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plus grande dépendance, & fait de leurs for ces mêmes les garants de leur fidélité. Avantage qui ne paroît pas avoir été bien senti des anciens Monarques, qui ne s'appellant que Rois des Perfes, des Scythes, des Macédoniens, fembloient fe regarder comme les chefs des hommes plutôt que comme les maîtres du Pays. Ceux d'aujourd'hui s'appellent plus habilement Rois de France, d'Espagne, d'Angleterre, &c. En tenant ainfi le terrein, ils font bien fürs d'en tenir les habitants.

Ce qu'il y a de fingulier dans cette aliénation, c'eft que, loin qu'en acceptant les biens des Particuliers la Communauté les en dépouille, elle ne fait que leur en affurer la légitime poffeffion, changer l'ufurpation en un véritable droit, & la jouiffance en propriété. Alors les Poffeffeurs étant confidérés comme dépofitaires du bien public, leurs droits étant refpectés de tous les membres de l'Etat & maintenus de toutes fes forces contre l'étranger, par une ceffion avantageufe au Public, & plus encore à eux-mêmes, ils ont, pour ainfi dire, acquis tout ce qu'ils ont donné. Paradoxe qui s'explique aifément par la diftinction des droits que le Souverain & le Propriétaire ont fur le même fonds, comme on verra ci-après.

IL peut arriver auffi que les hommes commencent à s'unir avant que de rien pofféder,

& que, s'emparant enfuite d'un terrein fuffifant pour tous, ils en jouiffent en commun, ou qu'ils le partagent entre eux, foit également, foit felon des proportions établies par le Souverain. De quelque maniere que fe faffe cette acquifition, le droit que chaque Particulier a fur fon propre fonds eft toujours fubordonné au droit que la Communauté a fur tous, fans quoi il n'y auroit ni folidité dans le lien focial, ni force réelle dans l'exercice de la Souveraineté.

JE terminerai ce Chapitre & ce Livre par une remarque qui doit fervir de base à tout le systême social; c'eft qu'au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental fubftitue au contraire une égalité morale & légitime à ce que la nature avoit pu mettre d'inégalité phyfiqué entre les hommes, & que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention & de droit.

*. Sous les mauvais gouvernements cette égalité n'eft qu'apparente & illufoire; elle ne fert qu'à maintenir le pauvre dans fa mifere & le riche dans fon ufurpation. Dans le fait les loix font toujours utiles à ceux qui poffedent, & nuifibles à ceux qui n'ont rien: d'où il fuit que l'é tat focial n'eft avantageux aux hommes qu'au tant qu'ils ont tous quelque chofe & qu'aucun d'eux n'a rien de trop.

Fin du Livre premier.

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A PREMIERE & la plus importante conféquence des principes ci-devant établis, eft que la volonté générale peut feule diriger les forces de l'Etat felon la fin de fon inftitution, qui eft le bien commun; car fi l'opposition des intérêts particuliers a rendu né

ceffaire l'établissement des Sociétés, c'eft. l'accord de ces mêmes intérêts qui l'a rendu poffible. C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien focial, & s'il n'y avoit pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle fociété ne fauroit exister. Or c'est uniquement fur cet intérêt commun que la Société doit être gouvernée.

JE dis donc que la fouveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamais s'aliéner, & que le Souverain, qui n'eft qu'un être collectif, ne peut être repréfenté que par lui-même; le pouvoir peut bien fe transmettre, mais non pas volonté.

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En effet, s'il n'eft pas impoffible qu'une volonté particuliere s'accorde fur quelque point avec la volonté générale, il eft impoffible au moins que cet accord foit durable & conftant; car la volonté particuliere tend par fa nature aux préférences, & la volonté générale à l'égalité. Il eft plus impoffible encore qu'on ait un garant de cet accord quand même il devroit toujours exifter; ce ne feroit pas un effet de l'art, mais du hazard. Le Souverain peut bien dire : je veux actuellement ce que veut un tel homme, ou du moins ce qu'il dit vouloir; mais il ne peutpas dire: ce que cet homme voudra demain,

je le voudrai encore; puifqu'il eft abfurde que la volonté fe donne des chaînes pour l'avenir, & puifqu'il ne dépend d'aucune volonté de confentir à rien de contraire au bien de l'être qui veut. Si donc le Peuple promet fimplement d'obéir, il fe diffour par cet acte, il perd fa qualité de Peuple; à l'inftant qu'il y a un maître il n'y a plus de Souverain, & dès-lors le corps politique est détruit.

CE n'est point à dire que les ordres des chefs ne puiffent paffer pour des volontés générales, tant que le Souverain libre de s'y oppofer ne le fait pas. En pareil cas, du filence univerfel on doit préfumer le confentement du Peuple. Ceci s'expliquera plus au long.

CHAPITRE II.

Que la Souveraineté eft indivisible.

PAR

AR la même raison que la fouveraineté eft inaliénable, elle eft indivifible. Car la volonté eft générale, * où elle ne l'eft pas; elle

*Pour qu'une volonté foit générale, il n'est pas toujours néceffaire qu'elle foit unanime, mais il eft néceffaire que toutes les voix foient comptées; toute exclufion formelle rompt la généralité.

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