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parlant de cette dernière ville: (1) Non solùm Græcia, sed haud scio an cunctis gentibus anteponendam jure dicam. En se rapprochant des siècles de la littérature moderne, de ces âges où, réunies enfin sous un seul maitre, toutes les provinces ont reçu le mouvement qu'il a plu au monarque de leur imprimer, et ont perdu sans retour leur caractère distinctif, pour n'avoir plus qu'un caractère uniforme; dans ces siècles, on voit que les têtes de cette province n'ont point été frappées de stérilité. Elle n'a vu naître dans son sein, il est vrai, ni Corneille, ni Racine, ni ce poëte immortel dont nous pleurons encore la perte : il n'en faut attribuer la cause qu'à la grande distance où elle se trouve du tròne. L'art dramatique est, de tous les beaux arts, celui qui demande le plus de grands modèles. La Provence n'a point de théâtre, point de Mécène, et le génie ne peut y faire de bonne heure des études préliminaires. Eh! combien de tatens heureux sont forcés de prendre un autre cours. L'éloignement de la capitale, n'en doutons point, est le seul obstacle qui empêche les Provençaux de suivre la carrière du théâtre. Cet obstacle est d'autant plus invincible pour eux que le voisinage en est encourageant pour les provinces limitrophes. Il n'en est pas de même de la culture des sciences, qui ne demandent que du génie, des lectures et le silence du cabinet. Dans tous les genres, la Provence a au moins un grand homme à nommer: ję vais en donner une simple nomenclature. Veut-on ́ un

(1) Voyez Baillet, page 15, tome I, des Jugemens des Savans, in-4°. Paris, 1622.

célèbre théologien, c'est Tournelli; un savant lithur giste, le père Lebrun; un profond canoniste, Pierre Gibert; le plus sublime peut-être des jurisconsultes Romains, Scipion du Perrier; le créateur de la botanique, Tournefort; le restaurateur de la philosophie, Gassendi; un rhéteur parfait, Gibert; un orateur, Massillon; le foudre qui a écrasé Baronius, le père Pagi; de grands antiquaires, Carri, Rigord, M. l'abbé Barthélemi; un musicien dont la théorie soit devenue un guide assuré, M. l'abbé Roussier; le plus habile des grammairiens, du Marsais; un bibliographe d'une érudition étendue et rare, M, l'abbé Rive; (1) un auteur de romans, Honoré d'Urfé; un auteur de dictionnaire, Moréri; faut-il perfectionner Moréri, dom Chaudon, son compatriote, prend la plume; veut-on faire passer la jurisprudence Impériale de la Grèce dans nos Gaules, c'est Fabrot qui entreprend cet ouvrage immense; Trabaud fait faire un pas de plus aux ma⇒ thématiques; enfin, faut-il un génie qui concentre dans sa tête comme dans un sanctuaire, tous les arts toutes les sciences, c'est le célèbre Mussagète, dont Gassendi a écrit la vie : ai-je besoin de le nommer? l'Europe entière a déjà dit Peiresc. L'éloge de cet homme unique fut écrit en vingt-deux langues différentes. Dans les peintres, on compte en Provence Vanloo, Parossel; dans les sculpteurs, Puget; dans les graveurs, Balechou. Dans la Provence, je ne com

(1) Il doit publier un Système Bibliographique, qui justifiera cette opinion.

prends que l'étendue de pays renfermée entre le Var et le Rhône. Si je suivais l'ancienne carte, qui étendait la domination Provençale depuis le Var jusqu'à la Loire, on verrait un monde de savans qui s'y est succédé sans interruption depuis cinq cents ans ; ont rouverait Doma, Pascal, Montagne, Despeisse, Fénélon, Bayle, Barbeyrac, Bourdaloue, Montesquieu, etc. etc. etc. Je ne dirai point que beaucoup d'autres provinces n'en ont pas produit de semblables: ce serait mériter le reproche qu'on fera peut-être à M. L. G., qui pose au génie d'une province des bornes plus étroites qu'à une autre. La nature, par tout féconde, prépare par-tout des prodiges. Les muses font le tour du globe. Les grands hommes, après tout, n'ont point de patrie: ils appartiennent à la postérité qui les honore.

Je me propose de publier, sur l'ouvrage de M. L. G. de nouvelles observations qui ne seront pas d'une moindre importance que celles-ci. Je ferai ensorte de ne rien dire de trop, et de ne dire que des vérités utiles.

VERS

A MES AMIS, PARTANS POUR L'ITALIE.

Vous, que rien n'arrête et ne lie,

Partez, aimables voyageurs,

Allez respirer les odeurs

Des orangers de l'italie.

༔ ་་

Dans les bosquets de Tivoli
Répétez les chansons d'Horace,
Dont deux mille ans n'ont point vieilli
Et le coloris et la grâce.

Allez détacher un rameau

Du laurier fidèle à Virgile,
Du laurier toujours immobile
Qui couronne encor son tombeau.
Évoquez la Muse d'Ovide,
Cherchez les grottes où sa voix
Aux amans imposait des lois,
Et dictait les leçons de Gnide;
Entrez sous le charmant berceau
Où Tibulle chanta Délie,
Où la jeune main de Lesbie
Caressait un tendre moineau;
Montez au Capitole antique
Qui vit l'univers prosterné,
Où le triomphe poétique
Au Tasse en vain fut destiné.
Vous verrez le grand sanctuaire
Des talens de tous les pays,
Et l'Apollon du Belvédère,

Et la Vénus de Médicis;

Des arts vous sentirez l'ivresse,

Et me plaindrez en ce moment.... · Mes amis, cet enchantement

Vaut-il celui d'une maîtresse?

Par M. DoIGNI.

LA CONSULTATION,

Anecdote.

L'autre jour, chez un avocat de mes amis, je fus témoin d'une consultation qui me parut assez curieuse. Je crains qu'elle ne demeure renfermée dans le sein d'une famille; et, comme je pense qu'un bon citoyen ne doit jamais rien dérober à l'instruction ou à l'amusement du public, je veux lui raconter cette anecdote.

Il s'agit de deux frères, qui, sans être bien riches, avaient beaucoup plus à se louer de la fortune que de la nature; car celle-ci les avait traités l'un et l'autre en véritable marâtre. L'aîné était sourd presque de naissance, et le cadet était aveugle, c'est-à-dire, qu'ils n'avaient à eux deux deux bonnes oreilles et deux bons yeux. que Ce n'était pas assez, et voilà justement la réflexion que fit un voisin que le hasard leur avait donné. Ce voisin est un original dont je dois vous dire deux mots, car il joue un rôle dans cette histoire. Cet homme n'est précisément ni oculiste, ni médecin, ni chirurgien; mais il est tout cela à-la-fois, et bien d'autres choses encore. Il a des secrets, peut-être des caractères; enfin, il ne professe rien, et il se mêle de tout. Il ne voit pas un malade sans avoir envie de le guérir; ce n'est point par un motif d'intérêt; il paierait lui-même ses malades, s'il le fallait ce n'est pas même par bienfaisance, mais uniquement par plaisir. Il aime à faire des cures, comme d'autres aiment à faire des mariages.

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