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exige un confentement unanime. C'est le pacte focial: car l'affociation çivile eft l'acte du monde le plus volontaire; tout homme étant né libre & maître de lui-même, nul ne peut, fous quelque prétexte que ce puiffe être, l'affujettir fans fon aveu. Décider que le fils d'une esclave naît esclave, c'est décider qu'il ne naît pas homme.

Si donc lors du pacte focial il s'y trouve des oppofants, leur oppofition n'invalide pas le contract, elle empêche feulement qu'ils n'y foient compris; ce font des Etrangers parmi les Citoyens. Quand l'Etat eft inftitué, le confentement est dans la résidence; habiter le territoire, c'eft fe foumettre à la fouveraineté. *

>HORS ce contract primitif, la voix du plus grand nombre oblige toujours tous les autres; c'eft une fuite du contract même. Mais on demande comment un homme peut être libre, & forcé de fe conformer à des volontés qui ne font pas les fiennes; comment les oppofants font-ils libres,& foumis à des Loix auxquelles ils n'ont pas confenti? Je réponds que la queftion eft mal posée.

*Ceci doit toujours s'entendre d'un Etat li bre; car d'ailleurs la famille, les biens, le défaut d'afyle, la néceffité, la violence, peuvent retenir un Habitant dans le Pays malgré lui, & alors fon féjour feul ne fuppofe plus fon confentement au contract ou à la violation du contract,

Le Citoyen confent à toutes les Loix, même à celles qu'on paffe malgré lui, & même à celles qui le puniffent quand il ofe en violer quelqu'une. La volonté conftante de tous les Membres de l'Etat eft la volonté générale; c'est par elle qu'ils font Citoyens & libres.*Quand on propofe une Loi dans l'affemblée du Peuple, ce qu'on leur demande n'eft pas précisément s'ils approuvent la propofition ou s'ils la rejettent, mais fi elle eft conforme ou non à la volonté générale qui eft la leur; chacun en donnant fon fuffrage dit fon avis là-deffus, & du calcul des voix fe tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne prouve autre chose finon que je m'étois trompé, & que ce que j'eftimois être la volonté générale, ne l'étoit pas. Si mon avis particulier l'eût emporté, j'aurois fait autre chofe que ce que j'avois voulu, c'eft alors que je n'aurois pas été libre.

CECI fuppofe, ileft vrai, que tous les caracteres de la volonté générale font encore dans la pluralité quand ils ceffent d'y être,

*A Genes on lit au-devant des prifons & fur les fers des galériens ce mot Libertas. Cette application de la devife eft belle & jufte. En effet il n'y a que les malfaiteurs de tous états qui empêchent le Citoyen d'être libre. Dans un Pays où tous ces gens-la feroient aux Galeres, on jouiroit de la plus parfaite liberté,

quelque parti qu'on prenne il n'y a plus de liberté.

EN montrant ci-devant comment on subftituoit des volontés particulieres à la volonté générale dans les délibérations publiques, j'ai fuffifamment indiqué les moyens praticables de prévenir cet abus; j'en parlerai encore ci-après. A l'égard du nombre proportionnel des fuffrages pour déclarer cette volonté, j'ai auffi donné les principes fur lefquels on peut le déterminer. La différence d'une feule voix rompt l'égalité, un feul oppofant rompt l'unanimité; mais entre l'unanimité & l'égalité il y a plufieurs partages inégaux, à chacun defquels on peut fixer ce nombre felon l'état & les befoins du Corps politique.

Deux maximes générales peuvent fervir à régler ces rapports: l'une, que plus les délibérations font importantes & graves, plus l'avis qui l'emporte doit approcher de l'unanimité; l'autre, que plus l'affaire agitée exige de célérité, plus on doit refferrer la différence prefcrite dans le partage des avis: dans les délibérations qu'il faut terminer fur le champ, l'excédent d'une feule voix, doit fuffire. La premiere de ces maximes paroît plus convenable aux Loix, & la feconde aux affaires. Quoi qu'il en foit, c'eft fur leur combinaifon que s'établiffent les

meilleurs rapports qu'on peut donner à la pluralité pour prononcer.

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CHAPITRE III.

Des Elections.

L'ÉGARD des élections du Prince & des Magiftrats, qui font, comme je l'ai dit, des actes complexes, il y a deux voyes pour y procéder; favoir, le choix & le fort. L'une & l'autre ont été employées en diverses Républiques, & l'on voit encore actuellement un mélange très-compliqué des deux dans l'élection du Doge de Venife.

Le fuffrage par le fort, dit Montefquieu, eft de la nature de la Démocratie. J'en conviens, mais comment cela? Le fort, continue-t-il, eft une façon d'élire qui n'afflige perfonne; il laiffe à chaque Citoyen une espérance raisonnable de fervir la Patrie. Ce ne font pas là des raisons.

Si l'on fait attention que l'élection des Chefs eft une fonction du Gouvernement & non de la Souveraineté, on verra pourquoi la voye du fort eft plus dans la nature de la Démocratie, où l'adminiftration eft d'autant meilleure que les actes en font moins multipliés.

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DANS toute véritable Démocratie la Magiftrature n'eft pas un avantage, mais une charge onéreufe, qu'on ne peut justement imposer à un Particulier plutôt qu'à un autre. La Loi feule peut impofer cette charge à celui fur qui le fort tombera. Car alors la condition étant égale pour tous, & le choix ne dépendant d'aucune volonté humaine, il n'y a point d'application particuliere qui altere l'univerfalité de la Loi.

DANS l'Ariftocratie le Prince choisit le Prince, le Gouvernement fe conserve par lui-même, & c'est là que les fuffrages font bien placés.

L'EXEMPLE de l'élection du Doge de Venise confirme cette diftinction loin de la détruire cette forme mêlée convient dans un Gouvernement mixte. Car c'est une erreur de prendre le Gouvernement de Venife pour une véritable Ariftocratie. Si le Peuple n'y a nulle part au Gouvernement, la Nobleffe y eft Peuple elle-même. Une multitude de pauvres Barnabotes n'approcha jamais d'aucune Magiftrature, & n'a de fa nobleffe que le vain titre d'Excellence & le droit d'affifter au grand Confeil. Ce grand Confeil étant auffi nombreux que notre Confeil général à Geneve, fes illuftres Membres n'ont pas plus de privileges que nos fimples Citoyens. Il eft certain qu'ôtant l'extrême

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