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cutive mais c'eft en cela même que la fienne eft plus grande; car ne pouvant rien faire il peut tout empêcher. Il eft plus facré & plus révéré comme défenfeur des Loix, que le Prince qui les exécute & que le Souverain qui les donne. C'est ce qu'on vit bien clairement à Rome, quand ces fiers Patriciens, qui mépriserent toujours le Peuple entier, furent forcés de fléchir devant un fimple Officier du Peuple, qui n'avoit ni aufpices ni jurifdiction.

LE Tribunat fagement tempéré eft le plus ferme appui d'une bonne conftitution; mais pour peu de force qu'il ait de trop, il renverfe tout à l'égard de fa foibleffe, elle n'eft pas dans fa nature, & pourvu qu'il foit quelque chofe, il n'est jamais moins qu'il ne faut.

Il dégénere en tyrannie quand il ufurpe la puiffance exécutive dont il n'est que le mo-dérateur, & qu'il veut difpofer les Loix qu'il ne doit que protéger. L'énorme pouvoir des Ephores, qui fut fans danger tant que Sparte conferva fes mœurs, en accéléra la corruption commencée. Le fang d'Agis égorgé par ces tyrans fut vengé par fon Succeffeur : le crime & le châtiment des Ephores hâterent également la perte de la République, & après Cléomene, Sparte ne fut plus rien. Rome périt encore par la même voye, &

le pouvoir exceflif des Tribuns ufurpé par degrés fervit enfin, à l'aide des Loix faites pour la liberté, de fauve-garde aux Empereurs qui la détruifirent. Quant au Confeil des Dix à Vénife, c'eft un Tribunal de fang, horrible également aux Patriciens & au Peuple, & qui, loin de protéger hautement les Loix, ne fert plus, après leur aviliffement, qu'à porter dans les ténebres des coups qu'on n'ofe appercevoir.

LE Tribunat s'affoiblit, comme le Gouvernement, par la multiplication de fes Membres. Quand les Tribuns du Peuple Romain, d'abord au nombre de deux, puis de cinq, voulurent doubler ce nombre, le Sénat les laiffa faire, bien fûr de contenir les uns par les autres; ce qui ne manqua pas d'arriver.

Le meilleur moyen de prévenir les ufur pations d'un fi redoutable Corps, moyen dont nul Gouvernement ne s'eft avisé jufqu'ici, feroit de ne pas rendre ce Corps permanent, mais de régler des intervalles durant lefquels il refteroit fupprimé. Ces intervalles, qui ne doivent pas être affez grands pour laiffer aux abus le temps de s'affermir, peuvent être fixés par la Loi, de maniere qu'il foit aifé de les abréger au befoin par des commiffions extraordinaires.

Ce moyen me paroît fans inconvénient,

parce que, comme je l'ai dit, le Tribunat ne faifant point partie de la conftitution, peut être ôté fans qu'elle en fouffre; & il me paroît efficace, parce qu'un Magiftrat nouvellement rétabli ne part point du pouvoir qu'avoit fon Prédéceffeur, mais de celui que la Loi lui donne.

CHAPITRE VI

De la Dictature.

L'INFLEXIBILITE des Loix, qui les

empêche de fe plier aux événements, peut én certains cas les rendre pernicieuses, & caufer par elles la perte de l'Etat dans fa crife. L'ordre & la lenteur des formes demandent un espace de temps que les circonftances refusent quelquefois. Il peut fe préfenter mille cas auxquels le Légiflateur n'a point pourvu, & c'est une prévoyance très-néceffaire de fentir qu'on ne peut tout -prévoir.

Il ne faut donc pas vouloir affermir les inftitutions politiques jufqu'à s'ôter le pouvoir d'en fufpendre l'effet. Sparte elle-même a laiffé dormir fes Loix..

MAIS il n'y a que les plus grands dangers qui puiffent balancer celui d'altérer l'or

dre public, & l'on ne doit jamais arrêter le -pouvoir facré des loix que quand il s'agit du falut de la Patrie. Dans ces cas rares & -manifeftes on pourvoit à la fûreté publi-que par un acte particulier qui en remet la charge au plus digne. Cette commiffion peut -fe donner de deux manieres, felon l'efpece du danger...

-SI pour y remédier il fuffit d'augmenter -l'activité du Gouvernement, on le concen-tre dans un ou deux de fes Membres; ainsi cen'eft pas l'autorité des Loix qu'on altere, mais feulement la forme de leur adminiftration. Que fi le péril eft tel que l'appareil des Loix foit un obftacle à s'en garantir, alors on nomme un Chef suprême qui faffe taire toutes les Loix, & fufpende un moment l'autorité Souveraine; en pareil cas la volonté générale n'eft pas douteufe, & il eft évident que la premiere intention du Peuple eft que l'Etat ne périffe pas. De cette maniere la fufpenfion de l'autorité législative ne l'abolit point: le Magiftrat qui la fait taire ne peut la faire parler, il la domine fans pouvoir la représenter; il peut tout faire, excepté des Loix.

Le premier moyen s'employoit par le Sénat Romain quand il chargeoit les Confuls par une formule confacrée de pourvoir au falut de la République: le fecond avoit lieu

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quand un des deux Confuls nommoit un Dictateur; * ufage dont Albé avoit donné l'exemple à Rome.

DANS les commencements de la République on eut très-fouvent recours à la Dictature, parce que l'Etat n'avoit pas encore une affiete affez fixe pour pouvoir se foutenir par la force de fa conftitution. Les mœurs rendant alors fuperflues bien des précau- tions qui euffent été néceffaires dans un autre temps, on ne craignoit ni qu'un Dictateur abufât de fon autorité, ni qu'il tentâr de la garder au-delà du terme. Il fembloit, au contraire, qu'un fi grand pouvoir fût à charge à celui qui en étoit revêtu, tant il se hâtoit de s'en défaire; comme fi c'eût été un pofte trop pénible & trop périlleux de tenir la place des Loix. mywed a

AUSSI n'eft-ce pas le danger de l'abus, mais çelui de l'aviliffement, qui fait blâmer l'ufage indifcret de cette fuprême Magistrature dans les premiers temps. Car tandis qu'on la prodiguoit à des Elections, à des Dédicaces, à des chofes de pure formalité, il étoit à craindre qu'elle ne devint moins redoutable au befoin, & qu'on ne s'accoutumât à regarder cómme un vain titre celui

*Cette nomination fe faifoit de nuit & en fecret, comme fi l'on avoit eu honte de mettre un homme au-deffus des Loix.

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