être bien choisie, à un agrément plus évident et plus incontestable encore. On aime à voir le dessous des cartes et le revers des médailles, à rencontrer les grands hommes en robe de chambre, et à pénétrer dans les coulisses de l'histoire. Il y a, en chaque fils comme en chaque fille d'Eve, un fonds de curiosité, pour ne pas dire de malignité naturelle, qui trouve à se satisfaire dans ces révélations intimes, ces confidences familières, ces bons mots et ces bons contes, comme disaient nos aïeux. L'anecdote n'est pas seulement, suivant une expression devenue classique, la monnaie de l'histoire; elle en est souvent aussi la réalité vivante et courante, en contraste avec la légende banale, avec les mensonges solennels, les conventions pompeuses, les traditions consacrées par une sorte de formalisme superstitieux. Même lorsqu'elle n'est pas vraie, - ce qui est l'écueil fréquent, dont il faut se défier sans cesse, car nous ne partageons pas l'opinion de Voltaire, qui disait sans façon à l'abbé Velly : « Qu'importe qu'une anecdote soit vraie ou fausse? Quand on écrit pour amuser le public, faut-il être si scrupuleux à n'écrire que la vérité » ? on peut dire qu'elle a encore son avantage relatif : l'avantage de la comédie ou du drame bourgeois sur la tragédie en toge et en cothurne, du poëme héroï-comique ou du roman de mœurs sur l'épopée, de la lettre et de la conversation sur le discours bâti d'après toutes les règles dela rhétorique, de la statuett en terre glaise sur la statue en bronze, et de la photographie qui saisit au vif la nature humaine en un clin-d'œil, sur le portrait à l'huile qui la fait poser. C'est-à-dire que, à défaut de la beauté artistique, poétique et idéale, elle a la beauté pittoresque, le mouvement et la vie, et que, même historiquement fausse, elle peut revendi

-

quer souveut cette vérité morale qui a fait écrire à Aristote que la poésie est plus vraie que l'histoire, et appliquer ce mot par M. Villemain aux romans de Walter Scott. Peut-être est-ce dans le même sens que Voltaire s'exprimait,en donnant à sa pensée une forme incomplète et excessive, et voulait-il dire simplement : « Qu'importe qu'une anecdote n'ait pas la vérité matérielle, si elle a la vérité morale! »

L'anecdote, d'ailleurs, est poésie aussi bien que prose: elle ne se borne pas à déchirer les voiles et à éteindre les auréoles usurpées; souvent elle scelle les réputations d'un coup de cachet rapide et brillant; elle frappe la gloire en médailles, elle donne l'élixir d'une vie et d'un caractère, elle résume et concentre dans un de ces traits qui deviennent proverbes, et qui sont si profondément vrais parfois sans être authentiques, l'àme, l'idéal, le vice, la vertu, la passion d'un homme ou d'une époque. Tantôt elle est la contre-partie de l'histoire, contre laquelle elle nous met en garde, chose salutaire, pourvu que nous sachions aussi nous tenir en garde contre elle; tantôt elle en est la fleur et la quintessence.

Aussi l'anecdote est-elle vieille comme le monde. Je ne l'irai point rechercher jusque dans Homère et la Bible, ce qui serait à la fois bien ambitieux et bien puéril. Mais, sans réclamer pour elle des origines si lointaines ni si problématiques, qu'est-ce que Diogène de Laërte, Plutarque, Élien, Suétone et les historiens de l'Histoire Auguste, Macrobe, Procope, - le Procope intime qui écrivait lui-même jour par jour la réfutation de ses annales officielles, et tant d'autres moins connus: Aristodème, Lyncée de Samos, Machon, etc., etc., sinon des anecdotiers purs et simples, quelque puisse être le titre dont ils se parent? Athénée est rempli d'anecdotes. L'historien Théopompe, Démophile de Bithynie, Philagrius et le philosophe néo-platonicien Hiéroclès avaient composé des recueils d'anecdotes, et ce sont là des ancêtres dont s'honore l'humble compilateur du présent Dictionnaire. Que dis-je? Cicéron lui-même, il nous l'apprend dans une lettre à Atticus, et César aussi comptent parmi nos aïeux : tous les érudits, tous ceux qui ont étudié à fond l'histoire de la littérature latine le savent parfaitement. Il n'est pas jusqu'aux moines qui n'aient cultivé le genre: il suffira de rappeler les noms de Planude, auquel on doit la vie légendaire d'Ésope, et de Luther, qui écrivit les Propos de table.

[ocr errors]

En France, c'est bien mieux encore, ou bien pis, suivant les opinions. On sait la place que tient dans notre littérature le conte en prose ou en vers. A partir du XVIIIe siècle surtout, les Mémoires se multiplient chez nous; et les Mémoires sont la grande et inépuisable mine des anecdotes historiques. Sous leurs diverses formes, de Souvenirs, de Confidences, de Confessions, de Correspondances, ils n'ont cessé d'alimenter la curiosité publique. Puis est venue la création des gazettes, grandes propagatrices d'anecdotes dès leur origine. Au XVIIe siècle, Tallemant des Réaux collige des myriades d'historiettes, et les ana sont fort en faveur, ana gé

[ocr errors]
« PreviousContinue »